C’est les mains bien enfoncées dans les poches que Colin vadrouille dehors, sans réellement savoir où il veut se rendre. Il n’a aucune envie de tirer à la carabine ou de tenter sa chance à l’attrape-peluches, les chances d’y viser la cible ou d’y gagner quelque chose étant relativement faibles, ce qui ne provoque que de l’agacement chez Colin, peu réputé pour sa patience. La roue pourrait être une bonne alternative, mais là aussi, sa patience risque de poser problème s’il se retrouve coincé, il est plus probable qu’il tente de sauter au sol plutôt que d’attendre sagement que le clown psychopathe veuille bien le libérer. Le stand de confiseries reste l’endroit le plus susceptible de motiver Colin à errer à l’extérieur, mais il a déjà les poches remplies de bonbons en tout genre qu’il grignote au fur et à mesure de sa balade, ce n’est pas pour mélanger ceux-ci avec du chocolat – quoi que, en fin de compte cela ne le dérangerait pas. Alors, finalement, il abdique et ne cherche pas un endroit où passer du temps, il attend que l’endroit vienne à lui comme une évidence. Et c’est quand il arrive sans réellement savoir comment près du parc à animaux qu’il se dit que c’est une bonne idée, en fin de compte. Il n’a pas encore mis les pieds ici, il n’est pas fan des bestioles, mais c’est une compagnie plus ou moins similaire à celle qu’il a tous les jours à l’intérieur du nid, cela ne devrait pas le brusquer. Et alors qu’il se permet d’entrer dans l’enclot pour y faire un peu le tour et enfin rencontrer en chair et en os les occupants, il a la désagréable surprise de sentir bien vite une présence derrière lui, très proche d’ailleurs, qui semble le pousser en avant. Il repère le poney, l’excité de la bande. « Oh ça va, lâche-moi, va faire un hybride avec la chèvre. » Concept intéressant si elle n’était pas déjà en cloque. Un nouveau coup, puis deux, puis finalement Colin s’avance, mais le manège continue, jusqu’à ce que Galipette se montre un peu trop agressif et que Colin s’avance à une allure bien différente du pas traînant dont il a l’habitude. Et, soudain, révélation. Galipette le kiffe. Un peu trop à son goût, raison pour laquelle il se met à trottiner, de plus en plus vite, à mesure que la bestiole le course, ce qui ne l’arrange pas puisqu’en plus de ne plus être très sportif depuis qu’il a arrêté le lycée, sa blessure à l’abdomen commence à le faire souffrir, étant encore récente. Jusqu’à ce que son sauveur intervienne, en la personne du Prince Disney. Bon, du coup après le poney excité, les oiseaux chanteurs, mais il veut bien faire l’échange. « J’avais pas encore tapé dans la zoophilie, j’me suis dit que c’était le moment de tenter l’coup. » Il rétorque en soupirant tandis qu’il se rapproche du Prince Disney – qui a l’air bien plus intéressé par l’animal que par l’humain qui a failli y laisser la vie – tout en prenant soin de contourner la sale bestiole. Reprenant péniblement son souffle, la main sur l’abdomen pour masser légèrement celui-ci afin d’estomper la douleur, il soupire à la réflexion de Lawrence. « Pff, c’est un coup de la vieille ça, elle a dû demander à Bollywood de fabriquer un filtre d’amour pour booster encore plus Galicon. » Tiens, ça lui fait penser qu’il va falloir élaborer une vengeance. La vieille lui avait effectivement promis – tout en le ramenant dans le couloir en le tirant par le bout de l’oreille – que Galipette allait plutôt se charger de lui. Force de constater qu’elle n’a pas menti. C’est louche tout ça. Jetant un coup d’œil au poney qui semble afficher un air satisfait sur le visage, Colin lui lance un regard noir. « Ouais, regarde-moi comme ça, t’as raison, on verra qui va s’marrer quand tu finiras en civet. » Il est évident qu’il n’affichera pas le même air narquois, hein. « Et toi tu le félicites, en plus. » Il ajoute, pour Prince Disney cette fois-ci. Wahou, t’as failli tuer Colin, tiens, une carotte pour te récompenser. « T’inquiète, j’vais dresser Fureur pour qu’il t’offre ta douche tous les matins, on verra si ça t’fait autant marrer. » Car vu l’air plaqué sur le visage de Lawrence, c’est à se demander qui imite qui entre lui et l’animal. « Toi qui a la côte avec eux justement, qu’est-ce que tu viens faire ici avec les bestioles ? T’as pas une demoiselle en détresse à sauver ? » Il demande en fronçant les sourcils, s’incluant presque dans les fameuses bestioles.

