Il ne faut jamais, ô grand jamais, lâcher deux filles en plein milieu d’un dressing blindé de fringues. Ce serait prendre le risque de ne pas les revoir pendant des heures et de retourner ledit dressing à force d’essayages et de trouvailles coup de cœur aussitôt classifiées d’une autre manière. Le message n’a semble-t-il pas été compris puisque nous sommes sur le point de nous offrir une petite séance de découverte vestimentaire, Khadija et moi. La jeune femme est l’une de mes récentes bonnes surprises. J’aurais aimé avoir plus de temps pour apprendre à la connaitre, nous approchons beaucoup trop rapidement de la fin de l’aventure et j’ai l’impression d’avoir gâché de précieuses semaines à ne pas l’avoir abordé plus tôt. Avant l’heure ce n’est pas l’heure, on se rassure comme on peut et je suis davantage tournée vers le futur. Rien ne nous empêche de nous revoir, je songe même à proposer à certains de mes camarades de venir passer une semaine entière à la maison. J’ai suffisamment de place pour tous les recevoir et je pourrais ainsi leur faire découvrir New-York, Broadway et ses soirées endiablées. Beaucoup auraient tendance à ignorer ce détail à propos de Broadway, on se concentre beaucoup sur l’aspect artistique mais il n’y a pas que cela, il y a de très bonnes soirées là-bas et j’en sais quelque chose… Les afters sont nombreux après nos représentations. Je suis en avance sur l’heure convenue et j’en profite pour déballer l’intégralité de mon espace dans le dressing pour y voir plus clair, j’ai apporté tellement de valises et de vêtements avec moi que j’ai tout le mal du monde à me décider à chaque fois que j’ai envie d’enfiler quelque chose de moins ordinaire. Je ne serais pas une fille sans cette parfaite indécision cela dit. Nous sommes toutes comme cela, jamais certaines d’avoir opté pour le bon vêtement, pour le parfait assortiment. Les mecs peuvent se contenter d’un jean et d’un t-shirt, pas nous, pas tout le temps en tout cas.

Elle avale rapidement son repas sous les yeux ronds d’un Naveen qui ne comprend pas comment, pour le simple plaisir d’essayer des fringues, on peut risquer de foirer toute une digestion. Elle rit et le quitte après ce repas partagé en toute hâte pour rejoindre Greta dans le dressing. Elle n’ose pas l’inviter à se revoir, parce que Greta est une femme, a une vie sans doute plus remplie que celle de Khadija, un fils, qu’elle habite loin, aux States, et… qu’elle n’a peut-être pas du tout envie de la revoir après le jeu. Pourtant, Khadija s’imagine parfaitement une soirée en boite avec Greta, avec before et after au programme. Elle doit peut-être aller aux States pour un shooting, au printemps… Ce serait peut-être l’occasion… On verra plus tard. Le dernier soir, peut-être, elle demandera à Greta si se revoir la tente… Dans l’effusion des adieux, on se dit toujours « oui »… Un grand sourire fend son visage en deux quand elle aperçoit Greta au milieu de trois tonnes de vêtements et environ vingt paires de chaussures. — Attend que je m’y mette aussi, tu vas pas être déçue, dit-elle en ouvrant son propre espace et commençant à sortir ses robes, ses hauts, ses manteaux, vestes, chaussures. Par chance, elles ont découvert qu’elles chaussent toutes deux la même pointure. Pour les vêtements, c’est à voir, Khadija étant maigre et Greta dotée de plus de formes ; cela dit, elle possède des hauts qui lui iraient parfaitement, sans parler des vestes… Greta devrait être ravie, en tant que nana : la mannequin qu’est Khadija a pu emporter avec elle des dizaines de créations de haute couture. Elle lui montre certains vêtements, toute contente d’avoir trouvé quelqu’un que ça intéresse. — Chanel, Maison Margiela, Alexander Wang… Elle fait défiler ses vêtements pour inciter Greta à se servir comme dans son propre dressing. Elle étale du bout des pieds ses paires de chaussures, laissant sa camarade remarquer les semelles rouges bien connues des Louboutin. Elle aperçoit soudain une des robes de Greta et ouvre la bouche. — Oh mon dieu, elle est magnifique, souffle-t-elle en désignant la robe d’un index tendu vers elle. Il est temps de se déshabiller et d’essayer, il est PLUS que temps.

