Enfant, Liam n’avait jamais apprécié la bibliothèque municipale. Etudiant, il ne se rendait à la bibliothèque universitaire qu’en cas d’extrême nécessité. Candidat dans un jeu de téléréalité, il se retrouvait aujourd'hui dans la bibliothèque de l’hôtel par curiosité. Il aimait lire, néanmoins les bibliothèques n’avaient jamais été son lieu de prédilection. Etrange paradoxe. Déambulant aléatoirement entre les différentes allées, il finit par remarquer la présence de Sheelah. Etonnant, il ne s’attendait pas à la croiser là. Non pas qu’elle lui semblait ignorante, il avait juste du mal à l’imaginer studieuse et attentive, peut-être cachait-elle son étui à lunettes dans sa culotte ? Ou alors elle avait trouvé son bonheur dans une bande dessinée accessible à son cerveau siliconé, simple plaisanterie… Il l’aimait bien cette petite princesse vierge, il ne tarda pas à aller à sa rencontre.

« Un jour quelqu’un a dit ; le monde se divise en deux catégories : ceux qui lisent des livres et ceux qui écoutent ceux qui ont lu des livres. Ça m’étonne que tu appartiennes à la première catégorie. » Déclara-t-il d’un ton partagé entre humour et provocation en guise de bonsoir. Il reprit, un brin audacieux :
« Il y a malgré tout certaines choses qui ne s’enseignent pas dans les livres… »

La bibliothèque était le lieu que je préférais le plus dans cette hôtel, d'ailleurs ce matin après le petit-déjeuner, je m'étais directement rendu dans ce lieu, que dis-je, dans ce temple de la lecture. Les bouquins se trouvant en ces lieux, j'en avais déjà lu les 3/4. Gérante de ma propre librairie, lorsque personne ne venait acheter de bouquin, je passais le temps en lisant la plupart des livres que je vendais. Pourtant, ce matin là je venais de tomber sur un roman : Deux garçons, la mer. Si je ramenais ce genre de livre chez moi, ma grand-mère en ferait une crise cardiaque. L'homosexualité était un sujet tabou chez les vieux du village, de mon côté, ça ne me déranger pas tant que ça. Et puis l'histoire était passionnante, si bien que je me plongea littéralement dans ce livre, dévorant subtilement ce livre, pour ne pas trop en lire, préférant le lire en plusieurs étapes comme à mon habitude, lorsqu'un livre me plaisait autant. Puis vint avec une entrée fracassante, surement comme il aimait, Liam. Il était assez provocateur et sarcastique, mais au fond, il était amusant. D'ailleurs sa première remarque en guise de bonjour me fit sourire, habituel devrais-je dire. Repliant la page à laquelle je me trouvais, je le regarda, amusée. « Quelqu'un d'autre à dit ; "La provocation, quand elle est travaillée et qu'elle est voulue, n'a pas grand intérêt." » puis finalement, je posa mon livre sur la petite table, traînant à côté de moi, tout en regardant droit dans les yeux, Liam qui était en grande forme. « Et toi, grandiose et malin comme tu es, tu vas me dire ce que je ne peux pas apprendre dans les livres. » lui dis-je, le fixant droit dans les yeux, ayant trouver plus passionnant que mon livre.

« Je ne suis pas d’accord avec ce quelqu’un. J’aime faire réagir, mes provocations suscitent toujours des réactions intéressantes. Je sais exactement sur quel bouton appuyer pour avoir ce que je veux. » Répondit-il avec franchise. Il jeta un coup d’œil furtif à la couverture du livre qu’elle venait de poser puis reporta de nouveau son attention sur la demoiselle. Il la dévisagea un instant et reprit, retrouvant son sourire insolent :
« Je pense qu’un individu se définit selon ses limites. Pour en apprendre plus à ton sujet, je ne te poserai pas les dizaines de questions futiles auxquelles tu as déjà dû répondre et répéter à chacun des habitants, je te testerai pour trouver tes limites. Je trouverai ton seuil de douleur, je ferai tomber une à une les écailles de ta carapace, j’assiégerai la citadelle de ton cœur. C’est uniquement lorsque la provocation est travaillée et voulue qu’elle dégage un grand intérêt. »