Parmi tous les candidats du nid, il a fallu que Galipette décide de courser celui qui est probablement le moins sportif de tous. Deux ou trois ans auparavant il aurait probablement pu tenir sur la longueur et se débarrasser assez facilement de la bestiole, mais Colin n’a désormais plus l’endurance d’antan, hm. C’est triste à vingt ans. Ainsi cette petite séance de footing improvisée lui déplait fortement, puisqu’il est très vite essoufflé, sans parler de son corps qui se veut douloureux. Heureusement que le parc n’est pas très grand et qu’il aurait pu quitter celui-ci assez rapidement, à condition de prendre quelques mètres d’avance sur Galipette pour fermer la clôture et ainsi bénéficier de l’assurance de mettre la distance nécessaire entre eux, quoi qu’il n’est pas certain qu’une simple barrière en bois aurait suffi à dissuader le poney de le poursuivre à travers tout le nid. Un poney, quoi. Encore, ce serait un rhinocéros, il serait crédible dans le rôle de la pauvre victime au bout de sa vie, mais c’est un foutu poney qui l’a mis K.O. Il n’est donc pas prêt de s’en vanter, ainsi lorsque le Prince Disney lui demande si tout va bien, il lève le pouce en l’air tout en tentant de reprendre son souffle. « Au top, ça s’voit pas ? » C’est évident qu’il pouvait encore tenir de longues minutes dans une telle situation. « Note à moi-même, plus jamais j’passe m’empiffrer au stand de confiseries avant d’m’approcher de ce parc si j’veux pas risquer d’y rester. » Il soupire, inventant un – léger – mensonge pour justifier son état. C’est plutôt crédible venant de lui qui a toujours un truc à grignoter sur lui. Reprenant malgré tous ses esprits, suffisamment pour râler sur la situation, Colin met très vite en place les pièces du puzzle. Si Galipette a décidé de lui courir après, ce n’est pas par hasard, il s’agit d’une drôle d’alliance formée entre la vieille qui l’a pris pour un garnement et qui compte refaire son éducation, ainsi que Bollywood, le seul susceptible ici de communiquer avec les animaux. Ce dernier lui a affirmé que les sorts n’étaient pas sa spécialité, mais il est trop gentil pour être honnête, c’est sûrement sa manière à lui de garder un minimum de bonne conscience après avoir infligé un sortilège à ses pauvres victimes qui n’ont rien demandé. « Greta, ça coule de source pourtant. » Il rétorque à la question de Lawrence. Tout le monde se permet de lui balancer son statut de doyenne de l’émission à la figure – comme on se permet de lui balancer celui de benjamin à la sienne – il ne voit pas pourquoi il ferait exception à la règle. « Oh, pardon, j’savais pas qu’il avait un chien de garde. » Il a dit pardon, c’est suffisamment rare pour être souligné. Il y peut rien lui, s’il n’arrive pas à retenir la prononciation du prénom de l’indien et qu’il fait avec les moyens du bord pour ne pas l’écorcher et ainsi le vexer, ça part d’une très bonne intention, oui, tout à fait. Croisant finalement le regard satisfait du poney, Colin ne manque pas de remettre celui-ci à sa place, même s’il n’est pas assez stupide pour croire qu’il va comprendre ce qu’il lui dit. Disons simplement que ça le détend d’imaginer la bestiole dans une casserole. « J’te parle pas de manger, j’te parle de viol là, ou au minimum d’agression physique, c’est vrai que j’ai d’quoi être relax sur un sujet comme ça, hein. » Il rétorque avec la mauvaise foi qui le caractérise. Un peu plus et Galipette l’aurait massacré à terre dès qu’il n’aurait eu définitivement plus de souffle. Pas de quoi être relax, hm. « Chut, doute pas d’mes capacités avec