Raphaël était de ces personnes pour qui la religion était relativement importante. Nous n'irons pas jusqu'à dire qu'il passait sa vie à prier ou à remercier le seigneur pour toutes sortes de choses, mais il est vrai qu'il pensait souvent à Dieu, à ce que celui-ci pourrait changer dans le monde s'il existait véritablement - oui, il se questionnait souvent au sujet de son hypothétique existence - au fait que les prières qu'il avait pu lui adresser des années auparavant étaient restées sans réponse, sans retour, comme si personne n'était de toute façon disposé à les recevoir, ou pire encore, à vouloir les exaucer. Et aujourd'hui qu'il se trouvait assis sur l'un des bancs de l'église du village, voilà que Raphaël était pris d'une envie surprenante de prier. Il ne l'avait plus fait depuis quelques temps, ayant tout simplement perdu foi en les croyances qu'il avait pu développer par le passé, étant progressivement parti du principe que personne ne l'écouterait, que personne ne s'intéressait à son cas. Et pourtant, en ce jour, il priait. Il se faisait silencieux, fermait les yeux pour créer un état de communion avec celui auquel il ne s'était plus adressé depuis bien longtemps, comme si l'espoir revenait peu à peu, comme s'il osait espérer à nouveau. Mais ce moment des plus paisibles fut de bien courte durée, puisque l'un de ses camarades crut justement malin de débarquer à cet instant précis, en ne faisant évidemment pas preuve de la moindre discrétion. Visiblement, cela l'amusait de faire résonner sa voix à travers toute l'église, de l'interpeller alors qu'il essayait de se détendre, d'aligner son esprit avec la pensée divine. Lui, il s'en fichait probablement pas mal de tout ça, de la symbolique du lieu. Il se trouvait probablement des plus drôles avec ses remarques pleines de sens. Et donc, il demandait à Raphaël si celui-ci était venu "faire" sa prière du soir, c'est bien ça ? « Il n'y a pas d'heure pour prier. Et je ne l'avais pas fait depuis longtemps, trop longtemps. » En soit, il devait s'en foutre, parce que c'étaient le genre de détails qu'il sortait mais qui n'intéressaient généralement pas grand monde. « S'il te plait, respecte la maison du Seigneur. Tu es chez lui ici. Et j'ai trouvé dérangeant que tu me fasses sursauter alors que je priais. » Il ne voulait pas être dur, mais cette intrusion l'avait dérangé, c'est vrai. De toute manière, rien n'allait plus. « Je te demande pardon. Tu es nouveau, et je ne te trouve rien de mieux à faire que de te sermonner ... Je suis Raphaël. Et je m'excuse. » Et vraiment, qu'il n'en doute pas, il était sincère.

Il ne fallait pas tellement tenir compte de la réaction spontanée de Raphaël. Ce dernier avait été particulièrement surpris par cette intrusion tout sauf discrète et avait ainsi réagi sous le coup de l'émotion. En réalité, il est vrai qu'il n'appréciait pas tellement qu'on puisse vouloir le déranger alors qu'il se trouvait dans une église, dans un lieu clairement sacré, où il était présentement en train de prier. Alors oui, évidemment, son camarade avait pu ne pas s'en douter, mais tout de même, il était bien rare que l'on fasse autre chose que des prières au sein d'une église. Il ne beurrait pas des biscottes, ça c'est sûr. Quoi qu'il en soit, la réaction de Raphaël avait probablement été un brin malvenue. Il était même prêt à le reconnaitre, puisqu'il s'en excusa presque aussitôt, admettant volontiers qu'il aurait mieux fait de s'abstenir de blâmer son camarade, alors que celui-ci n'avait en soi rien fait de franchement dramatique, si ce n'est débarquer dans une église en faisant un petit peu trop de bruit. De plus, Wade - il lui semblait qu'il s'agissait de son prénom - était ici depuis seulement quelques jours, alors il aurait du se souvenir de ce fait et ainsi faire preuve de plus de compréhension. Mais il était là son problème : quand il priait, quand il tâchait de communier avec le seigneur, il en perdait le sens des réalités et agissait parfois d'une manière bien malvenue. « J'ai réagi trop spontanément, je suis en tort » annonça-t-il, comme pour confirmer le fait qu'il se considérait comme coupable d'une réaction qui n'aurait pas du être. Son camarade commenta alors son prénom, faisant ainsi référence à l'archange Raphaël. Un mince sourire gagna alors les lèvres