Il était déjà tard. Pourtant, je n'étais pas fatigué. Je n'avais même pas l'envie de dormir et de m'allonger sur mon lit. J'avais juste besoin d'être seul, de m'apaiser les oreilles après une nouvelle journée dans le château. Je me dirigeais donc vers la piscine. Le bruit de l'eau aurait cet effet bénéfique pour moi et même si je ne me baignais pas, je plongerais surement pied par simple plaisir de la vie. Vêtu de mon short de bain et d'un tee-shirt, je m'accroupis pour m'asseoir et trouver en même temps le rebord de la piscine. Pour tout le monde, cette tâche serait des plus faciles mais pour moi, c'était une tout autre histoire. Je soupirais, tout en remuant mes jambes. Être ici était vraiment une expérience hors du commun. Sortir de mon trou perdu était déjà impressionnant et me retrouver parmi des personnes venant de toute l'Irlande et même de France était fantastique. Je restais donc là, sur le rebord d'une piscine, à attendre je ne sais quoi de la part de n'importe quoi, n'importe qui. Je me perdais dans mes pensées tout en sifflotant un air déjà bien connu du groupe Maroon 5 : Misery.

Il y avait une espèce de proverbe dans notre trou paumé qui disait quelque chose dans le genre ‘celui qui trempe un doigt dans l’eau, se retrouve au fond de la piscine’. Bon j’avais toujours soupçonné mon cousin de l’avoir inventé pour me faire chier, mais passons. Le type qui me tournait le dos, là, assis près du bord, me tentait pas mal. En plus il avait son maillot de bain, ça voulait bien dire qu’il avait en tête de s’y plonger, non ? Et puis de toute manière j’avais pour projet de me barrer en courant, donc y’avait pas la moindre chance pour qu’il puisse un jour exercer une sourde vengeance. Pas vu, pas pris. C’était certes d’une puérilité sans nom, mais enfermé dans un château, on en venait vite à tourner en rond et à songer à ce genre de stupidités. Une fois ma résolution prise je m’avançai sur la pointe de mes pieds nus, appuyai mes deux mains contre les épaules de l’inconnu et exerçai une forte pression qui l’envoya directement dans l’eau. J’étais sur le point de faire demi-tour lorsque je tombai par hasard sur une espèce de canne posée un peu plus loin. Ma bouche s’ouvrit aussitôt et je me tournai vers la piscine, l’air légèrement paniqué. Chiottes. C’était l’aveugle. Evidemment, il fallait que je tombe sur l’aveugle et ma blague foireuse devenait une blague dangereuse. Je me précipitai à sa rescousse, m’allongeant sur le sol en l’attrapant par le col de son t-shirt, juste au cas où. « Oh merde, j’suis désolé mec. » Etrangement je n’arrivais pas à refreiner un rire nerveux qui résonnait dans la piscine. Pas vu, pas pris, tu m’étonnes. C’était quand même assez risible, quand on y pensait bien. Après quelques secondes je parvins à me calmer, avec la crainte qu’il me prenne définitivement pour un gros con. Fallait avouer que balancer un aveugle dans une piscine, c’était pas la meilleure chose à faire pour obtenir le prix de la bonne action de l’année. « Enfin, ça s’trouve tu sais nager, non ? » Après tout, pourquoi un aveugle ne saurait-il pas nager. A part risquer de se cogner la tête contre le rebord, bousculer les petits vieux qui font leur longueur à la piscine, y’avait pas trop de danger. Pour une question de survie, ça aurait pu être utile. Et de toute façon, je ne savais même pas s’il était aveugle de naissance ou non. Et si ça s’trouvait, il était en train de se demander pourquoi j’étais en train de le retenir par le col de son t-shirt comme un gamin de deux ans qui essaie de nager sans ses flotteurs, et ça allait encore plus l’énerver. D’un autre côté je ne pris pas le risque de le lâcher immédiatement, juste par précaution.

