OONA

Je ne fais pas parti de ces personnes qui restent des heures et des heures à somnoler dans leurs lits. Non seulement je suis un semi-insomniaque, mais en plus je déteste par-dessus tout l'inactivité. On ne le devine pas comme ça, avec ma voix sans aucune intonation et lente qui pourrait tout autant appartenir à un mollusque -si seulement un mollusque était doté d'un appareil phonatoire pour être capable d'aligner deux mots bien entendu- mais je n'aime pas légumer en ne faisant strictement rien, il faut que je m'occupe. Certes, ce n'est pas moi qui vais aller faire le tour du château en courant, d'autant par la température hivernale qui règne en cette période de l'année en Irlande, ou qui vais filer gaiement à la salle de sport pour faire du rameur, mais j'ai besoin de ne serait-ce que me trouver une victime à observer en détail pendant un certain temps, l'analysant en détail. Très sincèrement, ça occupe. Ainsi, cela va maintenant faire un sacré moment que je suis debout quand je rentre dans la chambre qu'on nous a attribué à ma partenaire et à moi. Fraîchement douché et habillé de mon T-shirt préféré I see dead pixels, je m'avance jusqu'au placard où sont entassées mes affaires pour y ranger du linge propre débarquant tout juste de la machine à laver. C'est à ce moment-là que les premières notes d'une musique bruyante et populaire résonne dans toute la chambre. Chaque matin, la production de l'émission nous balance des morceaux de techno, électro ou quel que soit le nom qu'on donne à ce genre de musique pour réveiller les derniers endormis. J'imagine qu'ils pensent que sans ça, nombreux candidats s'octroieraient des grasses matinées bien méritées et des candidats toujours fourrés sous la couette, ce n'est pas bon pour l'audience. Etrangement, la plupart semble avoir prit le rythme, puisque j'ai l'impression d'être seul dans la pièce. Lady Gaga doit très franchement commencer à me taper sur le système -je ne sais pas qui se charge de choisir les musiques, mais il doit aduler la nouvelle reine de la pop- parce que je me surprends même à entonner le "roma romama gaga oulala" du début de Bad Romance en même temps que la chanteuse.

J’étais debout depuis très tôt et j’étais aussi de mauvaise humeur depuis les environs de sept heures. Ma rencontre avec Syssoï s’était réellement mal passé… ouai, plus que mal passé même et il m’avait pourrit littéralement ma journée. Du coup, je n’avais pas envie de bouger, ni de voir du monde ; ils risquaient de m’énerver un peu plus et je n’avais pas envie de pousser un deuxième coup de gueule dans la même journée et qui plus est, dans la même matinée. Vers les neuf heures et après deux heures de danse, je sortais enfin de la salle de sport, pour rejoindre la communauté, dont une partie n’était toujours pas levée, évidemment. Pourtant, le château semblait déjà plus animé qu’au petit matin, avec des voix par-ci et des rires par-là. Je passais outre, restant dans ma petite bulle, pour rejoindre la cuisine. Sans grande surprise, je ne voyais toujours pas de scones sur le plat laissé à l’abandon et c’est avec une grande inspiration, que je repartais de la cuisine, les mains vides. J’avais tout de même bu un bon verre de jus d’orange, pour m’éviter de tomber dans les vapes au beau milieu de la bâtisse. Avant de ne rien faire, je m’étais arrêtée dans la salle de bain pour me débarrasser de la sale odeur de transpiration que je traînais depuis tout à l’heure. Seule, j’en profitais pour tirer un maximum d’eau chaude, avant de sortir de là, toute fraiche. J’avais préalablement détachés mes cheveux, dégoulinant sur mes épaules à présent nues, et mis dans un panier de linge sale, mes affaires de danses. J’avais rangé soigneusement mes pointes dans un petit endroit, où personne ne pouvait les trouver. C’est que je tiens très fort à elles et je n’avais aucune envie de les voir tomber entre de mauvaises mains. Une fois hors de la salle de bain, habillée d’un tee-shirt très ample dévoilant mes épaules et d’un petit short normalement de sport, je me dirigeais vers ma chambre, pour m’allonger et ne plus penser. À peine m’étais-je engagée dans le couloir, que l’horrible musique Gaga se faisait entendre, me faisant, par la même occasion, sursauter. Aaaaah mais la prod’ ne connaissait que ça comme musique ? Elle ne pouvait pas nous mettre un classique de temps en temps. Je me dépêchais d’entrer dans la chambre, refermant expressément la porte derrière moi, avant de sauter sur mon lit en étoile. Je n’avais pas vu la présence d’un autre candidat et je ne m’en souciais pas vraiment ; préférant me retourner tout en attrapant l’oreiller de Lukas, que je lançais sur les espèces d’enceintes présente dans la pièce, en beuglant. « C’est d’la meeeeerde ! Tait toi sal…. Grognasse ! »

