ABSOLUTE BEGINNERS
@scarlett

Il fait froid. Sa gorge s’engourdit dans la buée glacée irlandaise. Elle n’est pas habituée à cet air sec, dénué de tout embrun marin, de ces microscopiques goûtes qui viennent se coller au visage, dans les cheveux, et vous donner un air dur de véritable Basque. Ici, le froid rend juste blafard. Même elle qui a une peau mate a l’air plus blanche que d’ordinaire. Mais ce n’est rien, rien comparé aux sœurs Jade et Scarlett, rousses et plus banches que le marbre. Cela fait ressortir le vert et le bleu de leurs yeux, leurs tâches de son. Khadija observe les parterres de fleurs qui s’alignent le long des jardins, loin après le patio fleuri. Elle se penche, puis s’accroupit devant de petites fleurs bleues dont elle ignore le nom. Ce ne sont pas des bleuets, alors quoi ? Elle en caresse le dessus de la tige du bout du doigt, leur souriant. — Bonjour vous, sussure-t-elle aux petites fleurs. Il paraît qu’elles aiment qu’on leur parle : les vibratos de la voix humaine leur ferait du bien, a-t-elle déjà lu quelque part. Des pas se rapprochent dans son dos, crissent contre les graviers. Elle se retourne, et remarque Scarlett. Souriante, elle ne bouge pas, préférant inviter la candidate à se joindre à elle, seulement si elle en a l’envie. Comme toujours entre elles, le silence est roi, et, quoi qu’on en pense, très bavard. Beaucoup de sensations passent de l’une à l’autre quand elles s’observent et se ressentent. — Je n’aime pas les bouquets, avoue Khadija dans un souffle. — Les fleurs, je les aime vivantes, plongées dans la terre. Et non décapitées pour le plaisir égoïste d’un bouquet qu’on s’offre d’humain à humain, ignorant la vie, la sève, niant l’existence même de ces êtres vivants que sont les plantes. Chaque bouquet qu’on lui a offert dans sa vie lui a pincé le cœur.

Pourquoi tout est introuvable cette semaine ? Pas moyen de remettre la main sur son manteau, le tout doux en fausse fourrure féline. Celui qu'elle porte sans arrêt et surtout c'est dans ses poches qu'elle a laissé son paquet de clope, alors c'est vitale qu'elle le retrouve. Elle retourne tout le dressing, sans l'espoir qu'il est là quelque part. Mais rien, elle se décide donc à regarder jusque dans les armoires des autres, en commençant par Jade, Khadi... et ainsi de suite. Elle est pas énervée Scar, c'est rare qu'elle le soit, mais elle commence à perdre patiente. Parce que son taux de nicotine est au plus bas et qu'elle commence à ressentir une sensation de manque. La clope c'est vital, elle fume depuis longtemps. C'est pas quelqu'un qui termine un paquet en une journée. Elle est plutôt au paquet par semaine, mais sans les malboros elle se sent différente. C'est comme si elle fumait depuis des années, depuis une éternité, depuis la vie d'avant. Elle a l'impression naïvement que cette pratique la rapproche un peu plus de ce qu'elle est en réalité. Et c'est le bingo quand elle le retrouve sous son lit. Elle sait pas comment c'est possible, mais elle se couvre directement avec, plonge ses mains dans ses poches pour sentir le paquet en carton et détalle jusqu’au jardin pour s'offrir un petit moment tout en fumée. Rapidement elle se retrouve à fouler les graviers, et insère immédiatement une clope entre ses lèvres charnues. Elle reconnaît la silhouette de Khadi, alors qu'elle sort son briquet. Instinctivement elle s'approche d'elle, la rejoint, sans une once d’hésitation dans ses mouvements. C'est devenue une habitude, quand la brune est dans les parages elle vient se diriger vers elle, comme un bateau se dirige à la lumière d'un phare en pleine brume. Elle s'invite près d'elle, dans un demi sourire, laissant la nicotine s'infiltrer dans ses veines. La brune vient partager une pensée avec la rousse. Elle n'aime pas les bouquets. La rouquine vrille ses prunelles émeraudes vers celle de la brune. Elle sourit plus franchement. Elle aime bien ce qu'elle dit, mais elle n'y trouve pas écho en elle, parce que comme souvent elle sont opposées. Les fleurs c'est la vie pour la brune, quand elle sont en terre. « Les fleurs me font penser à la mort. » Qu'elle lui confie d'une voix teintée de secret. Étrangement, elle ne saurait pas l'expliquer de manière rationnelle. « Tu n'étais pas là. » Elle affirme une pointe d'impatiente dans le regard, parce que Khadi l'avait manqué lors du prime. Dans un regard, elle lui demande si elle va bien, ne souhaitant pas le formuler à voix haute. Elle n'a pas l'habitude de s'inquiéter pour d'autre que Jade.

