THEY SAY THERE IS NO LIGHT WITHOUT DARK
NO GOOD WITHOUT EVIL
@lorena

Khadija poursuit sa visite du nid géant, fidèle à sa volonté de faire le tour de chaque recoin des lieux pour s’en faire une idée précise et se sentir ici chez elle. Elle adore cet endroit, il est… semblables aux rêves qu’elle en a fait avant d’y arriver. Elle s’y voyait, s’y imaginait, et tout y est, rien ne manque. Cette petite porte, là, qu’est-ce que c’est ? Une pièce, moins vaste que les autres, plongée dans le noir. Ses mains tâtonnent à la recherche de l’interrupteur qu’elle finit par trouver et actionne. Oh ! Surprise inattendue : un véritable studio d’interview ! Elle bondit à l’intérieur en oubliant de fermer la porte derrière elle. Les lampes sont allumées et éclairent fortement une table munie de deux micros – pour le journaliste, et pour l’invité. Tellement stylé. Elle s’assoit du côté du journaliste et attrape le micro, se penche sur lui. — J’ai le plaisir et l’honneur d’accueillir aujourd’hui… Sa voix résonne et elle en a un frisson d’excitation, digne d’une gamine de huit ans. Quelqu’un a passé la tête par l’entrebâillement de la porte et l’observe. Elle tourne la tête et aperçoit Lorena, la blonde brésilienne incendiaire qui fait ravage sur ravage au sein du nid. Celle-là même qu’elle tenait absolument à rencontrer, car elles font toutes deux partie de la team Allen. Toujours penchée sur le micro, elle poursuit : — La divine Lorena, experte en style et en management des stars les plus uniques de notre siècle, Lorena, venez me rejoindre ! Sa main appuie sur la touche « applause » du pad sous le micro et des applaudissements à tout rompre se déclenchent dans les enceintes qui entourent le studio. C’est le moment de s’entrainer à la gloire médiatique, et Lorena a l’air parfaitement à l’aise dans cet exercice.

J’étais difficilement impressionnable. Il m’en fallait beaucoup pour me surprendre, et Cupidon avec son Nid, y était presque parvenu. À quelques détails prêts, tout juste. Pour dire, il s’en était fallut de peine pour que j’ose réellement affirmer être charmée par l’endroit. Pour le moment, j’appréciais la majorité des recoins où j’avais eu la chance de poser pied, mais si ce n’était pas décoration de la pièce, c’est sa vocation qui me dérangeait. Et que dire du parc d’attraction. Je rêvais d’un lieu plus luxueux… mais ça plaisait à la majorité, et je finirais bien par me laisser prendre au jeu, moi aussi. Pour l’instant, je préférais garder mes distances. Laisser la frénésie du début faire son temps, et ensuite, en profiter allégrement, même s’il était très laborieux de laisser la gamine en moi refaire surface. Oh, elle n’était jamais bien loin, mais pas nécessairement pour les bonnes choses, ou les bonnes raisons. Je déambulais dans le couloir du rez-de-chaussée, prévoyant rejoindre le patio pour prendre un bain de soleil en cette fin d’après-midi quand mon regard s’attarda sur une porte, ouverte de toute sa grandeur, à ma droite. Je m’y attardais, l’espace de quelques secondes, et ce fut suffisant pour que l’occupante à l’intérieur ne me remarque, m’invitant à la rejoindre en des termes plutôt flatteur. Le meilleur moyen de me convaincre, elle l’avait trouvé. Réajustant, par habitude, les plis de mon chemisier, c’est sous un tonnerre d’applaudissement artificiel que je fis mon entrée, la tête bien haute et fière. J’allais rejoindre la jeune femme, la saluant d’un signe poli de la tête. « Ma chère Khadija, c’est un plaisir pour moi d’être reçue sur votre plateau. » Son nom m’avait, curieusement, restée en tête. À la fois membre de la même équipe, et dormant dans la même chambre, il ne pouvait en tête autrement.

