Les mains dans les poches de ma combinaison, j'observe au loin. J'ai été comme attiré par cet endroit, et je sais très bien pourquoi : j'ai envie de sortir. C'est absurde l'effet que me fait cette prison. Je sais que c'est irrationnel, que je ne suis pas vraiment enfermé, et qu'il n'y a pas de raison concrète pour que je le sois pour de vrai. Mais tout de même, ça me fait quelque chose, quelque chose qui m'enserre la gorge, fait brûler ma poitrine et me donne des sueurs froides, de temps en temps. Et le regard au loin par delà les grilles, je ressens encore plus ces sensations désagréables. Pour une fois, je me laisse un peu aller, je me laisse vivre ces choses qui grondent en moi. Cette peur viscérale. Cette phobie stupide de l'enfermement dans cet endroit spécifique. Je ne suis pourtant pas claustrophobe. Et comme pour me sauver de mon propre égarement, il y a cette jolie fille qui apparaît de nulle part et qui se fait d'abord introduire par sa voix. Mes yeux se détournent de l'horizon pour se poser sur elle, et c'est beaucoup plus reposant. " ouai, un peu que c'est narguant, j'aurais presque préféré qu'on soit enfermé à l'intérieur. " Ou peut-être pas. " c'est, et toi c'est Jade. " J'ai bien fait de faire très attention aux prénoms cités pendant le prime, c'est la clé des bonnes rencontres, les gens adorent qu'on se souvienne de leur identité, et j'en suis le premier charmé. Un sourire vient se loger sur mes lèvres pour tout de suite partir à sa prochaine remarque. Je me demande comment elle a fait pour savoir. " pas exactement du noir, j'ai peur du noir dans certaines conditions. " Je me dévoile un peu, ça n'engage à rien. Je ne suis pas du genre à tout garder pour moi. Enfin, si. Mais juste deux, trois trucs. Rien d'autre, je dévoile tout le reste. Comme ça on croit que je n'ai plus rien à cacher. " j'imagine que tout le monde a ses peurs un peu stupides et bien humiliantes, même les jolies jeunes filles. "

Ce n'est pas une fille légère, ni inconsidérée. Elle observe et elle ne laisse échapper aucun mot. C'est effrayant de s'adresser à elle et en même temps agréable, parce qu'elle ne laisse rien passer mais ça montre bien qu'elle s'intéresse, au moins un minimum. Et puis elle sourit en même temps, comme si je n'avais rien à craindre, comme si ce que j'allais révéler ne serait pas repris contre moi, et j'ai confiance. Je ne suis pas un garçon difficile, il suffit d'un sourire et de quelques mots et je suis déjà attaché, prêt à me dévoiler et à partager tout ce que j'ai à partager à l'instant même. C'est-à-dire en l'occurrence, pas grand chose. " maligne, la petite. " je lui offre un sourire joueur. Je résiste un peu pour la forme, je n'ouvre pas la bouche et je laisse juste mon sourire répondre. J'hausse des épaules quand elle dit qu'il ne faut pas en avoir honte. Ca ne fait tout de même pas très virile comme phobie. La peur du noir c'est pour les petits, ou les traumatisés. Et je ne me considère ni l'un ni l'autre, enfin je crois. Je soulève un sourcil quand elle certifie n'avoir peur de rien. Ca ne prend pas sur moi, je ne suis pas crédule. Mais elle n'a pas l'intention de mentir très longtemps car elle se dévoile aussi. Et j'ai un sourire de sympathie. " ouai, je comprends, les peurs débiles de l'enfance qui viennent te hanter toute ta vie. c'est un peu ça aussi, la peur du noir chez moi. " Je me mordille la lèvre, pas très sûr si c'est une bonne idée de dire toute la vérité, mais je ne tiens pas vraiment à garder toutes ces choses sur moi, alors qu'elle semble ouverte et à l'écoute. Comme pour la remercier de sa gentillesse, je commence réellement à me confier : " disons que je déteste le noir quand je sais que personne dont j'ai confiance n'est là pour moi si je suis en danger. je sais pas pourquoi, mais j'identifie toujours l'obscurité au danger quand ce n'est pas la fête ou quand je n'ai pas quelqu'un d'intime à côté de moi. " C'était une demie vérité, une vérité non explicite qui ne comportait pas les faits, mais juste les conclusions.

