Comme bien souvent, Enola ne sait pas comment occuper ses après-midi naviguant entre la salle de détente et le bar-bibliothèque pour tuer le temps. Après huit semaines d'aventure, la salvadorienne peut se targuer d'être devenue une cinéphile et une lectrice aguerrie, elle s'est découvert des talents jusque là insoupçonné même si elle n'est pas devenue une adepte des arts pour autant. Son aventure dans le nid touche bientôt à sa fin, les quelques jours qu'ils lui restent lui paraissent monstrueusement long. Elle oscille entre l'excitation et la peur de retrouver le monde extérieur, savourant le temps précieux qu'elle passe dans ce nid à faire de nouvelles expériences. C'est donc avec une idée précise derrière la tête qu'elle se rend dans la cuisine. Elle a envie de cuisiner, faire quelque chose qui sort de l'ordinaire pas seulement pour elle mais aussi pour tous les habitants du nid. Une tâche peu aisée quand on connaissait les goûts divergents en matière de gastronomie de chaque personnalité peuplant le nid. S'y prenant à l'avance, la jeune femme tombe nez à nez avec un Lawrence penché sur un ouvrage visiblement très concentré dans sa lecture. Fronçant les sourcils lorsqu'il se met à prononcer son prénom d'une bien drôle de manière, elle pose sur lui un regard instigateur l'enjoignant à poursuivre. S'approchant de sa démarche traînante de l'îlot central avant de découvrir que son camarade était plongé dans un livre de cuisine. Un sourire malin se dessine sur son visage alors qu'il lui pose une question qui prête à sourire. Que Lawrence ne sache pas faire revenir des oignons ne l'étonne qu'à moitié quand on connaissait son train de vie bien différent de celui de monsieur tout le monde. « C'est presque mignon » . Elle avoue à la limite d'être attendrie par la détresse qu'elle devinait dans son regard. En soit, ce n'était pas un mal de ne rien y connaître en cuisine mais le livre qui trônait sur l'îlot central lui laissait présager que le barbu essayait tant bien que mal de remédier à son problème. « Ce n'est qu'une histoire de connexion psychique entre toi et l'oignon. Séduis-le, émince-le, jette-le dans la poêle et si l'attraction entre vous deux est assez forte, il reviendra vers toi naturellement » . Elle lance, taquine, alors qu'elle ferme d'une main l'ouvrage de cuisine qu'il tente tant bien que mal de décoder. Pas sûr que ce livre soit le meilleur professeur pour un baptême du feu. En revanche, la salvadorienne se débrouillait pas mal dans ce domaine et pouvait peut être l'éclairer sur certains points si nécessaire, à condition qu'elle arrête de rire du majeur des autres. « Bon ok, j'arrête, tu ne t'es pas moqué de moi quand je t'ai confessé que je n'étais jamais montée sur un cheval de ma vie » . Ce qui était, somme toute, relativement vraie puisqu'il s'était proposé de lui donner des cours. Une proposition qu'elle ne risquait pas d'oublier, une promesse qu'il était maintenant obligé de tenir. « Bas, t'en fais pas la cuisine c'est pas ton truc mais tu dois bien avoir d'autres talents insoupçonnés » le rassure-t-elle en ancrant son regard dans celui de l'américain. Quittant son poste pour s'emparer d'une poêle qu'elle pose sur les plaques, elle invite son camarade à la rejoindre pour un petit cours de cuisine dans les règles de l'art. « Faire revenir des oignons c'est juste les faire chauffer dans une poêle avec un peu d'huile d'olive pour leur donner une texture fondante voire caramélisée, c'est ce qui va donner plus de goût à ton plat. » explique-t-elle, pédagogue devant un élève particulièrement réceptif. Elle passerait presque pour un grand chef à côté de lui. La jeune femme s'empare d'un oignon qu'elle brandit légèrement en l'air en direction de son camarade. « Mais bon avant ça, il faut les émincer » poursuit-elle avant de se rendre compte qu'il ne doit sûrement pas connaître la signification de ce mot aussi. « Euh, les couper en fines lamelles. » . Elle corrige en sortant d'un placard une planche à découper et un couteau en céramique particulièrement utile dans ces circonstances. La salvadorienne lui tend ces ustensiles de cuisine avec un plaisir non dissimulé à l'idée de le voir se dépatouiller avec son oignon. N'en témoigne son petit sourire malicieux. « Je te laisse faire, j'ai hâte de te voir pleurer » . Qu'elle annonce, mutine, en laissant un rire franchir la barrière de ses lèvres. Lawrence n'y échapperait pas, les larmes devant un oignon était une étape obligatoire dans le parcours d'un cuisinier en herbe. Même les plus grands chefs pleuraient toujours devant, il n'y avait pas de honte à avoir. « Tu as fait comment pour te débrouiller jusqu'ici ? » . Elle l'interroge. Lawrence possédait peut-être un incroyable instinct de survie, il n'était certainement pas resté huit semaines dans le nid sans manger. Et puisque ses talents de cuisinier tendaient vers le zéro absolu, elle était en droit de se demander quels genres de subterfuges il avait dû mettre en place pour se nourrir normalement tout au long de l'aventure.