Le temps passe tellement lentement, prisonniers de ces quatre murs de prison. Dans les faits, nous disposons d’un petit peu plus que quatre murs, la partie extérieure de la prison est convenable… Elle le fut pendant vingt-quatre heures en tout cas. A présent, j’aimerais simplement être à dimanche pour connaitre le nom du groupe de candidats qui, parmi nous, aura la chance d’intégrer l’aventure et de rejoindre un endroit nettement plus festif et intéressant à découvrir et exploiter. Ici il n’y a pas grand-chose à faire, nous ne nous connaissons pas et j’ai l’impression que personne n’ose vraiment se risquer à organiser un petit quelque chose pour dire de tous nous réunir une fois. Je suis peut-être avide de sensations mais j’ai horreur d’être envoyée balader, je reste donc bêtement de mon côté moi aussi, à attendre de trouver la moindre petite occasion pour nouer contact avec quelques personnes. Je déteste la solitude, je suis toujours très entourée au quotidien, j’ai l’habitude de rencontrer du monde et je suis à l’aise en public. La différence avec notre présente situation ? Les gens paient pour me voir sur scène, ici personne ne souhaite me voir, nous sommes tous de parfaits petits inconnus qui espèrent… Qui espèrent quoi d’ailleurs ? Je m’arrête net, coupée dans mes pensées par la vision d’un homme en plein… Poirier ? Séance de gymnastique ? Yoga amélioré ? J’hésite et je ne tarde pas à m’avancer suffisamment près pour pouvoir me permettre de lui poser cette question. « Euh… Tu fais quoi ? » Non parce qu’il n’y a rien d’évident, pas une réponse magique qui saute aux yeux, les possibilités sont multiples, surtout quand on a autant d’imagination que moi. « Je me suis dit que si on le regardait dans l’autre sens, ça aurait peut-être l’air plus moche… » D’accord, je peux donc exclure de mes hypothèses une quelconque forme de folie, pour le moment en tout cas. « Et ça marche ? J’ai du mal à croire que l’on puisse trouver cela moins moche, même à l’envers. » Je marque une pause et, dans un haussement d’épaules reprend. « Avec un peu d’alcool fort peut-être… » Il me manque une bouteille de vodka, ou du whisky… Même de la téquila, ça me réchaufferait là, tout de suite, parce qu’on caille avec ce vieil uniforme orange pourri. « Tu es la seule personne dont le teint n’est pas totalement gâché par la couleur de ces combinaisons. Quelle chance ! » Je baisse la tête pour regarder mes mains, histoire d’en juger par moi-même. « Peut-être, mais c’est très léger, personne ne peut être mis en valeur avec un tel orange. » Je marque une pause, et m’installe, à même le sol, en tailleur. « T’es gymnaste ? »

La propriété derrière les grilles a l’air nettement plus intéressante que la prison dans laquelle nous sommes forcés de cohabiter pour le moment. Il faut dire qu’un studio me paraitrait plus luxueux qu’une villa à ce stade. Trouver le jeune garçon dans une position quelque peu particulière ne me dérange pas, j’ai déjà vu pire, je suis plutôt intriguée à l’idée d’avoir son ressenti après avoir tenté de faire paraitre la baraque derrière les grilles plus laide. Est-ce que cela fonctionne ? Il semble perplexe et je comprends tout à fait pourquoi. La connexion semble néanmoins se briser lorsque je propose de boire beaucoup d’alcool sans transitions en faisant allusion à notre horriblement moche prison. On pourrait lui trouver des points positifs une fois ivres. « Oh non, je ne parle plus de celle-là, je te parle de la prison… Avec quelques grammes dans chaque poche on devrait forcément trouver quelque chose de positif à en dire, tu ne crois pas ? » J’espère en tout cas, je n’arrive pas à le faire à jeun mais pompette tout est possible. Je ne tiens pas du tout l’alcool, j’en sais donc quelque chose. Tout parait tellement plus… Beau, parfait, resplendissant quand tu es bourré. A condition d’avoir l’alcool joyeux bien entendu. Il me coupe dans cet élan imaginatif en trouvant moyen d’encenser, il n’encense pas Greta, il trouve juste un point positif là où tu n’en vois pas !, nos combinaisons oranges. « Tu n’as pas tort, mais ne pas pouvoir se changer pendant une semaine, ça, c’est de la torture. Laver la combinaison c’est prendre le risque d’être à moitié à poil pendant des heures le temps qu’elle sèche qui plus est. » Et là, aucun doute qu’il en verra de la chair ! Puisque tout est possible, je questionne Sandy sur la gymnastique, il est un petit peu frêle mais le talent permet à des personnes qui n’ont pas le profil de parfaitement s’intégrer à certains métiers. Je me suis gourée sur toute la ligne et je me rends compte par la même occasion qu’il est vraiment très maigre lorsqu’il tire sur sa combinaison. « Tu devrais t’engraisser un petit peu, à moins que ce soit maladif ? » Je commence avant de me rendre compte de la bêtise que je viens de sortir. Je reprends aussitôt, gênée. « Toutes mes excuses, je suis indiscrète et je manque cruellement de tact ! » S’il n’y avait que cela… Changeons vite de sujet. « Je m’appelle Greta, au fait… Enchantée ! »