Elle observe Lorena lisser les plis imperceptibles de son chemisier, et faire son entrée, curieuse et attirée à l’idée de se voir ainsi mise en scène. Ce côté légèrement narcissique aurait pu sembler présomptueux à certains ; Khadi trouve ça trop mignon. Elle est comme un chat, qu’on attire en sachant comment l’appeler, et avec quelque chose dans la main, comme un petit bol de lait. Indépendante et centrée sur elle, belle, agressive : pourquoi pardonnerait-on ces adjectifs aux chats et pas aux femmes ? Khadija lui sourit tandis qu’elle prend place en face d’elle. Penchée sur le micro, ses longs cheveux dorés tombant de chaque côté de ses bras, elle se penche de nouveau pour poursuivre l’interview, sachant très bien que les caméras de Fake Lover ont leurs yeux mécaniques rivés sur elles. — Lorena, les business women sont les femmes de notre temps. Victoria Beckham, Beyoncé, Rihanna… Vous semblez pourtant posséder votre modèle unique, vous ne ressemblez à personne. On vous trouve à la fois le professionnalisme dynamique d’une Michelle Obama, et la sensualité, provocante sans la pornographie, d’une Kim Kardashian. Quel est votre secret, ou plutôt, comment vous suivre sur la route qui mène au succès ? Elle en fait des caisses, et pourtant, rien n’est véritablement exagéré, quand on y pense. Elle a assisté, lors du prime, à la présentation de Lorena. Cette fille, elle porte la réussite à bout de bras comme si celle-ci était aussi légère qu’un nouveau-né. Peu de femmes arrivent à se faire respecter autrement qu’avec leur corps et une attitude provocante dans le milieu du business. Lorena semble avoir réussi ce tour de maitre, car elle est femme d’affaires, avec son père. Qu’aurait-elle à enseigner à toutes les gamines qui regardent Fake Lover, et qui rêvent sans doute d’un avenir glorieux sans pour autant se changer en kardashiante ? Un sourire malicieux aux lèvres, Khadi est prête à dévoiler la réponse au public.

Je brille, lorsque je me retrouve sur le devant de la scène. Pourtant, de par mon métier, c’est plutôt dans l’ombre que je travaille, et je ne m’en suis jamais plainte. À une certaine époque, il y avait des faiseurs de rois. Moi, je suis celle qui fabrique les stars de demain. Et si je parviens à briller, c’est parce que leur étoile rayonne dans le firmament d’Hollywood. Je gravite autour d’eux, et autant il m’est possible de les propulser sur le devant de la scène, autant je suis capable de ruiner leur carrière en moins de temps qu’il n’en faut pour claquer des doigts. C’est de là que j’ai gagné mon respect, et ma place au soleil bien mérité. Tout comme mon mentor, qui est reconnu pour ses frasques et son entêtement,  voire même son arrogance. Ça fait partie du jeu. La belle semble prendre son rôle à cœur, et elle me questionne dès le moment où je me suis posée sur ce tabouret de bois, qui se révèle des plus inconfortables. Ce n’est qu’un studio d’enregistrement de fortune, après tout. On est loin, très loin, des plateaux de télévision à la Ellen Degeneres ou Jimmy Fallon. « C’est absolument flatteur de me comparer à la première dame des États-Unis : Michelle, pour l’avoir rencontré à quelques reprises, est une femme d’exception, et elle possède une grande classe que je lui admire. Par contre, je suis légèrement insultée par cette association d’avec Kim Kardashian. Elle n’a connu de succès qu’en raison d’un sex-tape sur Internet, il n’y a rien de gratifiant là dedans. » J’ai beaucoup de mal avec les membres de cette famille : rien que de parler d’eux me donne de l’urticaire. Et ce n’est pas que Kim, mais sa mère, ses sœurs, ses demi-sœurs et même son beau-père, désormais connu sous le nom de Caitlin, que je suis incapable de supporter. Il n’y a que Kendall qui soit tolérable, et encore. Ils ont beaucoup trop de visibilité, beaucoup trop d’argent aussi. Plusieurs personnes de talents, que je côtoie régulièrement, ne touchent même pas le thier de ce qu’ils peuvent faire en une journée. C’est insultant. « Il n’y a pas de route magique pour atteindre ses buts : il faut seulement savoir suivre son instinct et ne pas avoir peur de foncer la tête baissée, sans savoir ce qui nous attend. Prendre des risques, faire des erreurs, ça fait partie du processus. On se relève plus fort, on recommence et, qu’on y parvienne ou pas, l’important c’est de toujours progresser, de ne jamais se laisser abattre ou arrêter. » C’est le seul véritable conseil que je peux donner à ceux qui veulent réussir dans ce métier, ou dans n’importe quelle sphère de leur vie. « Il ne faut pas avoir peur d’aller vers les gens, de provoquer des rencontres, de vous faire remarquer. Sauter sur toutes les opportunités qui vous passent sous le nez : qui sait où ça vous mènera. » Au même moment, avec un sens du timing impressionnant, une mélodie se met à résonner dans toute la pièce. Il me faut quelques secondes pour comprendre ce que ça signifie. Autant dire que je ne me fais pas prier pour me prendre au jeu. « Comme celle-ci. » Et sans attendre le consentement de l’animatrice-candidate, je me relève de mon siège pour aller kidnapper ses lèvres dans un baiser qui laisse beaucoup trop de place à l’imagination pour tous ses hommes rivés à l’antenne. Ça, c’est de la bonne télévision.

