@Salomée

Elle était réveillée depuis deux bonnes heures au moins mais elle n'avait pas osé bouger. Un des inconvénients d'avoir décidé de dormir dans le lit du haut mais d'être obligée, par une sorte de règle de bienséance, à ne pas faire de bruit en premier; et puis elle avait mal au dos aussi. Elle avait rarement aussi mal dormi et elle ne saurait s'habituer à ce lit avant la fin de la semaine. Dans tous les cas elle pouvait au moins se réjouir de voir le temps défiler et les jours passer, même plutôt lentement. Bientôt, elle entrerait dans le nid et y trouverait un lit confortable, elle l'espérait, ou alors elle rentrerait chez-elle. Enfin quoi qu'il arrive, elle n'aurait plus à supporter ni ce vieux matelas ni ces couvertures irritantes encore longtemps. Le passage sous la douche était dur lui aussi. Elle n'arrivait jamais à avoir d'eau chaude. Elle maudissait cet endroit et les autres qui prenaient toujours trop de temps alors qu'elle ferait pareil si elle était à leur place, à l'heure où l'eau ne glace pas les os. En sortant, elle était gelée, elle ne sentait rien parce que le savon ne sentait rien et elle avait la peau sèche. Elle voulait son gel douche plein de saveur et sa crème hydratante. Sa serviette sentait le chien mouillé. Elle avait envie de pleurer mais ce n'était pas digne d'elle, elle serrait les dents. Elle avait enfilé sa culotte et était en train d'attacher son soutient-gorge. Une jeune femme avait fait irruption dans la pièce. « L'eau est pas froid, elle est glacée. » Peut-être qu'elle avait eu le temps de se laver à l'eau chaude, ou au moins tiède, elle, mais si elle venait justement pour cela autant la prévenir. « Et ça glisse par terre, désolée. » Il n'y avait pas vraiment de tapis de bain non plus. Ce que ça l'agaçait, mais elle souriait quand même, d'un air un peu pincé, pour faire comme si de rien n'était.

L’erreur de la veille ne se reproduirait plus. Ce matin c’était décidé Salomée se lèverait tôt pour avoir une douche chaude. Le seul facteur qu’elle n’avait pas pris en compte dans son calcul était la queue qu’il pouvait y avoir à une heure aussi matinale. Il faut dire que lorsqu’il n’y a que soixante minutes d’eau chaude forcément ça se bouscule au portillon, sans oublier les pétasses qui en utilisent vingt pour elles toutes seules. Putain. S’agaçant dans un florilège d’insultes intérieures Salomée gardait toute sa patience en s’imaginant calée sous des jets d’eau chaude. Derrière de la queue, elle atteint enfin les douches lorsqu’une brune lui lâcha l’impossible. Elle se stoppa violemment, l’annonce faisant l’effet d’une bombe dans son petit cerveau. « Non ?!  » De quoi l’enrager en une fraction de seconde et lui pourrir le reste de sa journée par la même occasion. Froide. Elle s’était levée pour de l’eau froide ?! Et si en plus ça glissait par terre alors Salomée possédait une raison de plus pour pester. « Putain la totale y a vraiment rien à tirer dans cette prison à la con ! » Le pire c’est qu’elle avait même pas envie de retourner sous sa couette pour se réconforter ou se calmer puisque le lit était tout aussi pourri. Bref elle craquait, c’était la goutte d’eau froide qui faisait déborder le vase. « J’imagine que celui qui était avant toi a eu de l’eau chaude. » déclara t-elle sur un ton mauvais et amer. « Ca m’saoule. » conclua t-elle prête à bouder puisque de toute façon c’était la seule chose à faire en attendant qu’elle digère la nouvelle, drama queen qu'elle était.