La présence fleurie et raffinée de Scarlett à ses côtés est une bénédiction. Elle est belle, propre, elle sent le bon, elle ressemble à un coquillage parfaitement poli par l’océan, rincé et soigné par l’écume, posé là dans le sable et inconscient d’être regardé, pas certain d’exister. Les fleurs lui font penser à la mort. Khadija sourit. — Même quand elles sont là, bien vivantes dans leur monde de terre, et qu’elles diffusent leurs odeurs pleines de vie ? Elle se penche et respire à la source, contre le pistil des fleurs bleues. Ses yeux verts s’élèvent pour se poser, rieurs, sur Scarlett qui la regarde. Elle lui fait une réflexion au sujet de son absence lors du prime. C’est vrai, elle n’est pas venue, terrassée par la fatigue et un sale rhume qui est enfin passé – non sans l’aide bienfaitrice de cette soirée au chaud et non sur le prime, hier. — Avec ma rhino, je redoutais un défi du genre « sauter dans la piscine et revenir sur le plateau trempée dans une serviette », confie-t-elle dans une moue dubitative. — Il me reste peu de temps ici, je veux en profiter à fond sans être malade. Elle pourrait sortir n’importe quand, elle a d’ailleurs baissé sur la côte de popularité, et elle est le troisième candidat de la liste « top » à avoir déçu ses camarades et les spectateurs qui croyaient en elle dès le premier jour. Une nouvelle qui fait mal au cœur, et n’a pas manqué de la faire presque pleurer, dans son lit, une bouillotte sur le ventre. Son regard vrille la bouche de Scarlett, la clope qu’elle tient entre ses lèvres. — Tu fumes beaucoup, commente-t-elle, sans aucun reproche dans la voix. Elle fume aussi, Khadi, elle serait mal placée pour donner des leçons. En revanche, puisqu’on se trouve dans le jardin… — Regarde, souffle-t-elle en glissant sa main dans la poche de son manteau, ses doigts trouvant le petit paquet plastifié qui s’y loge. Elle en sort le bout, juste assez pour montrer à Scarlett l’herbe verte, roulée en boule sèche, qui dort dans le sachet. Un sourire en coin, elle observe la réaction de sa camarade, histoire de voir si elles pourront partager ça à l’abri des regards, ou si ce n’est pas du tout son truc à elle.

La rouquine est ravie de tomber sur la brune. Peut être qu'elle le montre pas assez, peut être que c'est surtout intérieur. Mais elle se sent vraiment bien en sa présence, c'est doux, c'est cotonneux et en même temps c'est incertain, c'est presque dangereux. Parce que Khadi est téméraire, imprévisible et une vision de la vie qu'admire Scarlett. Elle aimerait se nourrir de ses idées, de sa confiance, de sa façon de parler aux autres naturellement. De dire ce qu'elle peut avoir sur le cœur. Khadija est tout bonnement épatante, alors c'est pas vraiment étonnant qu'elle se dirige vers elle quand elle l’aperçoit dans le jardin. Les fleurs, c'est le sujet du jour. Khadija déteste les bouquets, quand Scar elle pense à la mort quand elle voit les pétales colorés de n'importe quelle fleur. Elle dit pas qu'elle déteste, au contraire. C'est presque fascinant de rester là, à les regarder tout en ayant l'impression qu'elle recouvre le bois d'un cercueil de luxe. « Toujours. » Elle répond dans un haussement d'épaule. « Je sais pas, je pense à un enterrement, à un cercueil, je vois du noir tout autour. C'est sombre, mais c'est pas totalement déplaisant. » Qu'elle confie dans un rire gêné, faudrait pas qu'elle commence à la prendre pour une folle. Jusqu'ici ça se passait bien. Bref oublions, le plus important c'est Khadi était pas là au prime, malade. La rouquine comprend, elle a passé la semaine dans un autre monde, celui de la grippe. « T'as loupé l'award de la plus sexy Khadi. » Qu'elle dit en essayant de mettre le ton qu'on donne aux choses hyper importante, sauf que ça tombe à plat tellement c'est insignifiant. Elle laisse échapper un petit rire, puis incline la tête à la positive. Elle comprend qu'elle veuille en profiter un max. Mais pas l'urgence. « Tu vas pas partir bientôt tu sais. » Qu'elle commente dans un haussement de sourcils, parce que si y a bien quelqu'un ici pour qui le temps est compté c'est bien Scarlett. Qui avec ses peux d'affinités dans le jeu, dans sa composition actuelle va certainement écopé d'une nomination sous peu. Pas de reproche, une remarque sur sa consommation de cigarette. « Je devrais pas pourtant, j'ai des antécédents. » Qu'elle lui confie en écarquillant les yeux d'un air mystérieux. Elle va pas comprendre la référence, Jade aurait certainement sourit elle, ou lever les yeux aux ciel selon l'humeur. Elle l'invite à observer quelque chose dans sa poche, comme si rien qu'elle avait le droit d'y poser ses yeux. Un petit éclat de rire se dépose sur ses lèvres en constatant ce qu'elle garde dans ses poches. Y a un moment de son adolescence, assez court ou elle était persuadé que de fumer ce genre d'herbe allait lui faciliter la vie, que c'était la solution. D'ailleurs, c'était fun sur le moment, jusqu'à ce qu'elle revienne à la réalité. Elle lui offre un regard complice et l'attrape par le bras et de l'attirer un peu plus loin dans le jardin, dans un coin plus propice à ce genre de choses.

