MADELEINE

Une moue sceptique se dessine sur mon visage, alors que je me dévisage dans le mirroir en clignant des yeux. Je penche la tête, à droite, à gauche, puis je jete un coup d'oeil à l'un de mes profils, avant d'observer le second. Une vraie face d'ange. Le petit hommage rendu à mon chef d'équipe, Alix, lors du prime de la veille m'a un peu déconcerté. J'ai vraiment l'impression d'être en décalage total avec les autres candidats, surtout sur le plan cérébral, mais pas seulement si on prend en considération ma personne dans sa globalité. Grands yeux clairs, nez très légèrement retroussé, lèvres un peu plus charnues que celles habituelles des possesseurs d'un chromosome Y et bien entendu pas l'ombre d'un poil sur le menton. Une vraie allure androgyne, bien loin du physique de Connor ou encore du sosi du psychopathe qui découpe des crânes dans Heroes -culture quand tu nous tiens-, Ruben. Je cligne des yeux, une nouvelle fois en symétrie avec mon reflet. C'est parfaitement logique, mais je ne peux m'empêcher de réitérer la chose juste pour voir si j'arrive à m'apercevoir les yeux fermés. Bref. J'enfile mon jeans, parce qu'il commence à faire sacrément froid. Non pas que la production se montre avare en ce qui concerne le chauffage, mais vu le temps qu'il fait dehors, même sous une bonne dizaine de projecteurs, en gros on se les caille. Je me retrouve face à un énorme dilemme: lequel de mes T-shirts un tant soit peu amusant, ce qui n'est pas si mal que ça, dans le nid où la majeur partie des candidats se prennent souvent un peu trop au sérieux. Même si je suis bien loin de l'agitation générale, ni fier protagoniste de toutes les grandes discussions, j'ai crû remarquer que le jugement des uns des autres tient une place assez gigantesque dans l'émission. C'est une analyse particulièrement aboutie... A partir des commentaires de mes colocataires sur leurs blogs... Certes. Madeleine entre dans la salle de bain, mécaniquement je me saisis de mes trois T-shirts sortant tout juste de la machine à laver et je les place pudiquement -et surtout futilement- contre mon torse dénudé comme une jeune fille effarouchée.

J'émerge d'une longue nuit de sommeil avec la tête aussi grosse qu'un ballon de football. J'ai envie de shooter dedans tant elle me parait lourde, gonflée, endommagée par la soirée d'hier. Je descends au rez de chaussé me servir un thé, rituel auquel je m'applique chaque matin, et accompagne le tout d'un maigre aspirine. Je me demande comment une si petite pastille pourrait résoudre tous mes maux. Je l'observe, déposée tout contre ma paume, peu convaincue par les effets pourtant puissant d'une aussi petite dose de médicament. Et pourtant, je suis infirmière. C'est en cela que la médecine m'impressionnera toujours, même quand elle soigne les gueules de bois et les migraines. Dissout dans un verre d'eau, je l'avale. Les minutes passent et je me sens déjà mieux. C'est sûrement psychologique. Je monte alors de nouveau aux étages supérieurs, direction la salle de bain où à défaut de prendre une douche j'aimerai me laver les dents. Au moins ça. J'arrive d'un pas tranquille près de la pièce en question, je perçois de l'autre côté de la cloison les bruits parfaitement distincts de petits pas, de petites mains qui s'activent sur le lavabo. Je m'arrête avant de dépasser la porte, reprend mon souffle et masse mes paupières enflées. Avec mon speech d'hier soir, difficile de marcher la tête haute et le regard fier. Je sens déjà mes joues s'empourprées alors que je pénètre sur les lieux, mais mon gêne se noie bien vite face à celui, plus grand et soudain, du candidat qui se trouve face à moi. Je glousse avec franchise à sa vue tout en l'imitant, cachant à mon tour ma poitrine de mes bras dans un petit cri caricatural. Je m'amuse de lui, mais c'est bon enfant, et j'espère que l'enfant a de l'humour. « Ne t'en fais pas, c'est juste moi. » Je lui souris simplement et m'approche, tâchant de ne pas penser à ce qu'il peut bien se demander à mon sujet à cet instant. J'actionne un robinet, glisse mes mains froides dessous, et me permet de jeter un coup d’œil dans sa direction, dans le miroir. Il semble toujours aussi figé, incommodé par ma présence. Je soupire et égoutte mes mains. « Viens-la Elvis. » Je lui dis tout en l'attrapant par le bras, le tirant vers moi doucement. Je me saisis de ses t-shirt que je dépose sur le comptoir. Mon dieu, mais il a pêché où tout ses muscles? Je cache mon étonnement et fronce les sourcils tout en dépliant le premier vêtement contre sa peau, les extrémités des épaules en tissus coincées entre mes pouces et ses omoplates. « Celui-ci est bien trop grand pour toi. » Je déplie ensuite le deuxième d'un regard critique.

