« NON, NON ET NON ! » Je rugis, en colère à la simple vision de la cuisine. Qui sont les candidats malhonnêtes qui ont pu laisser la pièce dans un tel état ? Inadmissible n’est-ce pas ? Nous sommes d’accords. Des assiettes, des casseroles, les couverts qui vont avec et des verres trainent dans et autour de l’évier. Une casserole a probablement débordé sur le feu puisqu’il y a plein de saletés partout et des miettes recouvrent le plan de travail. Je suis à deux doigts de l’infarctus lorsque je découvre cette scène macabre, qui oserait faire cela à une aussi belle cuisine ? Qui n’a pas reçu d’éducation pour ne pas se prendre le chou de la sorte ? Les règles de vie en communauté ne sont pas adoptées et je me refuse à faire quelque chose sous prétexte que je suis la doyenne. Je ne peux paradoxalement pas être là, à ne rien faire, pendant que la saleté s’accumule comme la peste. Si je ne commence pas tout de suite à travailler qui le fera ? Combien de temps faudra-t-il avant qu’un valeureux candidat décide de mettre la main à la pâte pour nous permettre à tous de vivre plus sainement. Non, je ne peux pas partir et avoir bonne conscience en laissant la cuisine dans un tel état, pas quand je projette de faire à manger pour le soir, un gros repas pour tous les candidats. « Maudits candidats ! » Je peste en attrapant l’éponge, le pire dans tout cela ? Je ne sais même pas par où commencer, la vaisselle ? Le plan de travail ? Gratter les plaques ? Il y a du boulot pour l’après-midi.

Son seul vrai moment de détente, elle le passe toujours dans le patio fleuri avec une clope entre ses lèvres. C'est son havre de paix, sa thérapie contre l'angoisse d'être filmée vingt-quatre heures sur vingt-quatre par toutes les petites caméras qui pullulent dans le nid. Ses bouffées de nicotine lui procurent plus de bien que de mal, elle est sûre que ses poumons entachés le comprendront. Et puis le prime approche avec toutes ces incertitudes, ces révélations qu'elle n'est jamais prête à entendre et qui ne font que gâcher la soirée. La salvadorienne laisse mourir sa précieuse entre ses lèvres pour aller l'écraser rageusement dans un cendrier. Elle franchit les portes de la baie vitrée alors qu'un cri résonne dans le nid. Intriguée, elle se met en quête de la bête sauvage responsable de tout ce raffut, inquiète à l'idée que quelque chose de grave ce soit produit. Et si quelqu'un était blessé ? Son sang ne fait qu'un tour, elle se rend dans le salon rapidement mais rien. Rien non plus du côté de la piscine ou de l'ascenseur. Il ne reste que la cuisine et la jeune femme vient à craindre le pire, elle imagine déjà un candidat maladroit s'être empalé avec un couteau comme un débutant. Lorsqu'elle franchit les portes de la cuisine, elle est soulagée de voir que personne n'a rien mais horrifiée tout de même devant le spectacle auquel elle assiste. La cuisine s'est transformé en un véritable champ de bataille et le seul soldat n'ayant pas encore déserté est Greta. C'est à peine si on la reconnaît, métamorphosée en furie, maudissant tous les candidats. « C'est pas moi » . Elle jure de sa voix faiblarde, les deux mains en l'air en signe de reddition. Avec une Greta en furie entourée par tous ces couteaux, il valait mieux qu'elle fasse profil bas. « Je vais t'aider mais calme toi avant » . Elle reprend s'approchant du plan de travail dans un piteux état. Enola ne savait même plus par où commencer. Cette cuisine était devenu l'enfer sur Terre. « On trouvera les coupables » poursuit-elle d'un ton suspicieux. Il fallait vraiment manquer d'éducation pour laisser la cuisine dans un tel état en espérant qu'une bonne âme se propose de tout nettoyer. Croyez bien que si Enola avait eu le malheur de faire une chose pareille, sa mère l'aurait puni en lui faisant récurer la maison du sol au plafond.