Sans la quitter des yeux, Liam se laissa tomber à ses côtés dans le canapé. Il aurait pu lui donner un cours de philosophie ou du moins lui expliquer sa façon de penser mais il refusait catégoriquement d’étancher sa soif de curiosité pour l’instant. Il préférait jouir du mystère qu’il émanait.

« Crois-moi tu ne voudrais pas d’un professeur comme moi. Je suis brutal et peu pédagogue. Je ne prends pas de pincette. Vérité et tact ne sont pas compatibles. Intriguée ? »

Attentive, j'écoutais chacun des mots prononçaient par Liam. Je ne l'interrompais pas une seule fois, le regardant pendant qu'il s'exprimait. Mes yeux accompagnèrent chacun de ses mouvements, comme un livre que je feuilletais, je le faisais en silence, parcourant le moindre détails, puis lorsque tout ceci pris fin, je continuais de le fixer sereinement, dans un calme étrangement paisible. « Je vois ... » fut finalement les seuls mots que j'exprimais pour l'instant. Pensive, j'étais momentanément ailleurs. Loin de ce jeu, cette ville, bien même plus loin que cette planète. Puis je redescendais enfin sur Terre, je me mis à sourire furtivement. Je posa avec délicatesse ma main sur sa cuisse, sans aucune ambiguïté, avec une seule idée en tête : « Dans ce cas découvre qui je suis ... Dévoile au grand jour mes faiblesses, pousse-moi à bout, provoque ma tristesse ou ma colère. Tu peux même me faire du mal, mais je te mets au défi de trouver qui je suis. » Ma demande pouvait être farfelu pour beaucoup de monde, pourtant pour moi, elle était logique et réfléchi. Rien d'impulsif ne m'avait pousser à faire une telle demande, j'avais déjà bien réfléchi, il ne m'avait pas fallut plus de quelques secondes pour lui demander une telle chose. Au fond j'avais confiance en lui et peut être même était-ce une erreur, mais la tentation de commettre cette erreur était trop grande. Le regardant toujours dans les yeux, je retira finalement ma main de sa cuisse et me colla au fond du canapé. « Tu m'intrigues beaucoup, en effet. Tu es un garçon que j'ai dû mal à cerner. En tout cas je veux en savoir plus, je t'écoutes ... Leçon n°1 ? »

Ainsi, le jeune Américain était parvenu à la captiver. Il avait appris très tôt à choisir ses mots dans le but de capter l’attention de ses auditeurs. En toute modestie, son charisme était sans aucun doute son plus grand atout faisant de lui un foudre d’éloquence. Elle posa un instant sa main sur sa cuisse, il lui adressa en retour un sourire complice. Elle se disait mystérieuse, voire indéchiffrable. Si elle ne mentait pas, elle était alors fortement susceptible de l’intéresser. Les énigmes le passionnaient.

Pour quelle autre raison aurait-il postulé pour participer à Fake Lover ? Il était là pour jouer sans se soucier un instant des états d’âme de ses colocataires. Le jeu était une compétition. L’argent à la clef ne l’intéressait pas, ni même la notoriété d’ailleurs. Le jeu en lui-même était son unique motivation.

« Mon savoir n’est pas gratuit. » Répliqua-t-il d’un ton espiègle tout en la défiant de son regard azur provocateur. Il n’aimait pas donner, il préférait largement partager. Un échange devait être réciproque.