Ah, la comparaison avec KK semble avoir offensé Lorena. Khadija écoute attentivement la remarque, sans se départir de son sourire aimable et fasciné par tout ce qui peut sortir de cette bouche ronde et pulpeuse. Une fois la tirade de Lorena terminée, Khadi s’enfonce dans son fauteuil de présentatrice, les bras croisés. — Pour ma défense, Lorena, je dirais deux choses. D’une, j’évoquais la sensualité de Kim, le fantasme qu’elle suscite chez le public, et sa capacité à se faire suivre par les membres de sa génération. Arménienne, écossaise, néerlandaise : on ne peut pas dire qu’un tel mixage d’origines la desserve au niveau du physique. Elle marque une pause. Là s’arrêtait la comparaison « belle plante ». A sa manière, la sulfureuse Lorena se distingue radicalement des poupées rachitiques du monde de la beauté actuelle. Elle présente un physique neuf. — Vous êtes atypique, Lorena. Vous provoquez l’adulation générale parce que vous cassez les codes auxquels la société médiatique nous a trop habitués, jusqu'à nous ennuyer, elle lâche d’un ton clair qui semble fouetter l’atmosphère du petit studio. Elle se rapproche de la table, ses bras reposés sur le plateau. — Kim a monétisé le succès comme peu de personnes avant elle. Elle est productrice, tout comme sa mère l’a été pour elle. Une success story exclusivement girl power. Et vous aussi, Lorena, vous êtes une femme puissante et séduisante à la fois. Angela Merkel fait pâle figure à vos côtés, elle ajoute dans un mince sourire. Angela a beau être femme puissante, elle n’a pas le physique qui accompagne un succès to-tal. Elle écoute les conseils de Lorena aux futures générations powerfull, hochant la tête à ses remarques sur la nécessité de foncer, de prendre des risques, et surtout : d’accepter de perdre, parfois, ce qui fait partie du jeu. Ses yeux verts cernent la caméra qui leur fait face, et le public à travers elle. — N’oubliez pas ces conseils, ils viennent des meilleurs, dit-elle avec sérieux en faisant référence à Lorena et à tout son patrimoine, son père, bref, ceux qui forment avec elle un tout réussi et enviable. Une musique retentit alors et, à la masse, Khadija pense qu’il s’agit du studio. Peut-être un gimmick que lance la production pour animer l’émission qu’elle vient d’inventer ? Mais Lorena s’est déjà levée et s’avance vers elle. Qu’est-ce que… Ce contact sur ses lèvres raidit ses cuisses ses mains se crispent sur la table. Ok, ok, réfléchis, réfléchis vite. Musique, action, production. Fake Lover leur a lancé un défi, tout bêtement. Souviens-toi. Oui, Cupidon, premier prime. Musique du baiser. Son rythme cardiaque ralentit au moment où Lorena s’éloigne. Les longs cheveux de la belle avaient momentanément caché son expression ahurie, et, le temps que la caméra filme de nouveau le visage de Khadi, elle a eu le temps de faire le point et de caler un sourire coquin sur sa bouche. — Nous espérons que le public a su apprécier ce moment d’intelligence et de sensualité, souffle-t-elle sans se départir de son sourire. — A vous les studios ! De l’index, elle presse de nouveau les applaudissements sur le pad, mettant fin à son émission improvisée. Elle recule sur son fauteuil à roulettes, et pose ses yeux sur Lorena. — Heureusement que je ne suis pas journaliste, n’est-ce pas ? Elle fait écho à ses piètres talents de questionneuse, notamment à la question fatale qui a en quelques sortes « tué » l’interview en vexant son invitée d’honneur.