J'insiste un peu pour qu'il développe sa peur inconsidérée du noir. Sa remarque m'arrache un simple sourire. « Toujours » je dis en me la jouant faussement imbue de moi-même. Il est vrai que j'ai quand même tendance à flairer lorsque mon interlocuteur fait de la rétention d'informations et ça m'amène à avoir encore plus de creuser. Et je suis plutôt douée pour amener à faire parler, enfin, en général. Je veux bien même monnayer sa réponse, je donne, il donne. C'est bien comme cela que fonctionne les trocs. Je lui offre l'une de mes pires phobies, parce que oui, il y en a plusieurs. Les abeilles. J'en fais encore des cauchemars, où je me réveille brutalement, en sueur et complètement flippée. C'est ridicule, c'est totalement humain quoi. Rien qu'en parler, j'ai presque les poils qui s'en hérissent d'horreur sur mes bras. Alors maintenant c'est à son tour. Je croise délicatement mes bras sur ma poitrine. J'écoute sa réponse alors qu'un vague sourire, quasiment fantomatique se fend sur mon visage, l'éclairant partiellement, je connais souvent cette sensation, mais je n'ai pas besoin qu'il fasse nuit. « Et donc c'est qui la personne en qui tu as le plus confiance ? » je l'interroge de mon doux soprano, enroulant une mèche rouille autour de mon index, mon regard perdu dans le flou. « Tu fais comment ici, la nuit ? » j'ajoute en plus avant de pivoter sensiblement dans sa direction, parce que déjà le lieu ne donne pas tellement envie, qu'on se le dise, et j'imagine que sa personne de confiance ne fait pas partis des futurs candidats. Enfin, j'imagine. Il ne doit pas tellement être à son aise.

Elle m'écoute patiemment et sa patience me donne envie de tout lui dire, encore un peu, parce que ce n'est plus se livrer, c'est juste dire les choses telles qu'elles sont, telles qu'on a envie de les exprimer. Ce n'est pas une libération, parce que je ne serais jamais libéré de ça. Peut-être que j'aurais pu m'en libérer, un jour, mais je ne l'ai pas fait, et c'est trop tard maintenant. Elle écoute et ça a l'air de l'intéresser, ou tout de moins elle ne me fait pas taire. Non, mieux, elle pose des questions. Mieux encore, elle pose les bonnes questions. Mais définitivement, ce sujet est beaucoup trop sensible pour moi, il fait ressurgir des choses que je pensais ne pas se retrouver ainsi, dans mon quotidien dans l'émission, aussi vite. Je pensais sérieusement que personne n'atteindrait cette partie de moi aussi vite. Mais j'avais tort. Les personnes ici n'ont rien d'autre à faire que se questionner sur les autres. Et puis c'est trop tentant d'essayer de comprendre l'autre dans un espace clos, quand on le voit toute la journée, et même la nuit. Je ne lui en veux pas de poser ses questions, mais elles me prennent clairement à la gorge. Alors ma voix est un peu roque et mes yeux se détournent d'elle. " Ma femme, Lou. " Ce n'est pas exactement vrai. Mais je ne vais pas tout dire tout d'un coup. " alors la nuit ... je me tourne vers le lit d'une fille, là, Salomée. elle a l'air cool, je l'aime bien. je fais comme si on se connaissait bien, et ça passe mieux. à vrai dire, je dors très mal. " J'hausse des épaules, et je regarde mes mains qui jouent entre elles, nerveusement. Et puis je me détends, tout doucement. " et tu fais comment avec les abeilles ? " C'est ridicule comme question, mais je n'ai plus rien en stock, un peu essoufflé des émotions qui m'ont envahi l'espace de quelques minutes.

L'image de Lou se superpose à celle de mon frère, mais je n'y peux rien, c'est comme ça depuis longtemps, mon histoire avec l'un se mêle étroitement avec celle que j'ai eu avec l'autre. En vérité, cela fait peu de temps que ces deux histoires ne se croisent plus, qu'elles se sont séparées pour suivre deux chemins bien distincts. Mais dans ma tête, c'est toujours la même confusion entre ces deux personnes qui ont trop fait dans ma vie. " avec Lou ? On se connait depuis longtemps mais on est marié que depuis un an, à peu près. " Je me demande si elle regarde l'émission, à mon humble avis, non, elle a du éteindre son poste de télévision dès ma première apparition à l'écran, juste parce que c'est étrange de me voir comme ça, avec d'autres et de ne pas avoir de véritable contact. Et j'espère qu'elle ne regarde pas, ou pas trop, parce que je n'ai plus envie de sentir son regard sur mes épaules, enfin pas vraiment. " Salomée ? ouai, elle a pas l'air comme ça, mais je pense que son côté observatrice, c'est sa manière de faire attention aux autres. elle peut même être sympa, parfois. bon, j'irai pas lui demander de me serrer contre elle si je fais un cauchemar, pour sûr. " Je ris à sa description d'elle face à une abeille. C'est mignon, même si ça a l'air de la traumatiser complètement. J'espère que mon rire ne la gênera pas trop, il n'est pas méchant, même pas moqueur, juste visualiser la scène est un peu drôle. " heureusement que tu as une soeur courageuse. enfin, je peux bien parler, avant Lou, c'était mon frère, ma personne de confiance la nuit. "