Je ne suis pas vraiment un grand fervent de musique, et encore moins des abonnés à la première place du classement des hits de l'année, mais au bout de même pas deux semaines passées dans le nid, je commence déjà à connaître sur le bout des doigts la discographie de Lady Gaga. Foutue mémoire hors norme, mon cerveau connait à présent trop bien le tube qui résonne dans tout le château pour rester insensible au bruit ambiant. Je soupire, en essayant de passer outre le fait que mon esprit récite les paroles en coeur avec la musique. La porte claque bruyamment dans mon dos. Je me retourne et voit très distinctement Oona en train de sauter sur son lit avant de s'emparer d'un oreiller pour le lancer vers les hauts-parleurs présents dans la chambre en hurlant. Je cligne des yeux, ne comprenant pas totalement le but de la démarche. Ce n'est manifestement pas la méthode à employer si elle a l'intention de faire cesser la voix de la grande blonde effrayante. Parce que oui, je sais pas vous, mais moi la Gaga elle me fait un peu peur, avec ses lubies étranges et ses airs de cannibales dont le met favoris est les grands hommes musclés à la plastique digne des magasines de mode. Bref. Lancer un oreiller sur des enceintes est vain parce que ce n'est pas grâce à ça que le son va s'arrêter et lui demander de se taire est tout autant bizarre. Je regarde la jeune femme légèrement perdu, avant de lui dire le plus sérieusement du monde: « Ca doit être une bande son pré-enregistrée, et quand bien même ce serait du direct, il est fortement douteux qu'elle chante en regardant FAKE LOVER à la télévision... enfin je pense. Donc en théorie elle ne peut pas t'entendre. » J'hausse les épaules.« J'ai cru comprendre que tu étais danseuse. Tu devrais danser, tu as l'air sur les nerfs... » je continue de ma voix monotone, pas le moindre du monde en plaisantant ou faisant du sarcasme. Ce n'est qu'une constatation qui me passe par la tête, mais mon cerveau n'a pas cette fois-ci enclenché sa fonction barrage adapté aux relations avec autrui.

J’avais eu une telle force pour lancer cet oreiller, qu’il s’explosa à terre dans un gros boum. Enfin, il n’a pas réellement explosé, c’est simplement qu’il tomba très bruyamment. Je suivais le mouvement de l’oreiller, qui retomba à quelques mètres de mon lit et de celui d’Elvis, qui se tenait debout dans la pièce. J’haussais un sourcil. « Ca doit être une bande son pré-enregistrée, et quand bien même ce serait du direct, il est fortement douteux qu'elle chante en regardant FAKE LOVER à la télévision... enfin je pense. Donc en théorie elle ne peut pas t'entendre. » Je le regardais pendant quelques secondes, perplexe face à ce qu’il venait de me dire. Oui, évidemment elle n’allait pas chanter pour nous, cette bande de petits candidats insignifiants pour une chanteuse mondialement connue comme elle. J’aurai pu très bien prendre la mouche, mais je ris un peu, en enfonçant ma tête dans les couvertures. Je me relevais, pour être dans une position assise plus confortable. « Sérieux ? Nan mais franchement, tu peux pas savoir comme ça défoule de lancer un truc sur ce machin ! Si seulement elle avait pu être en live là, au moins elle aurait fermé sa geu… sa bouche. Là, on doit la supporter, cette Horrible Gaga. » C’était assez clair, je n’aime vraiment pas cette Lady Gaga. À mes yeux, elle n’a plus rien d’une réelle artiste ; elle se sent simplement obligée de s’habiller excentriquement pour exister. « J'ai cru comprendre que tu étais danseuse. Tu devrais danser, tu as l'air sur les nerfs... » Je poussais un soupir, en roulant des yeux. « Ouai… sauf je viens de passer deux heures à danser là ! J’ai franchement plus envie d’entendre le mot danse pour aujourd’hui. » disais-je en me tournant de nouveau vers lui. J’étais blasée. « Tous ce dont j’avais besoin, c’était de rester tranquillement dans mon lit… sans cette musique ! » Sur la fin de ma phrase, je levai une main en l’air en m’adressant à l’enceinte, avant de retomber sur le lit. « Qu’est ce que tu faisais ici, tout seul ? »