Un calme de la part d'une personne, en disait parfois plus long qu'un discours. D'ailleurs pour moi, le fait que Liam ne dise rien en rapport avec ce que je venais de lui demander, me prouvé peut être qu'il acceptait. Ou peut être avais-je tout faux ? Enfin pour l'instant j'avais envie d'en savoir, plus sur lui et sur sa manière de penser, de voir le monde. Tout ça me plaisait fortement et était bien plus passionnant que mon bouquin. « Dans ce cas ... Que veux-tu en échange ? » lui demandais-je, le fixant attentivement, souriant d'une manière malicieuse. Tout ceci n'était finalement la raison pour laquelle elle avait participer à ce jeu. En plus de l'argent, n'avait-elle pas demandé d'être intéressé par quelqu'un d'intelligent ?

Liam essayait constamment de développer son propre point de vue critique face à toute situation. Contrairement à une majorité il ne buvait pas la parole des médias sans remettre en question leur objectivité quelque soit le domaine concerné (sante, économie, politique ou religion). Il savait parfaitement qu’une histoire se déclinait inévitablement sous plusieurs versions. D’ailleurs, il avait toujours eu du mal à supporter les gens incapables de penser par eux-mêmes, signe d’un cruel manque de personnalité.

« La certitude que tu n’hésiteras pas à t’opposer à moi si nos opinions divergent. » Répondit-il simplement.

Deux catégories de personnes existaient à mes yeux : Les influençables et les influencés. Je voyais Liam du côté des influençables. Il n'écoutait que sa raison, ce qui était tout à son honneur. Je me voyais d'aucun de ces côtés. Non, je n'allais pas utiliser le cliché je-suis-clairement-unique, c'était juste que comme d'habitude, je ne savais pas ce que je représentais. Peut être suivais-je une façon de pensée sans m'en rendre compte ou alors j'avais ma propre manière de pensée, sans écouter les autres. Je n'étais sûr de rien, mais j'allais le découvrir grâce à lui. « Je ne suis peut être pas sûr de tout à mon sujet, mais je suis sûr d'une chose, la franchise est l'une de mes grandes qualités -peut être aussi un défaut- et je n'hésiterais pas une seule fois à te dire le fond de ma pensée lorsque je ne serais pas d'accord avec toi, tu peux compter sur moi. » lui dis-je, un sourire un peu plus discret, plus naturel.

Liam avait toujours considéré la franchise et l’intégrité comme des qualités essentielles. Certes la vérité pouvait causer de nombreux torts mais définitivement moins qu’une vie dans le mensonge. De même pour la fausse modestie ; le jeune Angelin passait souvent pour un homme arrogant et hautain, pourtant il était juste conscient de ses atouts et refusait catégoriquement qu’on le brosse dans le sens du poil. Il préférait amplement la compagnie de ceux capables de le défier. Sheelah accepta donc sa condition, se décrivant comme une personne honnête. Il était ravi de savoir qu’elle ne lui dirait pas ce qu’il voulait entendre, qu’elle affirmerait ses propres opinions.

« Quelle est ta plus grande ambition ? »

L'ambition ou le seul but depuis des années que je n'avais pas eu encore la chance d'atteindre. J'avais bien sûr comme beaucoup de personne un objectif que je voulais réussir à tout prix. Je n'en parlais pas partout, puisque la vantardise n'était pas vraiment le mot par lequel on pouvait me qualifier. Je n'avais rien de modeste non plus, puisque je savais où se trouvait chacune de mes qualités, enfin en partie. Pendant que Liam me posait une question, je retira mes chaussures, pour me mettre dans une position beaucoup plus à l'aise, pieds sur le canapé, en épargnant Liam, donc sans lui donner de coups, tout ça en l'écoutant attentivement. « Partir loin de là où je vis actuellement et ouvrir ma propre librairie, là où je m'installerais. Ce n'est pas une ambition démesurée, ni l'une des plus glorieuse, mais c'est celle que j'ai décidé d'avoir. Et de ton côté ? » lui dis-je, le regard assez pétillant par moment.