Les fleurs, symboles de mort… Cette vision lui rappelle ses vieilles années d’études, un poème de Baudelaire… Elle est incapable d’en dire plus, peu cultivée en littératures… Si Lino était là, il saurait sans doute l’aiguiller, lui dire à quoi elle pense précisément… Elle n’a que des images floues. Scarlett lui rappelle que lors des enterrements, on dépose des fleurs… On fait mourir des êtres facilement tuables pour accompagner nos morts, notre peine, notre chagrin… — Quand je serai morte, je ne veux pas qu’on tue de fleurs pour moi. Je veux que le maximum d’êtres vivants restent bien vivants si moi je pars… Ses yeux verts vrillent avec douceur ceux de Scarlett, si profonds, si beaux et insondables. Elle l’a trouvée divine la toute première fois qu’elle l’a vue, et son avis n’a jamais varié. — Je voudrais être incinérée, dit-elle dans un sourire qui n’a rien de morbide. — Et bien sûr, jetée dans l’océan… C’est seulement pour cela qu’elle souhaite être immolée : pour que ses cendres retrouvent l’océan. — Tu imagines, elles seront sûrement avalées par des poissons. Déposées sur des coraux encore jeunes et mous, intégrées à leur corne râpeuse… Je ferai partie de l’océan, ajoute-t-elle, le regard songeur. Non pas qu’il lui tarde, faut pas délirer, mais vue ainsi, la perspective de la mort est plus douce. Elle ne mourra pas. Pas vraiment. — Avec mes amis surfeurs, on s’est dit qu’on ferait tous ça. On sera mangés par des poissons différents, qui peut-être se mangeront entre eux… Elle éclate de rire en repensant à cette discussion avec ses potes. Finir bouffée par Alex, ou par Sarah… Drôle de vie après la vie, n’est-ce pas ? Elle émet un grognement en entendant Scarlett lui rappeler son award. — Tant mieux, j’avais prévu une robe tout sauf sexy, avoue-t-elle dans un nouveau rire. — Une robe bleue nuit, la couleur de la chasteté… Elle se redresse pour faire face à Scarlett, passant une main dans ses cheveux pour les dégager de son visage. — Tu sais quelle couleur est la plus sexy d’entre toutes. Le rouge écarlate, souffle-t-elle en caressant une mèche de cheveu roux appartenant à la belle candidate, un sourire aux lèvres. « Scarlett », cela veut d’ailleurs dire « écarlate », en français. A l’inverse du bleu sage, « Scarlett » est le péché, la luxure… Tout ce qui existe de plus passionnant et de plus Amoureux. Si quelqu’un ici est sexy, c’est bien elle. Elle l’aurait mérité, cet award, vous avez vu ses tenues à chaque prime ? Ces petits morceaux de tissus qui laissent voir des parties du corps affolantes, comme le rebord des côtes, un bout de hanche… ? Scarlett la rassure au sujet de son départ. Elle soupire. — Je voudrais que tu gagnes une immunité jusqu’à la fin du jeu… Tant que tu es là, j’adore cet endroit, dit-elle en embrassant du regard le domaine, le nid au loin. Le rire de Scarlett, ressemblant à l’éclat d’un bébé, à une explosion de fleur remplie de rosée, l’entraine à son tour et les deux filles se cachent dans un coin du jardin, à l’abri des caméras. Il ne leur reste plus que leurs micros… Khadija sort le petit sachet contenant l’herbe verte. — La preuve qu’on n’était pas dans une vraie prison… Clin d’œil et sourire rusé à l’appui, elle fait allusion aux abysses. Dans une vraie prison, on les aurait fouillées jusqu’aux fesses. Elle attrape un long papier transparent, plus loin qu’un papier de cigarette roulée, et un peu de tabac, très peu. — J’en mets à peine, parce que le tabac des grandes villes est dégueulasse… Plein de goudron et de chimie. Rien ne vaut l’herbe pure. Elle lèche son joint pour le refermer, collé sur lui-même, et adresse à Scarlett un clignement rassurant de ses deux yeux. — Celui-là remplacera tes deux clopes à venir, deal ? Elle préfère que Scar fume ça avec elle que trop de cigarettes. D’une main experte, elle allume le joint en tirant lentement la fumée à elle. Très vite, un nuage blanc vaporeux à l’odeur âcre d’herbe chaude les entoure. Khadija tire une taffe en observant Scarlett dans les yeux, et, tandis que la fumée s’enfonce dans sa gorge avec tiédeur, elle lui tend le joint, beaucoup trop heureuse d’avoir eu le temps de partager ça avec elle.