4 Octobre. (16h30) Hermès
Je m’étais étalé sur le lit comme une grosse larve. J’avoue, j’aimais larvé. Ce n’était certes pas passionnant, ni très enrichissant, mais c’était atrocement agréable que de s’allonger, d’étendre ses jambes et de regarder tantôt le plafond tantôt par la fenêtre sans vraiment faire attention à ses pensées. Et j’avais bien besoin de ce moment pour me remettre du stresse de la veille. Je sentais encore mon cœur palpité en moi comme il l’avait fait lorsque Morgan crut bon de dire qui ne seraient pas éliminés. Le soulagement avait été intense, mais maintenant j’avais juste besoin de repos pour me remettre. C’était sûrement ridicule d’être tant affecté, mais je n’y pouvais rien. Les deux mains sous ma tête, je regardais mes pieds bouger doucement. Oui, c’était très intéressant … Je me redressais tout à coup, et commençais à lire à voix haute le livre qui était resté posé sur mes genoux. De toute façon, je ne gênais personne, étant totalement seul dans la suite. J’essayais même d’y mettre les intonations, et ça devait bien paraître comique. A genoux sur le lit, le livre proche de mon nez, je laissais ma voix emplir la chambre. Ca devait un spectacle assez drôle.

Fatigué d'une grosse journée de paresse, je retournais dans ma suite pour me reposer un instant sur mon lit avec un grand plaisir. Au passage, je pris un verre de jus d'orange que je montais avec moi. Plus je grimpais et plus j'entendais un jeune homme lire à voix haute comme s'il avait un auditoire des plus enfantins devant lui. Il y mettait le ton et je me plaçais dans l'encadrement de la porte pour l'écouter un instant en silence. Je bus une gorgée de mon jus d'orange avant de m'avancer dans la pièce et de le couper dans son élan de lecteur professionnel. « Ça t'arrive souvent de te faire une lecture pour toi tout seul à voix haute et dans cette position sur ton lit ? »

Je sursautais tout à coup en entendant la voix d’Hermès. Je ne l’avais même pas vu venir, et sûrement pas entendu. Je laissais mon livre tomber sur mes genoux alors qu’un rire nerveux sortait d’entre mes lèvres. C’était une situation assez embarrassante. Mais je me repris bien assez vite, passant une main dans mes cheveux comme pour balayer ma gêne subite. « Franchement … Nan. J’avais juste besoin d’évacuer la tension, tu vois. » Mouais … Non, il ne voyait sûrement pas en quoi lire à voix haute permettait de se détendre, et pourtant c’était une solution miracle. Un peu étrange, certes, mais libératrice. « Et puis le moment du livre était excellent, il méritait bien d’être lu à voix haute. » Je n’étais pas sûr que tout le monde goûte à mon engouement pour les livres, mais je m’en contrefichais totalement. Il pouvait bien rire de moi, ça m’était égal. Avec un sourire taquin, je poursuivais. « Tu veux t’asseoir et que je te fasse la lecture ? » Je doutais qu’il dise oui, quoique le contraire ait été drôle. Je m’imaginais très bien en train de lui lire la suite.

Dion sursauta lorsque j'élevais enfin la voix afin de signaler ma présence. Je souris face à ce comportement. Il m'amusait. Je restais appuyé au niveau de la porte et l'écoutais tout en buvant une gorgée de jus d'orange. Pourquoi pas ? je n'avais lu à voix haute lorsque j'étais seul. Mais chacun avait son moyen de décompresser. Je m'approchais du jeune lorsqu'il m'invita à m'asseoir. « Pourquoi pas... » Lui répondis-je. « Ça pourrait être drôle. » Je m'installais alors sur le lit et déposais mon verre sur la table de chevet. Puis je m'allongeais aux côtés de Dion. « Je t'écoute. » Lui confirmais-je enfin.