De toute ma vie je n’ai jamais vu cela. Être témoin du massacre d’une cuisine aussi bien que celle-ci me brise le cœur, je ne vais pas m’en remettre je crois. Je suis tellement en colère qu’il devient presque naturel pour moi d’hurler alors que personne n’est présent pour m’entendre rendre justice à cette pièce qui vient d’être saccagée. Mes yeux ne peuvent que se poser sur la saleté, il y en a de partout, à croire qu’elle se reproduit. Qui, parmi nous, a pu faire une telle chose ? Peut-être qu’il ne s’agit pas là d’un acte isolé, plusieurs de mes colocataires se sont peut-être réunis pour cuisiner et ont décidé de ne pas aller jusqu’au bout. Je peux vous jurer que je vais retrouver ces personnes et leur faire payer très cher cet affront, avant cela je vais juste tout remettre en ordre… Parce que je suis comme cela, je ne supporte pas quand une pièce n’est pas propre et je suis encore plus incapable de quitter un endroit en ayant conscience de la saleté qui règne là-bas. Une candidate entre dans la cuisine et me surprend, je me retourne comme une furie, mon éponge à la main. Je suis à deux doigts de la lancer sur cette pauvre âme qui clame son innocence et me demande de me calmer. « Tu viendras avec moi dans la salle avec toutes les caméras et les écrans ? Je veux trouver qui est le malheureux qui a fait cela à cette pauvre cuisine. » Je ne sais pas utiliser les machines là-bas, autant avoir quelqu’un qui, avec quelques années en moins, saura peut-être mieux s’en servir pour gagner du temps. Enola me propose de me venir en aide, parfait, à deux nous serons plus fortes. « Tu préfères quoi ? Nettoyer les tâches, le plan de travail, les plaques ou faire la vaisselle ? » Je me sens déjà plus sereine, certaine de ne pas avoir à m’occuper de tout cela toute seule, la petite monte en flèche dans mon estime. « On méritera un bon petit café après cela. » Et même une sucrerie pour noyer notre chagrin.

La salvadorienne n'avait jamais vu la cuisine dans un tel état de saleté, pourtant elle en avait vu des coins malfamés dans sa vie mais rien comparé au bazar ambiant qui régnait dans cette pièce. Immonde, il n'y avait pas d'autres mots. Il y avait de quoi rager devant un tel désastre, Greta avait bien raison. Sa camarade s'était même transformée en véritable furie devant un tel état de saleté, maudissant les candidats pour leur irrespect total des lieux. Enola comprenait totalement, elle détestait le désordre surtout quand il s'agissait d'un lieu de vie commun. Son appartement était toujours propre, certes elle avait une femme de ménage pour s'occuper du plus gros du nettoyage mais elle pouvait jurer devant Dieu que jamais rien ne traînait chez elle. Toutes ces jolies choses qui lui avaient donné, elle ne comptait certainement pas les salir, vivre dans la pauvreté pendant dix-huit ans lui avait appris à respecter ses propres biens ainsi que ceux des autres. Elle ferait mieux d'inculquer une petite leçon de respect aux auteurs de ce crime odieux. Ne souhaitant pas s'attirer les foudres de la doyenne de l'aventure, la jeune femme décide de s'innocenter le plus vite possible en se proposant de l'aider à nettoyer la cuisine. Mais d'abord il faut qu'elle se calme parce qu'elle commence sérieusement à lui faire peur avec son éponge dégueulasse toute pleine de microbes. Greta finit par se détendre en lui proposant d'aller dans la salle de contrôle une fois qu'elles auront fini pour démasquer les coupables. « Évidemment qu'on va y aller. On fait des heures supp à cause d'eux, ils vont devoir nous dédommager et pas qu'un peu ». Oui parce qu'au cas où certains ne le savent pas, y a pas écrit "bonniche" sur leurs fronts à toutes les deux. Enola soupire en entendant le programme des festivités, lui demander de choisir entre le récurage du plan de travail et le vaisselle n'avait rien de réjouissant mais elle s'y plie quand même et attrape une éponge qui traîne par là. « Je crois que je vais faire la vaisselle, je suis sûre que les gens préfèrent te voir agiter ton popotin en nettoyant les tâches sur le plan de travail plutôt que moi. ». Petite excuse pour lui signifier qu'elle a vraiment la flemme de se casser la tête à gratter les tâches qui incrustent le plan de travail. Le public sera ravi d'un tel spectacle, deux femmes dans le feu de l'action. Édifiant. La jeune femme grimace quand sa camarade lui annonce la récompense. Un café ? Sérieusement. « Je crois qu'on aura besoin de quelque chose d'un peu plus fort que du café pour nous remettre de nos émotions  » annonce-t-elle en faisant couler l'eau du robinet. Avec ou sans elle, la salvadorienne ira se servir un bon verre de vin après cette épreuve car tout travail mérite salaire. Maintenant que l'eau est assez chaude, elle s'empare d'une assiette en enduisant son éponge de produit vaisselle. «  Oh je les déteste » peste-t-elle en commençant à frotter l'assiette qui reprend enfin une apparence normale à son contact.                  