Fureur, lui au moins il m’comprend, et il f’ra tout ce que j’lui demande, tu verras. » C’est qu’une question de temps. « Et c’est bien, tu viens de me motiver à intensifier l’apprentissage pour qu’on soit prêt l’plus vite possible, pauvre lama réduit en esclavage, tout ça c’est sur ta conscience. » Il n’est pas si parfait qu’il en a l’air, le prince disney. Si Colin n’a pas la côte avec les candidats mais plutôt avec les animaux, pour Lawrence il s’agit plutôt de l’inverse, raison pour laquelle Colin est surpris de le voir aussi éloigné du nid, loin du harem de femelles qu’il parvient à dompter rien qu’en claquant des doigts. « Bah tu diras ça à Sara qui a réquisitionné limite tous les gars pour poser une ficelle en haut du sapin et ça, pas plus tard qu'hier soir. » Oui, dans son esprit, un tel comportement s’apparente à celui de demoiselles en détresse. À vrai dire, il s’en fiche bien de la façon dont se comportent les autres, demoiselles en détresse ou non. « J’t’arrête tout de suite, j’ai jamais demandé ton aide. » Il ne la demande jamais à personne, ce n’est pas pour commencer dès que la situation commence à se compliquer légèrement. « T’vois, si tu m’avais laissé être piétiné par la bestiole au milieu du parc, j’aurais pu porter plainte et la prod’ aurait été obligée de me dédommager et hop, comme ça pas b’soin de rester plus longtemps ici pour gagner du fric. » C’est un plan d’enfer, c’est juste dommage qu’il n’y ait pas pensé avant. Et justement, il vient indirectement de répondre à la prochaine question de Lawrence, qui lui demande la raison de son inscription à cette émission, avant de nuancer ses propos, bien qu’il soit inutile de prendre des pincettes avec Colin. « J’vous méprise pas, j’vous fais juste pas confiance. » Et il les apprécie pas non plus, mais il ne juge pas utile de le préciser tant c’est évident. Il n’est plus comme eux, à s’échanger les adresses et à se faire de gros câlins après deux semaines de cohabitation. « J’suis un peu sadomasochiste et la douleur physique m’suffit plus, alors j’essaie autre chose, j’me dis que me torturer psychologiquement c’est une bonne idée, et j’ai trouvé personne d’assez fort pour l’faire dans mon entourage, donc on s’arrange comme on peut. » Il lance, en haussant les épaules. « J’ai b’soin de fric pour m’tirer de chez les vieux, et c’était soit ça, soit vendre mon corps, mais j’ai pas trop de succès, alors bon. » C’est sûr que s’il avait un corps comme celui de Lawrence, la question serait vite réglée, et il lui suffirait de peu de temps pour amasser le fric nécessaire pour retourner vivre à Minneapolis. « J’me le serais pas infligé si j’étais pas mieux ici plutôt que chez moi. » Il conclut plus sérieux, en soupirant. Ce n’est pas l’envie d’ouvrir son cœur qui permet cette révélation plutôt sérieuse venant de sa part, mais simplement celle d’emmerder les parents même à travers leur écran de télévision, car s’il y a une chose dont il est certain ; c’est qu’ils ne perdent pas une miette de l’aventure de Colin, probablement parce que c’est un moyen pour eux d’être proche de leur fils comme ils ne l’ont jamais été auparavant puisqu’il ne les y autorise pas. « Bon, j’suppose que j’t’en dois une, vous fonctionnez tous au principe donnant-donnant même si j’comprends pas le but. Alors j’vais m’intéresser à toi durant dix minutes, tu peux m’dire aussi pourquoi t’es ici, éventuellement c’que tu fais dans la vie, par contre si tu commences à me parler de ta couleur préférée ou de ton chat qui te manque, j’réduis le temps à cinq minutes. » Au moins, c’est clair.