C'est étrange cette sensation. En foulant le sol de ses pieds, il s'acclimate de nouveau à cet environnement qui ne l'a jamais vraiment quitté. Deux semaines, ce n'est pas assez pour oublier. Ces lieux ont une histoire à ses yeux. Après cette aventure, ils deviendront des souvenirs. Il se souviendra des beaux moments qu'il aura passé entre ses murs, coupé du monde, observé par tous dans son quotidien. Les caméras ne lui manqueront pas. Les gens qu'il a rencontré, eux, ils perdureront dans son esprit. Une expérience qu'il ne compte pas oublier d'aussitôt. Il flâne dans les couloirs, errant ça et là, au gré du hasard, en écoutant de la musique, un livre sous le bras. On ne perd pas les bonnes habitudes, on dirait. En arrivant près des chambres, il ressent un certaine mélancolie en voyant que les chambres se vident petit à petit. Il se remémore des premiers instants, des rires qui ont fusé, des conversations bruyantes et des confidences sur l'oreiller. Tout cela lui a manqué. Il se revoit dans le lit avec Scarlett, parlant de tout et de rien, Lino peinant à faire la sourire, ne serait-ce qu'un petit peu. Il passe devant l'une des chambres, encore éclairée dans cette heure de la nuit. Ses camarades doivent vaquer à d'autres occupations pendant que les autres s'occupent comme ils peuvent ou bien, ils dorment tout simplement. Il entre dans la chambre et croise le regard interloqué de Naveen. Pour le rassurer, il le gratifie d'un sourire amical. Il retire son casque et le pose sur la table de chevet de son ami. « Tu viens ? On a du temps à rattraper. », qu'il propose, un sourire franc aux lèvres. En deux semaines, il s'est passé beaucoup de choses du côté de l'indien. De ce qu'il a pu voir des rediffusions, un certaine personne ne le laisse pas indifférent. Ils marchent côte à côte, savourant leur compagnie mutuelle. Leur conversation se résume à des gestes et à des notes gribouillées sur un carnet que Naveen porte sur lui pour communiquer, il présume. Lors du prime, il a appris que Naveen a été victime des gages de la belle Rowan. Il comprend tout à fait ce qu'il est en train de vivre en ce moment. Ce n'est pour qu'une semaine, de toute façon. Ils débarquent l'un après l'autre dans le bar-bibliothèque dont la convivialité est sans pareil. Lino prend les devants et contourne le comptoir du bar. Il sort du , cocktail sans alcool tout prêt du mini-frigo qui se trouve à ses pieds, puis des verres qu'il dépose devant son camarade. « C'est sans alcool, t'inquiète. » Ils sont peut-être les seuls du nid à ne pas en commencer au quotidien, les raisons variant selon la personne. Lino, c'est sa santé qu'il met en péril en buvant de l'alcool. Il s'accorde de temps à autre quelques écarts lorsqu'il faut fêter un événement ou un anniversaire. Il verse le breuvage dans les verres, en tend un, se saisit du sien et le tends à son homologue masculin pour trinquer. « A nos retrouvailles ! », qu'il lance à son interlocuteur lorsque leurs verres s'entrechoquent. Il en boit une gorgée avant de reposer le verre sur la table. « Je sais tout. A propos de Lawrence. » Il sait que Naveen éprouve plus que de l'amitié à l'égard de l'américain. Les regards ne trompent pas. A son tour de lui venir en aide comme il le peut. « Ça avance ? » Il préfère tourner sa question de sorte qu'il puisse répondre par oui ou par non pour qu'il mime plus facilement aussi.