Je lui fis un gros sourire lorsqu’il vint se coucher près de moi, acceptant ma fausse proposition. J’étais agréablement surpris qu’il accepte quelque chose que je jugeais moi-même assez puéril, mais en même temps, pourquoi pas ? Disons que chez moi la plupart du temps personne ne voulait m’écouter lire – probablement parce que je le faisais déjà assez spontanément et quand plus je commentais tout ce que je lisais avec un peu trop de passion. Alors, que quelqu’un veuille bien m’écouter, j’étais totalement enchanté. Je ne savais pas trop quoi lui lire de ce livre, et donc je décidais de ne pas trop me compliquer la vie, c’est-à-dire, je commençais à lui lire où je m’étais arrêté lors de son apparition. « Bien sûr le repas est impossible pour moi mais, grâce au fait que papa est déjà en Europe et ne peut pas la critiquer, maman m'a préparé un sac avec toutes sortes de choses molles à grignoter. Chaque fois quej'en ai envie, je mets la main dans le sac et en retire quelque chose, un sandwich au beurre d'arachide, un bout de fromage, une banane, je les glisse entre mes lèvres et les fait fondre contre mes gencives, les liquéfie et les contrôle en espérant qu'ils seront coopératifs, qu'ils se téléchargeront en caca bien moulé au lieu de se soulever et de fomenter une révolution en giclant par ma bouche sous forme de vomi. *» Oui, c’était un passage très intéressant, certes, et j’étais mort de rire intérieurement, mais ce n’était sûrement pas le passage le plus distingué de tout le livre. Enfin, disons que le texte contenait suffisamment de situation semblable pour paraître assez déluré. Je le regardais avec compassion, comme si je l’avais forcé à manger un truc dégueulasse. « Mouais … Il faut être habitué au style de l’auteur, hein … Et puis savoir que c’est un gosse qui parle. » Personnellement, j’adorais, mais ça ne devait pas être au goût de tout le monde.

*Ligne de failles, de Nancy Houston (chapitre un, narrateur : Sol)

Allongé sur le lit, les bras derrière la nuque, j'écoutais l'histoire de Dion. C'était bien la première fois que l'on me faisait la lecture depuis mon enfance et cela avait quelque chose que j'appréciais énormément même si j'aimais toujours autant me mettre dans un bon bouquin. J'écoutais donc attentivement les dires de Dion tout en fixant le plafond de la suite. Je fermais les yeux un instant m'imaginant alors la scène d'horreur dont il me faisait la lecture. « Si tu ne me dis pas tout, comment pourrais-je comprendre la fin mot de ton histoire assez tordue, je dois bien l'avouer. » Je détournais mon regard vers le jeune homme et lui souris. « Tu peux continuer. »

J’étais heureux de l’intéresser. Et qu’il n’ait pas l’air dégoûté non plus. Cependant, je n’avais pas vraiment envie de continuer à lire, jugeant que c’était peut-être un peu trop ‘solitaire’ comme activité. Je me penchais au dessus de lui, prenant son verre de jus d’orange, et sans même lui demander, j’en buvais une gorgée. Je me préoccupais même pas du fait qu’il pouvait être une de ses personnes qui ne supportaient pas partager leurs ‘microbes’ avec les autres. De toute façon, ce genre d’attitude me dépassait. « Je préfère te faire un résumé, c’est plus sympathique, et puis c’est beaucoup plus rapide. Alors en fait, ce gosse s’appelle Sol, tu vois, et il se prend pour Dieu sur Terre, un genre de messie, mais pas aussi gentil que Jésus, tu vois, plutôt du genre à dire je suis le plus beau, le plus magnifique. Bref, c’est l’archétype même de l’enfant roi du XXe siècle, le genre de gosse que tu as envie d’étriper. Et en fait, le livre remonte dans le temps : il raconte ensuite l’histoire de son père, puis de sa grand-mère et ensuite de son arrière grand-mère, et le but c’est de montrer la souche du problème psychologique de chacun des membres de cette famille. Genre, la grand-mère a un moi méchant, tu vois, l’arrière grand-mère était une excentrique bizarre … Bref un truc de fou ! » Je m’étais laissé totalement emporté, assis sur mes genoux, en train de faire de grands gestes avec mes mains. Fatigué d’être aussi agité, je me laissais tomber comme une masse sur le lit, à ses côtés. « Dis … C’est bien Hermès, ton prénom, non ? » Je passais du coq à l’âne, mais bon, il était toujours bon de savoir à qui on s’adressait, non ? Je m’en préoccupais peut-être un peu tard, cela dit.