de son camarade. Oui, c'était une référence intéressante. « On m'a toujours dit que j'avais été nommé de la sorte en référence au célèbre peintre italien. C'est d'ailleurs un artiste dont j'affectionne beaucoup les œuvres. » Mais attendez, est-ce que cette information intéressait ne serait-ce qu'une seule personne sur cette terre ? Hm, pas sûr. Wade lui confirma alors son prénom. Bon, il faisait des progrès en matière de mémoire nominative. « Enchanté Wade. Non, je t'en prie, reste. Je ne veux pas te chasser, ni te donner l'impression que tu n'es pas le bienvenu. Tu ne me déranges pas, et ... j'ai fini, de toute manière. » Oui voilà, il avait fini de prier. Dans le fond, il se doutait que ses prières resteraient vaines et inexaucées, mais bon ... « Wade, c'est un prénom irlandais n'est-ce pas ? » questionna-t-il ensuite, dans un sourire. Il voulait apprendre à connaitre le jeune homme, histoire de l'aider à s'intégrer. Parce qu'à ses yeux, il ne ferait aucun doute que le bon sens ferait que les nouveaux venus resteraient parmi eux.

Raphaël commençait doucement à s'en vouloir. Oui, il s'en voulait petit à petit d'avoir réagi d'une telle manière, alors qu'il n'avait s'agit que d'une intrusion bénigne, et non de quelque chose de franchement dramatique, comme on aurait pu le penser en l'observant réagir à l'intervention de son camarade. Il n'avait pas eu besoin de le sermonner d'une telle manière, ce fut même particulièrement malvenu, et vous pensez bien qu'il était tout à fait prêt à le reconnaitre, hm. Quoi qu'il en soit, il avait tendance à être quelques peu rassuré que son camarade estime que les torts étaient ainsi partagés. Il n'était pas forcément du même avis, mais si cela pouvait l'aider à retrouver un semblant de bonne conscience, c'était probablement bon à prendre. Ainsi donc, il se contenta de hocher doucement les épaules, en souriant timidement, sans oser quoi ajouter. Il fut ensuite question de son prénom, "Raphaël", qui rappelait tout autant qu'archange que le peintre du même nom. Et justement, Wade ne manqua pas de poser une question à Raphaël à ce sujet. Oh, et bien ... « Tout dépend de si l'on considère la thanatopraxie comme un art » articula-t-il difficilement. Il avait parfois un peu de mal à évoquer son métier. Beaucoup trouvaient ça morbide, donc bizarre, donc inapproprié. Bref, on n'en sortait jamais, et il avait parfois, il est vrai, un peu honte de la profession qu'il exerçait. Autant quelques fois il était presque fier d'aider des familles dans l'exercice de leur deuil, autant ça n'était malheureusement pas toujours aussi simple. Son camarade finit par s'assoir sur ses cotés, et un sourire délicat gagna doucement les lèvres du brun. « On peut s'exprimer dans la maison du Seigneur, du moment qu'on ne blasphème pas et que l'on respecte un minimum la tranquillité des lieux » répondit-il simplement. Cela ne voulait donc pas dire qu'ils devaient faire voeu de silence et simplement se recueillir. Encore heureux, hm. Son camarade lui fit alors savoir que son nom devait être anglais mais qu'il était pour sa part irlandais. Raphaël hocha la tête, avant de reprendre la parole. « Je suis suisse, mais je suis bien francophone. » Tous les suisses ne l'étaient pas, même si une majorité d'entre eux parlaient effectivement le français. C'était justement son cas. Finalement, Wade lui posa une question un peu embarrassante mais qui ne le gêna pas plus que ça. Il lui fallut simplement un petit temps de réflexion pour tâcher de tourner cela au mieux. « Je ... je priais pour tout le monde, sauf ... sauf pour moi » articula-t-il péniblement. C'était trop peu, assurément. « Je passe mon temps à me plaindre, à me poser en victime ... Je dois penser aux autres, à ceux qui vont encore plus mal que moi, à ceux qui vivent dans la misère, dans la pauvreté ... Je ne suis pas le plus malheureux au monde, comme j'ai pu souvent le croire. Alors, je ... j'ai dédié mes prières à tous ceux qui en auraient besoin. Je ne suis pas celui qui mérite le plus d'être aidé, ni celui qui en a le plus besoin. » Il avait beau aller mal, très mal, il ne passait pas avant les autres pour autant. Non, clairement pas. « Est-ce qu'il t'arrive de prier, Wade ? » Une question indiscrète, mais à laquelle il n'était évidemment pas forcé de répondre.