Il se pourrait que je sois beaucoup trop excitée à l’idée de passer un après-midi entier à échanger des conseils vestimentaires, de petits secrets qui peuvent rendre un style unique, ce genre de choses que nous, les femmes, sommes expertes à faire. Le contraire serait surprenant et choquant avec le temps que l’on passe dans les boutiques à la recherche de nouvelles paires de chaussures alors qu’une quinzaine d’entre elles prennent déjà la poussière dans nos placards, et que dire des vêtements. J’ai acheté sur un coup de tête certains d’entre eux et je n’ai encore jamais eu l’occasion de les mettre. On ne sait jamais, peut-être qu’un jour l’occasion parfaite se présentera et que je ne verrais aucun autre ensemble à enfiler que celui acquis quelques années en arrière. Et puis cela me permet de me restreindre sur les chocolats, pour utiliser à bon escient les vêtements de plusieurs années il faut être capable de conserver la même taille. Jusqu’à maintenant j’ai plutôt bien géré l’affaire, je n’ai pas pris une taille en deux ans, beau n’est-ce pas ? Surtout à mon âge, la quarantaine passée le corps commence à n’en faire qu’à sa tête et le moindre petit aliment gras peut vous faire prendre deux kilos. Bienvenue chez les séniors. Khadija arrive enfin et son sourire est communicatif, ma bouche manque de m’abandonner lorsqu’elle ouvre son compartiment et que je découvre tous ces vêtements… Et que dire des chaussures, Dieu soit béni pour nous avoir généreusement offert la même pointure. « Je suis fan de cette paire de chaussures… Oh et celle-là… ET CETTE VESTE DOUX JESUS ! » Je m’excite, comme un matin de Noël, face à autant de beautés. Il y a vraiment de quoi faire, de quoi satisfaire tout le monde. « A nous deux je pense que l’on peut ouvrir un magasin de vêtements dès demain ! » Vous avez vu le bordel qu’on a ? Et encore… Je n’ai apporté que le nécessaire. Puisqu’elle me propose généreusement certaines pièces je n’hésite pas à attraper ce qui me plait, autant vous dire que j’ai de quoi faire de nombreux essayes, pour le plaisir des yeux. « J’ignore si je vais rentrer dans ce pantalon mais je veux absolument l’essayer ! » Il a quelque chose d’original, éloigné de cette mode assez étrange qui consiste à se trimballer avec des fringues trouées de partout. L’une de mes robes semble attirer son regard, mes lèvres s’écartent largement et je l’attrape pour la lui tendre. « Tiens, elle risque peut-être d’être à peine large mais rien qu’une épingle à nourrice discrète ne puisse régler ! » Je constate, à fond. Je retire mes chaussures, mon jean, mon top et me retrouve en soutif culottes, entre filles on peut se le permettre. Khadija en fait de même et je reste un moment conne devant cette vision. « T’as un super soustif, c’est de quelle marque ? » Ils ont l’air de bien tenir, de mettre en valeur sa poitrine, le genre de modèles que je devrais rechercher à l’avenir pendant mes rasades sous-vêtements.

Elle n’achète presque jamais rien excepté des fringues cools, détendues, skateuses, et des combinaisons de surf ajoutées à des maillots de bain. Le reste, les robes, les vestes, les jupes, les jean, les hauts, les chaussures à talons et ballerines, c’est le mannequinat qui les lui offre. Plus elle apparaît dans un magazine, et plus elle reçoit à son nom, dans son agence, des pièces envoyées par marques et maisons de couture. Certains photographes lui font également passer certains vêtements en cadeaux. Elle a parfois l’impression d’être une sorte de muse qu’on comble de présents. Peu matérialiste, elle en offre beaucoup autour d’elle, aux filles qui peuvent être ravies de recevoir des vêtements de luxe gratuitement, et en garde certains sur les conseils de ses bookeuses (« porte celle-ci », « met absolument ça au moins une fois »). Cet échange de vêtements est l’occasion de voir le corps de Greta, qui fait pâlir d’envie. Est-ce parce qu’elle est Noire qu’elle est aussi bien foutue pour son âge ? Surtout après avoir fait un enfant ? Noire, mais aussi danseuse pro, ça doit aider, non mais, les fesses qu’elle a… C’est pas censé s’affaisser, ces trucs, avec l’âge ? Ses seins ne tombent pas d’un millimètre, on dirait qu’ils sont refaits tant ils ont l’air fermes. Les garçons sur lesquels Greta porte son choix doivent s’estimer les plus chanceux du monde. Greta lui file la robe, et Khadija s’empresse de retirer son jean, ses chaussettes, pressée de l’essayer. Elle entend sa camarade flasher sur une paire de chaussures, et dans un rire, elle les pousse du talon en sa direction. — Je crois qu’ils me les ont envoyées deux fois, à l’agence à Paris et chez moi parce qu’un directeur artistique avait mon adresse perso, alors si elles te vont, tu les gardes, dit-elle dans un sourire. Elle rit à l’allusion sur la boutique de vêtements qu’elles pourraient ouvrir. Ce serait de la revente illégale de fringues qu’elles n’ont pas achetées, du moins pour Khadija, et elles prendraient de sacrés risques… — Rien que sur Ebay, on doit pouvoir revendre des tas de trucs, souffle-t-elle d’un ton rusé en imaginant les prix de ses habits, qu’elle ignore totalement mais qu’elle peut deviner en voyant le nom des créateurs sur les coutures. Elle tend à Greta la veste qui semble tant lui plaire. — Il n’y a aucune étiquette dessus, parce que c’est un prototype que m’a envoyé Chanel, explique-t-elle. Sans l’étiquette, on ne sait pas d’où ça vient, on pourrait penser que c’est une entourloupe, mais en sachant qu’on a entre les mains une des premières pièces de la collection Chanel, hiver 2016, ça change la donne, non ? Elle retire son pull pour enfiler la robe de Greta, qu’elle pense totalement à sa taille en mettant des collants dessous. Greta a l’air de flasher sur son soutien-gorge. Elle baisse les yeux sur son soutif pour se souvenir duquel elle a passé ce matin. — Oh, rien de fou, c’est un Wolford ! Elle touche la coque noire qui recouvre parfaitement le sein et le galbe. — Il est vraiment chouette, je dois en avoir un autre, dit-elle en fouillant dans le tiroir qui lui sert de rangement à lingerie, avant de trouver ledit soutien-gorge, de le désigner à Greta dans un grand sourire, avant de le perdre subitement. — Je suis débile, constate-t-elle en éclatant de rire. Si elles font toutes deux la même pointure et peuvent entrer dans les mêmes robes et vestes, elles ne font clairement pas la même taille en tour de poitrine… Greta a des seins de déesse vénusienne, tandis que Khadija serait plutôt… Athéna…