Si j’étais membre d’une lignée de bohémiens j’aurais probablement réagi différemment à cet affront commis sur cette cuisine innocente et sans défense. Je n’aurais rien dit, rien laissé paraitre et j’aurais préparé une vengeance mystique avec du vaudou et des malédictions. Je m’imagine très bien dérober discrètement un objet ou accessoire cher à chacun des candidats pour le maudire et offrir une porte d’entrée sur notre terre à des esprits vengeurs et maléfiques. Je ne crois malheureusement pas entièrement à tout cela, pas au point de croire possible et suffisamment mérité le fait de faire s’abattre l’enfer sur les épaules d’un être humain. A défaut, et puisque je ne suis liée à aucune branche de sorciers ou d’adorateurs de Satan à ma connaissance, je me contente donc de pester et de constater les dégâts, il y a du boulot, un énorme pain sur une blanche pas assez longue et solide. Enola arrive à point nommé, elle va me donner un coup de main, c’est en tout cas ce qu’elle me dit. J’aime ce que la jeune femme me répond lorsque je lui propose d’investir la salle de surveillance après avoir entièrement nettoyé la cuisine afin de débusquer les odieux coupables de ces atrocités. « Parfait, on vengera cette cuisine, la foudre va s’abattre sur les malheureux qui ont osé faire une telle chose ! » J’ignore si j’aurais les idées suffisamment claires pour concevoir une vengeance subtile et discrète, je compte sur Enola pour m’aiguiller là-dessus. Le temps n’est plus à la discussion, nous avons une énorme dose de travail qui nous attend et il va falloir s’y mettre au plus vite. Je laisse le choix à Enola qui opte pour la vaisselle et m’arrache un sourire au passage. « J’suis sur le point de devenir la Beyoncé de la vaisselle, c’est ça ? » Who run the dishes ? GIRLS ! Je n’aime pas trop ce message mais nous en sommes la parfaite illustration, deux femmes forcées de faire tout le travail d’entretien parce que les autres ne foutent rien. J’espère pour eux que l’on ne découvrira pas uniquement des hommes derrière ce massacre, ma vengeance sera encore plus terrible autrement. Je me muni d’une bombe de dégraissant, d’un bon chiffon, d’une éponge neuve et me lance, un pschitt ou deux sur les plaques, je laisse reposer quelques minutes pour désincruster au maximum sans avoir à trop gratter et me penche sur le plan de travail que je commence à nettoyer, laissant les miettes tomber à même le sol. Nous devrons de toute manière finir par les sols alors bon… « J’aime ce que je pense que tu as en tête ! » Un bon petit remontant après cela sera amplement mérité. « Souviens-toi de toutes les émotions que tu ressens à l’instant pour quand on découvrira qui sont les mécréants ! » Notre colère les punira tous jusqu’au dernier. « Tu viens d’où ? » Je lui demande en revenant à mes plaques dans un élan de curiosité.