Je lui demandais de continuer. Cependant, le jeune homme se pencha tout d'abord sur moi pour prendre mon verre et boire une gorgée de mon jus d'orange. Si cela lui faisait plaisir, pourquoi l'en empêcherais-je puisque j'aurais très bien pu faire la même chose ? Il reprit ensuite la parole. L'écoutant attentivement, je remarquais quelques points communs entre Sol et moi. En effet, j'étais parfait comme le protagoniste de cette histoire le pensait également. J'arquais un sourcil face à sa dernière réplique. Oui, cela pouvait être fou mais de là à me procurer autant d'émotion que lui. Finalement, je riais légèrement. Son enthousiaste était peu commun. C'était agréable de voir quelqu'un d'aussi passionné. Il s'allongea à mes côté et je me tournais vers lui pour répondre à sa question. « Oui, c'est bien ça, mon cher Dion... Il faudrait peut-être travailler ta mémoire des prénoms avant de t'échapper dans un bouquin même s'il est très intéressant. »

Je grimaçais. La mémoire des prénoms, hein ? Un véritable défaut qui me poursuivait depuis des années. C’était vraiment désagréable. Encore, là ça allait, nous n’étions pas des amis depuis dix ans, mais ça m’arrivait aussi avec mes proches. Et là, il fallait en payer les conséquences. Bon à force de me côtoyer, on s’y faisait, de toute façon, pas le choix, il était réellement compliqué de me faire retenir un prénom – et pire un nom. « Mouais … Je crois bien que j’ai retenu le tien parce que ça me rappelle la mythologie, c’est beaucoup plus simple. Enfin, ça veut rien dire, je pourrais très bien l’oublier dans un jour ou deux. Faut juste pas m’en vouloir, c’est totalement involontaire. » Je tournais la tête pour lui faire un sourire angélique. Pouvait-on vraiment m’en vouloir avec cette bouille ? J’espérais que non, c’était vraiment mon seul atout. Je regardais ma montre et me rendais compte de l’heure. Je sautais sur mes pieds avant de me retourner vers lui pour expliquer ma soudaine agitation. « L’heure du goûter, une heure sacrée. » J’avais dit ça d’un ton docte, avant de me pencher pour attraper un paquet de cookies que j’avais placé en dessous du lit. Je remontais sur ce dernier, ouvrant le paquet et tendant un biscuit à Hermès. « Bon appétit ! »

Tourné en direction de Dion, je le fixais attendant qu'il réagisse face à la réponse que je venais de lui donner. C'était un littéraire dans l'âme, un amoureux des bouquins en tout genre. D'une certaine manière, c'était beau de voir un tel amour pour la littérature. Je partageais aussi une telle passion que lui pour mon métier. Je le comprenais donc parfaitement. Je souriais lorsqu'il m'avoua avoir retenu mon prénom parce qu'il était en rapport direct avec la mythologie. Au moins, je l'avais marqué. C'était tout ce qui m'importait. Et même s'il me souriait comme un gamin et que cette bouille était des plus répugnante, je ne pouvais lui en vouloir. Au moins, il m'avait remarqué. C'était ici le principal à mes yeux. Sans que je m'y attende, il me fit sursauter en s'agitant de la sorte. mais que diable lui arrivait-il ? Je croyais avoir un véritable bébé devant moi. Il changeait d'humeur d'une seconde à l'autre. C'était intriguant. Blasé face aux explications de Dion, je me laissais tomber sur le dos et soupirais. « Un véritable gamin... » Commentais-je à voix haute avec un petit ton amusé au vu de ce comportement enfantin. Il me tendit alors un cookie. Je le fixais quelques secondes avant de l'attraper et d'en croquer un morceau. « Ça t'arrive souvent de changer de tempérament aussi rapidement ? » Je croquais à nouveau dans le cookie, le terminant au passage avant de boire une gorgée de jus d'orange. « Je me croirais presque retourner au lycée ou pire en maternelle. »