J'observe la jeune femme de ma place, doit comme un I, avec une certaine curiosité. Elle devient définitivement étrange à mes yeux quand elle me dit à quel point ça peut défouler de lancer un oreiller dans des enceintes. Je cligne des yeux. Est-elle sous pression ? C'est assez étonnant, je pensais que compte tenu du fait qu'on ne faisait strictement rien dans ce château, toute angoisse de la vie réelle était censée disparaître, mais ça ne semble visiblement pas être le cas pour la candidate. C'est un peu paradoxale que je trouve Oona bizarre, parce que dans ce domaine j'atteint des sommets, mais dans mon esprit oblique c'est tout de même le cas. « Ouai… sauf je viens de passer deux heures à danser là ! J’ai franchement plus envie d’entendre le mot danse pour aujourd’hui. » « Ah... » je me contente de prononcer à demi-voix, presque gêné d'avoir proposé une solution qui me parait à présent stupide depuis que je l'ai vu rouler des yeux et soupirer. Je glisse mes mains dans mes poches, ne sachant quoi en faire quand elle tourne son regard dans ma direction. « Tous ce dont j’avais besoin, c’était de rester tranquillement dans mon lit… sans cette musique ! » Bêtement, je suis du regard la direction qu'indique sa main vers les enceintes, en acquiesçant d'un signe de tête comme si je comprenais parfaitement son mécontentement, alors que ce n'est pas du tout le cas. La musique ne me gène pas. De toute façon, mon répertoire dans cette discipline est tellement peu étendu que ça m'est égal que la production nous passe du Marlyn Manson ou du Bob Marley, et il faut avouer que ce n'est pas une chose qui me passionne particulièrement, bien que je sois capable de jouer de nombreuses partitions de genres divers et variés au piano. « Qu’est ce que tu faisais ici, tout seul ? » Je la regarde avec curiosité, comme si j'étais le premier étonné que quelqu'un s'intéresse à mes activités matinales dans cette émission. En même temps, ce n'est pas bien fascinant. « Je rangeais mon placard, j'aime bien l'ordre. » dis-je en coulant un regard vers la pile de vêtement à mes côtés, sur laquelle trône fièrement toute une panoplie de paires de chaussettes aux motifs amusants. Je continue en ramenant mes yeux dans sa direction: « Tu n'aimes pas Lady Gaga ? » Perspicacité, bonjour.

« Ah... » Je lui avais fais un signe de la tête, comme un ‘et oui !’ mais il ne pouvait pas le savoir. Ca ne voulait pas dire que je n’aimais plus la danse et j’étais bien capable d’enchaîner quatre ou cinq heures sans m’en rendre compte. Ce jour ci, je n’arrivais tout simplement pas à me concentrer et le moindre faux pas me faisait enrager. Je m’étais dis que, trouver refuge dans la chambre blanche était une bonne idée. En fait, ça l’étais en un sens, autant que ça ne l’était pas et ce n’était en rien la faute de cet Elvis. Ce prénom me fit sourire, qui ne penserait pas au King en entendant un tel prénom. Dans un sens, je pouvais me permettre de sourire et même de rire, avec le prénom que je me tapais, j’avais le droit de tout. Bref, habituellement, je ne suis réellement pas curieuse, peu soucieuse des personnes qui m’entourent. Pourtant, je ne pouvais pas m’empêcher de me demander ce qu’il faisait ici. Enfin, autant sur le moment que dans l’aventure en fait. « Je rangeais mon placard, j'aime bien l'ordre. » Je m’étais allongée de nouveau sur le lit. Mon tee-shirt, pourtant ample, dévoila mon ventre, qu’en temps normal je me serais dépêché de cacher, mais que je laissais finalement à la vu d’Elvis et des téléspectateurs. Je fais ma folle là, je me dévergonde grave… ou plutôt je n’en ai plus rien à foutre. J’étais déjà comme chez moi ici et chez moi, je fais ce que je veux, quand je veux. « Ca ne se voit pas… que t’aime l’ordre » Je me pinçais les lèvres. Je venais de l’observer de haut en bas. Je trouvais que tout en lui était carré, que tout était ordonné, reflétant cette idée d’ordre. Contrairement à lui, je me moque bien du bordel et du désordre ; il n’y a que la saleté que je ne supporte pas, mais qui la supporte vraiment ? « Tu n'aimes pas Lady Gaga ? » Je relevais le haut de mon corps, un sourire moqueur au coin de mes lèvres. Avant de lui répondre quoique ce soit, je me hissais à l’autre bout du lit, pour appuyer mon dos contre la tête, repoussant mes cheveux en arrière. « Si ! J’suis trop fan d’elle ! Je l’adule carrément… Son look quoi, je pense que je vais m’habiller comme elle ! » Je le fixais ; j’avais l’impression qu’il était assez sérieux et ne riait pas beaucoup. Ce n’était qu’une impression après tout. « Je rigole ! J’aime pas du tout ses chansons, sa façon d’être… » Je fis une moue. « … Je préfère écouter des musiques et des chansons plus classiques ; de Nina Simone, des Rolling Stones, de Mozart. Mais je n’pense pas que mon vœu sera exaucé d’aussitôt ». Disais-je en haussant les sourcils ; je me résoudrais bien vite à fredonner moi aussi du Lady Gaga et d’autres musiques de ce genre. « T’aime bien toi ?... »