Un problème assez étrange et inédit s’installe rapidement entre Sandy et moi. J’ai l’étrange impression qu’il ne me comprend pas, interprète-t-il au premier degré les expressions pourtant suffisamment répandues pour être comprises par n’importe qui ? Je me sens tout de suite plus perplexe, d’autant plus qu’il me répond d’une manière encore plus étrange. J’hausse un sourcil, pas certaine de saisir le message qu’il tente de m’envoyer. « Je n’avais pas de baignoire plus jeune ! Mais je suppose qu’on l’a tous déjà fait ? » Ouais, parce que quand on est jeune on est stupide et que ça ne s’arrange pas du tout avec l’âge. Le gant de toilette ne peut pas contenir de liquide puisque le liquide traverse. Peut-être qu’un petit malin parviendra un jour à contourner cette affirmation et à surprendre tout le monde en parvenant à conserver de l’eau dans ce putain de gant de toilette mais je n’y crois pas trop. Pragmatique la fille. On devrait offrir la palme du mec qui te plombe en moins de dix secondes à ce jeune garçon. Définitivement pas le genre de personnes que j’aime côtoyer si c’est pour qu’il t’empêcher de pester en mettant en exergue la vie encore plus pourrie d’autres personnes. Je ne suis pas insensible comme fille, ce qui a été fait aux juifs par les Nazis ça n’a pas de nom, cela va au-delà de l’atrocité et offre une image répugnante de l’être humain, à gerber… Mais est-ce une raison pour se comporter en vieux sage ? « Pas besoin de remonter à la Seconde Guerre Mondiale pour trouver des exemples de gens qui ont une vie plus pourrie que nous et qui n’ont même pas de fringues à se mettre sur le dos. » Qu’il sorte dans la rue, il devrait déjà trouver quelques exemples parmi les SDF, qu’il fasse un tour dans les pays en voie de développement, ceux en guerre, ce genre de contextes où l’humanité est clairement mise à l’épreuve. Le petit gars maigrichon me sort une autre bombe, il n’apprécie pas particulièrement de se nourrir. Si je pouvais être comme lui, je ne serais surement pas forcée d’enchainer les heures en salle de sport pour combattre la cellulite et les kilos en trop. « D’accord. » Je sens le sujet casse-gueule que je préfère éviter, je ne sais pas encore à qui j’ai à faire après tout. « Enchantée Sandy. » Il me demande ce que je fais dans la vie, un bon moyen de repartir sur de bonnes bases, loin des sujets plus tendus de tout à l’heure. « Je suis danseuse, et toi ? »

Sandy est clairement maladroit lorsqu’il me questionne sur mes origines sociales. Je pourrais très mal prendre l’insinuation qu’il fait, pourquoi le fait de ne pas avoir eu de baignoire enfant signifierait-il que j’ai grandi avec très peu d’argent ? Bon, il se trouve qu’il a tout à fait raison, je n’ai pas grandi avec une cuillère en argent dans la bouche mais je n’ai jamais manqué de rien pour autant. Mes parents se sont sacrifiés pour moi, ils ont tout donné pour que je puisse avoir une enfance digne de ce nom, sans avoir à me soucier des problèmes d’adultes. Dommage qu’ils n’aient plus été aussi présent pour moi lorsque je suis tombée enceinte. Ce fut une déception pour eux, à la limite de la honte, une femme qui tombe enceinte adolescente de son petit-copain et qui est forcée d’arrêter ses études ça ne le fait pas vraiment. Une chance qu’ils se soient rattrapés comme ils ont pu ces dernières années. « Nous n’étions pas les plus riches, mais nous nous en sommes toujours sortis. Nous n’avions juste pas de baignoire, juste une douche ! » Je précise, neutre dans l’intonation de ma voix. Je rebondis sur ma profession, danseuse, pour m’éloigner d’un nouveau sujet potentiellement casse-gueule… A croire que nous sommes incapables de communiquer sans enchainer les gaffes. La révélation de mon métier semble l’inspirer, il se déride et laisse même exploser une certaine joie que je ne lui connaissais pas. « Tu travailles sur des films ? » Je le questionne à mon tour, très emballée par ce qu’il me raconte. J’en oublie presque de lui répondre, lui qui attend de savoir si j’ai une spécialité. « Je me produit généralement à Broadway dans des comédies musicales, je touche un petit peu à tout. Je travaille néanmoins depuis une quinzaine d’années sur le ballet, j’aimerais lancer mon propre show lorsque je me sentirais prête à porter un gros projet sur mes épaules de la conception à la mise en scène. »