La pauvre petite était arrivée trop tard et n'en croyait pas ses oreilles. Moïra aurait aimé trouver quelque chose de réconfortant à lui dire mais rien ne venait. C'était la dure vérité, l'eau chaude était partie dans les canalisations, emportant la crasse des corps d'autres qu'elles. Il fallait se faire une raison. La réaction de la jeune femme avait de quoi amuser Moïra, qui ne se permettait pas un sourire pour autant, car elle aurait très bien pu faire la même scène il y a quelques années de cela, quand elle était jeune et qu'elle pensait qu'un petit rien équivalait à la fin du monde. Ce qui devait encore avoir une part de vérité dans son esprit. Et puis en fait, ce n'était pas un si petit rien que ça,ils étaient plusieurs et ils étaient des problèmes majeurs de leur existence à tous. Elle regardait la demoiselle du coin de l'oeil. Elle supposait que celui ou celle qui avait été à la douche avant elle avait eu de l'eau chaude. L'irlandaise avait haussé les épaules, enfilant la combinaison orange en essayant d'éviter de la voir tellement elle la révulsait. « Je ne sais pas, peut-être. Moi en tout cas je n'en ai pas eu. » Voilà pourquoi elle n'avait pas été longue, elle avait surement établi le record de la douche la plus courte de l'histoire pour une femme dans son genre, qui habituellement se prélasser une heure dans son bain moussant avant ne serait-ce que songer à sortir de l'eau, ses pauvres petits doigts commençant à friper. « Tu as manqué l'heure hier aussi ? » Si c'était le cas elle comprenait vraiment sa douleur. Moïra pensait qu'une douche froide ça faisait du bien de temps en temps, mais il fallait que ce soit parce qu'on le veuille et non qu'elle nous soit imposée, puis deux jours de suite, en automne dans ce pays au temps de chien, ce n'était pas la meilleure chose qui soit, à moins de vouloir attraper la crève. « On devrait dormir ici cette nuit pour avoir une chance d'arriver à temps demain. Ou alors on joue des coudes, on dit que c'est une question de vie ou de mort. » Elle était sérieuse, il y avait une chance que l'une ou l'autre de ses idées fonctionnent. Et sinon, elles n'auraient qu'à tuer tous les autres. Ce serait radical mais relativement efficace...

Sachant que la durée d’eau chaude était limitée et qu’ils étaient des dizaines à grouiller dans cette maudite prison ça relevait de l’irrespect que certains restent plus de cinq minutes sous la douche. Sérieusement ça devrait être de l’express, la rentabilité ils connaissaient pas ? « C’était qui ? Je vais le défoncer. » La solution était radicale. Les paroles totalement impulsives. Salomée se contenterait de faire entendre à qui le voulait bien qu’elle n’avait pas eu d’eau chaude en remettant stupidement la faute sur les autres qui n’y étaient pour rien. Le vrai fautif dans l’histoire n’était personne d’autre que la production, cette même production qui allait sûrement leur offrir un luxe de pacha pour les semaines à venir. Soupirant à la question de la brunette, Salomée haussa les épaules dans une violente redescente de colère. « Oui, impossible de me réveiller pourtant c’est bruyant mais le prime m’a complètement cassée. J’aurais préféré vivre dans les bois plutôt que dans une prison. » Elle vivait vraiment mal ce dernier fait. Elle aurait tout supporté sauf ça. Ce n’était que le deuxième jour et il y en avait pour une semaine, de quoi prendre sur soi sans craquer pour autant. Du moins elle l’espérait. Son interlocutrice proposa des solutions astucieuses pour choper l’eau chaude le lendemain. « C’est le meilleur moyen de déclencher une bagarre générale tellement tout le monde commence à être à cran. Non, ce que je te propose c’est de la jouer fine et d’arriver avant tout le monde pour premièrement prendre nos douches à l’eau chaude et deuxièmement les faire ensuite monnayer pour l’accès. » Marquant une petite pause elle réfléchit à quel point son idée pouvait être bénef. « Du coup pour ça il faut dormir ici, on revient à ton idée. Bien ouej ! » Un sourire illumina son minois avant qu’il ne retombe brutalement « Je déconne c’est trop dégueulasse ici, c’est à peine si j’ose enlever mes chaussures au moment de prendre ma douche. » C’était propre en arrivant mais avec des dizaines de personnes circulant là-dedans sans que personne ne nettoie forcément la crasse s’installait à une vitesse hallucinante. « A la limite je peux venir te réveiller demain. » proposa t-elle en solution ultime, de toute façon elle était sûre de ne pas rater le réveil. Hors de question qu’elle se fasse avoir une troisième fois.