La fin de l'aventure était un peu plus proche à chaque minute qui s'écoulait et qui le rapprochait aussi bien du vol qu'il prendrait en direction de Bangalore, que de ses proches, et tout ce qu'il retrouverait finalement d'ici deux ou trois semaines. Et s'il en avait eu particulièrement conscience en début de soirée, c'est parce que l'indien s'était accordé un petit moment de réflexion, alors qu'il s'était assis sur son lit et qu'il avait profité de la quiétude de sa chambre, déserte à cette heure-ci. Le retour de plusieurs de ses anciens camarades avait ranimé un nid un peu éteint depuis quelques semaines, pour autant il savait que plus rien ne ressemblait à présent aux premières semaines qu'il avait passé en ces lieux, que le temps lui avait certes apporté de jolies surprises, mais qu'il l'avait aussi rapproché d'une fin inévitable, celle d'une aventure qu'il n'avait peut être pas suffisamment considérée comme une « parenthèse », jusqu'ici. Et le fait de passer toute une semaine sans pouvoir parler, livrer ce qu'il avait sur le cœur, confier ses ressentis, ses sentiments, ça lui donnait en quelques sortes l'impression d'être isolé, voire extérieur au nid avant même que n'ait sonné l'heure de son retour au pays. Il avait donc le cœur un petit peu lourd, ce soir, et c'est peut être aussi pour cette raison qu'il était resté de longues minutes dans sa chambre, à épargner sa compagnie à Lawrence – qu'il avait quitté un peu plus tôt – ou à quiconque remarquerait sa mine un petit peu triste. Mais il eut suffi de l'arrivée d'un être cher à son cœur pour le soulager d'un poids, et lui rendre l'optimisme qui tendait à le quitter chaque fois qu'il s'isolait pour réfléchir à des choses peu réjouissantes. Lino s'était approché de son lit, et l'indien avait cru rêver l'espace d'un instant. Il savait qu'il était de retour parmi eux, mais jusqu'à aujourd'hui leurs occasions de se croiser s'étaient faites plutôt rares. Lino avait légitimement passé du temps avec Khadija, et l'indien n'avait pas voulu s'imposer à lui, encore moins alors qu'il ne pouvait même pas lui dire combien il se réjouissait de le revoir. Alors, quand Lino l'avait invité à le suivre, c'est sans se faire prier qu'il avait accepté. Ensemble, ils avaient pris la direction du bar-bibliothèque, et l'indien s'était installé au bar tandis que Lino, lui, avait entrepris d'y préparer un cocktail. Sans alcool, disait-il, ce qui valut à l'indien d'esquisser un sourire ravi, lui qui n'était pas sans savoir que Lino était comme lui, à ce niveau-là. L'italien proposa de trinquer à leurs retrouvailles, et c'est à ce moment-là qu'il fut pris du besoin irrépressible de quitter sa place pour venir l'enlacer, intensément, comme le frère qu'il avait l'impression d'avoir perdu deux semaines plus tôt. C'était Lino, quelqu'un qu'il avait plaisir à retrouver, et dont il aimerait ne plus être séparé à l'avenir. Retournant de l'autre coté du bar, il trinqua avec lui, avant d'écarquiller légèrement les yeux à ce qu'il lui souffla bientôt. Ça ne l'étonnait pas que Lino sache ce qu'il ressentait pour Lawrence – car il se doutait bien que certaines séquences avaient été montrées au public – mais ça le déstabilisait dans le sens où il avait véritablement l'impression d'être face à l'un de ses grands frères, en face de qui il aurait sûrement tendance à rougir s'il était question de l'américain. C'est donc sans surprise que ses joues tendirent à s'empourprer, tandis qu'il baissa doucement la tête, un sourire un peu timide accroché à ses lèvres. Il resta ainsi quelques secondes, avant de relever les yeux, puis d'hésiter à la façon dont il pourrait répondre à sa question. Est-ce que sa relation avec Lawrence avançait ? Oui et non. Oui, parce qu'ils s'étaient rapprochés, et que l'indien aimait croire que les barrières d'aujourd'hui seraient abattues demain, et qu'ils pourraient tous deux prendre une route commune, et peut être vivre quelque chose de merveilleux. Non, parce qu'en l'état il était le seul à être amoureux, le seul à attendre, à espérer, à fantasmer des gestes, des mots, auxquels il n'avait pas encore eu droit. Ainsi haussa-t-il les épaules, un peu perdu. C'était la meilleure réponse qu'il pouvait lui donner. Le désignant d'un signe de la tête, il lui adressa un regard interrogatif, avec l'espoir sans doute que Lino lui confierait ce qu'il en pensait, lui. Peut être portait-il un regard particulier sur cette histoire, peut être ne la comprenait-il pas, ou peut être qu'il lui ferait part des mêmes doutes que certains de ses camarades. L'indien avait conscience qu'il avait placé son cœur sur l’échafaud dès qu'il avait avoué ses sentiments à Lawrence, et qu'un jour, peut être, il perdrait foi en l'amour, en l'espoir, et en la vie. Mais ça ne l'empêchait pas d'y croire. Car s'il était sûr qu'il n'y aurait jamais rien, il n'aurait aucune raison de continuer, et de ne pas admettre que le bonheur, décidément, n'était peut être pas fait pour tout le monde. Sur une note un peu plus réjouissante, il goûta bientôt au cocktail préparé par Lino, dressant son pouce pour lui faire comprendre qu'il le trouvait excellent, avant de retrouver un sourire radieux au moment de sortir son calepin et d'y inscrire « Khadija ? ». Le faisant lire à Lino, il chercha bien sûr à savoir s'ils s'étaient parlés, tous les deux, et notamment si Lino s'était montré rassurant à l'égard de la brune. Il savait combien Khadija avait été blessée par le départ de l'italien, combien elle s'était faite du souci, alors la plus belle chose que Lino puisse lui dire, à cet instant, c'est que tout allait à présent pour le mieux entre la française et lui.