C’est Syssoï qui parle là ? Sérieusement ? Je déglutis avec difficulté en sentant une boule se former dans ma gorge, ma respiration devenant plus forte de façon incontrôlable. Pourquoi il me lance ces mots cruels, qui s’enfoncent dans ma chair comme une nuée de petites aiguilles ? Je me demande si c’est son vrai visage qu’il affiche enfin, ou s’il utilise cette putain de brutalité pour me faire cracher le morceau. Dans tous les cas, c’est une intention non louable. Je ne comprends pas son changement soudain de comportement, et je ravale avec peine les larmes qui perlent au bord de mes yeux. Pas question que je me mette à chialer pour si peu, on est dans une télé-réalité, un jeu. Je sais depuis le début que tous ces candidats, je ne peux pas m’en faire des amis. Pourtant j’ai envie d’espérer, parce que je suis un vrai Bisounours qui n’a pas compris que l’existence n’est qu’une pute. Y’a qu’à voir ce que les humains font subir à la nature pour comprendre leur profonde barbarie. Oh non, mauvaise idée. J’essuie une petite goutte d’un revers de la main, tentant de songer à ma famille qui m’attend en Irlande, aux habitués de ma ligne qui monteront à nouveau dans mon bus en Ecosse, à ma dernière soirée mousse, à mon amie qui s’est retrouvée les cheveux teints en vert en utilisant un produit naturel. Ca y est, je suis parvenue à relativiser et retrouver une certaine contenance, mais mon sourire habituel a disparu. « Je sais surtout que c’est un ramassis de conneries, mais si tu veux me faire croire un truc pareil c’est que tu me prends vraiment pour une conne. » Bon, ça c’est dit. Ouais, je suis vexée, blessée, j’ai envie de le frapper avec sincérité pour lui rendre la pareille, transformer ma peine en douleur physique. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il joue un jeu, et si c’est le cas c’est un très bon acteur. Il aura beau me dire tout ce qu’il veut, je ne suis pas décidée à gober ces âneries. Mais ses paroles en soi constituent une vacherie que j’ai du mal à digérer, quoique soit leur véritable nature.

J’observe ses réactions, je la contemple se débattre avec ses émotions. J’affiche un sourire qu’on pourrait pensé sadique, mais la vérité c’est que je ne prends aucun plaisir à ça, à ce petit jeu dans lequel je viens de me lancer à corps perdu. J’ai toujours été supérieurement intelligent compte tenu du niveau moyen de la population, alors manipuler pour obtenir l’information que je souhaite, j’ai toujours fait. C’est cette partie là, que je n’aime pas en moi, cette partie que je tais pour me rendre totalement inoffensif. J’ai longtemps pensé avoir appris à la gérer et l’utiliser à mon gré et à mon escient à présent. Mais c’est des conneries. Rien que de croiser le regard de Sixtine, celui qui hurle que je suis une ordure, me suffit à comprendre mon erreur. Je contrôlerais jamais cet aspect de moi tant qu’il aura des répercussions sur les autres. Mon sourire n’a donc rien de sadique, il ne s’agit que d’un sourire triste. Je baisse la tête une fraction de seconde, histoire de reprendre une certaine contenance, puis je relève les yeux. « Pas pour une conne, non. Juste pour quelqu’un à la sensibilité exacerbée. Je... J’imaginais pas cette réaction...» Celle qu’elle a tut mais que j’ai vu quand même, celle qui signifie qu’elle tient à moi, véritablement, et pas seulement comme un des rares candidats qu’elle n’a pas envie de frapper par plaisir sadique. J’imaginais la mettre un peu en rogne, pas la blesser. «C’est mon cerveau qui déraille dès qu’il se trouve face à une hypothèse à vérifier...» C’est la vérité, il ne faut pas me soumettre un problème sinon la soif de logique prendra le pas sur les sentiments et le savoir-vivre. «T’es pas un pion. Mais parfois j’aimerai que tu ne sois que ça.» De nouveau cette franchise. Si elle n’était qu’un pion, il me serait plus facile de la détacher de moi.

Il semble surpris, une fois encore. Je le regarde sans ciller, le regard dur et sans appel qui lui crie qu’il n’est qu’un pauvre con. Je me frotte frénétiquement le nez afin de retirer la tache noire qui trône sur mon nez, d’effacer toute marque qu’il a laissée sur moi. Mais il y en a des plus profondes auxquelles je ne peux guère m’attaquer avec autant de conviction. Qu’est-ce qu’il imaginait ? Que j’allais lui sauter sur le poil ? Je me mords l’intérieur de la joue, retrouvant ma neutralité. « Tu me sous-estimes encore on dirait. Tu vois bien que j’suis pas bipolaire espèce de gland, sinon tu te serais encore retrouvé le cul par terre, ou avec un torrent de larmes sur ton t-shirt. » Je passe une main sur ma nuque, soupirant longuement. Le garçon en oublie tout le reste quand on lui présente un casse tête. Il serait prêt à tout piétiner sur son passage afin d’arriver à son but, de décortiquer le problème, et c’est une chose que je ne comprends pas. Pas pour l’instant. Ca ne me fait pas moins l’apprécier, j’éprouve au contraire le désir de lui montrer que ce n’est pas une issue fatale. Cependant je suis trop secouée pour le moment pour le rassurer de ma voix douce. Je n’ai pas envie de lui offrir ce plaisir, je souhaite juste le laisser dans sa merde et qu’il s’en dépatouille seul un moment. Je me contente de hausser les épaules lorsqu’il me fait une sorte de déclaration d’amitié, cependant je la case dans un petit coin de ma tête pour pouvoir y accéder à mon bon vouloir. Je me lève ensuite, lui jetant un regard insondable, le visage parfaitement inexpressif. « Ne t’avise plus de me parler comme ça. » C’est tout. C’est une requête plutôt qu’un ordre, mais le ton n’arrive que tranchant et exigeant. Sur ces belles paroles, je me dirige vers la porte du confessionnal et disparaît. Il n’a qu’à s’arranger avec le Cupicon.

Syssoï, tu as le choix, soit te rétracter, soit confirmer le secret et ainsi engager 5 000€ de ta cagnotte personnel. Que choisis-tu ?

Je l’observe s’en aller tandis qu’un sourire étire mes lèvres, j’y peux rien, c’est comme ça. Puis Cupidon ouvre sa bouche avec une rapidité déconcertante, à croire qu’il nous avait à l’oeil le petit chérubin, hein. « Je confirme... Oui, je confirme.» Et c’est tout.