Je cligne des yeux en voyant Madeleine imiter mes gestes. Est-ce qu'elle se moque de moi ou... Je ne suis pas très sensible à tout ce qui touche à l'ironie, la plaisanterie ou toute autre chose s'y apparentant, donc je me contente juste de fixer la jeune femme d'un air confus, sans même bouger de ne serait-ce qu'un infime millimètre. De toute façon, je ne fais pas parti des personnes qui se formalisent pour une si petite chose. « Ne t'en fais pas, c'est juste moi. » Parce que je suis censé me sentir brusquement soulagé, là-maintenant ? Car même en sachant à qui j'ai à faire, je ne me sens pas particulièrement relaxé. « Viens-la Elvis. » Pardon ? Sans même avoir le temps d'émettre la moindre protestation -en même temps, je m'imagine très mal en train de lui beugler dessus parce qu'elle a osé poser sa main sur ma peau- elle me tire vers elle, avant de me débarrasser de ce qui me fait jusque là office de paravent. Comme un gamin, je me dandine d'un pied sur l'autre mal à l'aise, alors que je sens son regard se poser machinalement une demi-seconde sur mon torse. J'ai l'impression d'être nu, ce qui est totalement stupide. Elle étend l'un de mes T-shirts contre ma peau, l'observant d'un oeil critique, avant de donner son verdict. Dur. D'une demi-voix, j'essaye tout de même de prétexter un peu, histoire de défendre l'honneur de mon vêtement: « J'aime pas quand c'est trop moulant. J'ai l'impression d'être un robot qui bouge par mouvements saccadés... » dis-je en faisant une courte démonstration en levant un bras puis l'autre d'une manière très discontinue, ce qui s'avère être ma représentation personnelle d'un robot. Je fais retomber mes deux membres brusquement, comme si j'étais une marionnette faite de tissus, puis je rive mes yeux sur Madeleine. « En plus il est super amusant... » fais-je remarquer en montrant d'un signe de tête l'illustration qui s'étend sur le devant.

« Pourtant tu as un beau corps, c'est dommage de le cacher derrière d'aussi grands vêtements. » Je me sens obligée de lui faire remarquer d'une voix douce et maternelle alors qu'il m'explique pourquoi il ne porte que des t-shirts larges. Son imitation me fait rire, je le regarde faire avec les sourcils haussés avant de secouer doucement la tête, amusée. Nos regards se posent conjointement sur le vêtement que j'ai abandonné dans le vasque du lavabo, je m'en saisis un bref instant pour regarder le motif avant d'en écarter les pans devant moi. « C'est vrai qu'il est marrant, je n'avais pas fais attention... » Je dis, pensive. Je le pose sur mon épaule et, son copain en main, recommence le manège précédent du même œil critique. « Lui. » Je fais, impassible, tout en m'approchant du jeune garçon. Sur la pointe de pieds, je passe le t-shirt au dessus de son crâne et le visse sur son cou. Je me recule pour lui laisser le loisir de l'enfiler à son aise. Il lui va bien mieux que le précédent, nettement plus ajusté, il est mis en valeur même si le vêtement reste plutôt ample. Je lisse les plis sur sa poitrine d'un geste expert, réajuste ses manches. J'enfile celui toujours sur mon épaule, par dessus mon pyjama, et vient me poster à ses côtés devant le miroir. Je croise les bras, fronce les sourcils, lui lance un sourcil et replace la mèche de cheveux qui borde son front. J'ai l'impression de porter une robe, ou d'être un rappeur de la côte ouest. N'y aurait-il pas une casquette dans le coin? « On est canon, non? » Je lui demande tout en indiquant le motif de son t-shirt de l'index.

Je sens que mes joues se mettent à brûler doucement en entendant son compliment à propos de ma plastique. Elle a regardé. Je n'aime pas l'idée qu'on puisse discutailler de l'allure de mon corps, intérieurement ou à voix haute, et ainsi se faire des apprioris à mon sujet. C'est sûrement ridicule, mais ça me gène. Bien entendu, je n'en suis pas à porter la burka, mais j'apprécie le port de t-shirts amples. Ca me rassure de me savoir ainsi caché. « C'est vrai qu'il est marrant, je n'avais pas fais attention... » J'acquiesce d'un bref signe de tête ses paroles, mécaniquement. Evidemment que ce motif est drôle, s'il parvient à m'amuser c'est qu'il doit être particulièrement amusant vu mon si peu d'humour personnel. Enfin, j'imagine... On passe au vêtement suivant. Elle tient celui-ci devant mon torse, l'observe d'un air critique, avant de me le passer au-dessus de la tête. Dossile, je m'exécute et le laisse glisser sur mon buste. Tiraillant les pans vers le bas pour qu'il tombe bien droit, tandis qu'elle s'applique à le lisser afin qu'il ne présente plus le moindre plis disgracieux, je jette un coup d'oeil à la demoiselle attendant son nouveau verdict. Mon "I see dead pixels" peut peut-être être sauvé à ses yeux et ce malgré sa couleur jaune un brin douteuse. Je la regarde enfiler mon autre t-shirt d'un oeil perplexe, avant qu'elle n'effectue des gestes dignes de Jay-Z et qu'elle replace une mèche rebelle de mes cheveux qui se permet de me tomber dans les yeux. « On est canon, non? » Je cligne des yeux. « Tu es jolie, oui. » je me contente de répondre de ma voix plate habituelle, bien que je sois très sincère. Madeleine est une belle jeune femme, c'est un fait. Et je ne dis pas seulement ça sous l'influence de mes androgènes, esthétiquement son visage est symétrique et subtile. Bref, elle est jolie. « Tu peux le garder si tu veux, ça te vas bien ... Enfin, en théorie il est trop grand pour toi, mais tu peux le mettre pour dormir ou ce genre de chose... » je précise, me mettant presque à bafouiller en essayant de m'expliquer.