Tranquillement assis sur le rebord de la piscine, je trempais mes pieds dans l'eau chaude. C'était agréable et parfaitement décontractant après déjà trois jours dans le château. Certaines se crêpaient déjà le chignon tandis que d'autres se débattaient sur le fait d'aimer ou non les hommes. Oui, nous pourrions presque croire que nous étions dans un asile mais ce n'était qu'une émission de télé-réalité. Perdu dans mes pensées, je n'entendis pas l'arrivée d'un candidat dans mon dos. Ce n'est qu'une fois que je fus à l'eau que sa présence me fut révélée et pour cause, je n'étais pas celui qui m'avait poussé à tomber. Cependant, je fus rapidement remonter à la surface grâce au tissu du tee-shirt que je portais toujours et qui était désormais comme une vraie serpillière usagée et trempée. « Enfin, ça s’trouve tu sais nager, non ? » Je ne fis aucun commentaire. Je reprenais simplement mon souffle et sans le crier, j'attrapais les bras du candidat pour le faire passer par-dessus moi et l'envoyer dans la piscine. Je rigolais. Au moins, j'étais désormais maître de mes mouvements et je nageais pour ne pas couler car oui, je savais nager. « Ça répond à ta question ? » Lui demandais-je entre deux rires. Je retirais alors mon tee-shirt que j'envoyais valser rapidement sur le rebord.

J’eus rapidement réponse à ma question, en effet. Le type me balança dans la flotte, me rendant la juste monnaie de ma pièce avec un sens de l’humour dont je fus relativement soulagé. Au moins n’allait-il pas essayer de me battre à mort à coups de canne d’aveugle dans un avenir proche. On pouvait dire qu’on était quitte. Je remontais à la surface avec une certaine difficulté. Fallait dire qu’un plongeon avec un jean, un t-shirt et une veste, ce n’était pas franchement pratique. « Je rêve, le traître ! » Je passai une main sur mon visage, m’accrochant à l’épaule de Lukas sans plus d’avertissement afin d’éviter de couler. « Tu m’excuseras mais moi par contre, j’ai du mal à nager. » Ouais, parce que ce que je n’avais pas précisé c’était que quand je faisais allusion à partir en courant, c’était plutôt partir en boitillant. Un léger handicap qui ne me permettrait jamais d’arriver sur le podium d’un tournoi de natation. Je m’appuyai sur lui sans autre forme de procès, m’extirpant de l’eau afin de m’étaler sur le bord comme une baleine échouée, allongé sur le dos. « Je savais bien que c’était fourbe les aveugles. Tu mériterais que je te pique ta canne et que je te laisse te cogner partout. » Légèrement culotté venant de la part de celui qui avait été à l'origine du mouvement. Je me relevai à moitié, attrapant la dite canne avant de repousser Lukas qui tentai à son tour de regagner le rivage. Cependant j’abandonnai rapidement en me rendant compte qu’il n’aurait aucune difficulté à l’attraper et me faire à nouveau plonger dans ce liquide qui puait le chlore. « Enfin je vois que tu t'es bien remis du prime, plutôt mouvementé pour toi. Faut dire que tu passes pas inaperçu. » Je me dandinai sur le rebord afin d'attraper mon paquet cigarettes coincé dans la poche arrière du jean, n'en ressortant qu'une boîte de carton trempée rempli de cinq bâtons inutilisables. « T'abuses mec, t'as bousillé toutes mes clopes. » Comme si j'avais été parfaitement innocent à l'affaire.

Traître, moi ? Je pouvais aussi bien le qualifier de fourbe et de lâche. Mais je ne fis rien. Je remarquais alors que j'avais pied où j'étais désormais et je sentis une main sur mon épaule. Le candidat avait du mal à nager, je ne comprenais pas pourquoi. Mais je ne posais aucune question car je savais que c'était souvent dérangeant, pour ne pas dire énervant et gênant. Je laissais donc faire, constatant qu'il sortait de la piscine. Je me reculais légèrement du rebord. « Je savais bien que c’était fourbe les aveugles. Tu mériterais que je te pique ta canne et que je te laisse te cogner partout. » J'émis un léger rire, espérant vraiment qu'il n'y pensait pas une seule seconde. « J'ai toujours mes mains et mes bras pour m'en sortir. » Lui répondis-je alors avant de reprendre pour l'informer de la situation du premier prime. « Pour tout dire, je n'ai pas eu vraiment de mal avec le prime. arrivé dans les derniers, j'ai juste parlé à Moore et à ma partenaire, sinon j'étais tout seul la plupart du temps. » Je soupirais avant de plonger la tête sous l'eau et de remonter assez rapidement. « T'abuses mec, t'as bousillé toutes mes clopes. » « Dis-toi que je t'ai peut-être évité un cancer des poumons et tu me remercieras, non ? »