La thanatopraxie pouvait-elle être considérée comme un art ? Telle était la question que l'on pouvait présentement se poser. Nul doute que beaucoup répondraient "non", dans la mesure où cet emploi n'appartenait effectivement pas au domaine des arts, à une quelconque discipline artistique. Pour autant, certains seraient peut être tentés de répondre "oui", considérant éventuellement que le fait de s'appliquer à redonner une apparence agréable à des défunts constituait finalement une forme d'art comme une autre. Et justement, c'est pour ce second point de vue que sembla quelques peu pencher Wade, disant qu'arranger l'apparence d'un cadavre en sachant qu'il pouvait parfois y avoir beaucoup de travail à effectuer pouvait faire de cette profession peu typique quelque chose d'artistique. « Tout le monde ne désire pas faire appel à un thanatopracteur, mais il est vrai qu'il m'arrive de devoir m'occuper de cas assez critiques. » Comme des visages arrachés après un accident de voiture, partiellement détruits par une explosion, voire purulents, après un certain temps passé dans un endroit propice à la décomposition. « Hm, merci » poursuivit le suisse. Il prenait cela comme une forme de compliment. C'était en tout cas bien plus plaisant à entendre que des propos comme "votre profession donne froid dans le dos" ou "comment ferez-vous le jour où vous serez allongé à la place des proches de vos clients, hm ?". Divers commentaires peu constructifs auxquels il avait hélas eu droit à de nombreuses reprises. Wade disait alors pouvoir se tenir tranquille en ces lieux. Les églises ont beau laisser un certain libre arbitre, il est vrai qu'il n'était pas bienvenu d'y faire n'importe quoi. Peut être Raphaël était-il un peu rabat-joie, mais il tenait à un certain respect de l'environnement religieux. Raphaël, par la suite, lui fit savoir qu'il ne priait pas pour lui, mais pour les autres, pour ceux qui en avaient plus besoin que lui. Il commençait à prendre conscience de ce fait, du fait qu'il ne soit pas le seul être en détresse au monde. Il y en avaient d'autres. Des pires que lui, probablement. « Je me trouve parfois égoïste de passer mon temps à me plaindre, à déplorer mes malheurs, à me lamenter. C'est probablement la chose que je sais le mieux faire : me lamenter. » Et il le faisait bien souvent. Trop souvent, hm. Au point qu'il en oubliait parfois l'existence et le malheur d'autrui. Et en cela, il se trouvait quelques fois égoïste, oui. Wade n'était donc pas religieux. Il se disait même athée et doutant de l'existence du Seigneur. « Il m'arrive de douter de son existence, également. Parfois, je doute d'être écouté, je me dis que prier ne sert à rien ... Mais ... je crois que ça aide, dans un sens, d'imaginer - peut être naïvement - à certaines occasions, qu'un être suprême peut exister. Je ne suis personnellement pas très pratiquant. Mais je crois généralement en Dieu. » Généralement, puisqu'il lui arrivait donc de douter. De toute manière, Raphaël ne faisait rien comme tout le monde. « Il me semble que l'athéisme est de plus en plus répandu de nos jours. A l'époque de Rabelais, peu de gens reconnaissaient ne pas croire en Dieu. Aujourd'hui, des pays comme la Suède s'offrent le luxe d'abriter une population athéiste à plus de 80%. » Okay, et sinon, juste pour savoir, qui était intéressé par cette révélation fracassante ? Personne, hm. Et pour cause, ça n'était susceptible d'intéresser que lui.