Syssoï reconnaît être jaloux, c’est le premier pas vers la guérison. Je suis heureuse de constater que malgré la tournure de la conversation, son talent de masseur n’en est pas perturbé. Je m’accorde quelques secondes de plaisir, ne tenant pas compte de sa première ironie. Il sait que je joue les innocentes rien que pour l’embêter, et ça me fait marrer de le faire tourner en bourrique. Il prend donc soin de préciser sa pensée en me donnant un cours de génétique. Décidément, les candidats de ce château se sont donné le mot pour m’inculquer cette matière. C’est écrit sur mon front que je suis nulle dans ce domaine, ou quoi ? Je l’écoute attentivement même si, par mes gestes, je lui fais croire le contraire. J’observe mes ongles peints, je regarde le plafond, je soupire même pour simuler l’ennui que m’inspire cette conversation. Une petite incohérence pointe le bout de son nez, aussi je me précipite dans la brèche. « Ben si ça avait été le cas j’aurais du être métisse, non ? » 3615 Evey bonjour ! Cette conversation me rappelle quelque chose . . . Si mon papa et ma maman noirs s’étaient étonnés de ma couleur de peau blanche comme la neige et qu’ils n’étaient pas trop stupides, ils auraient plutôt pensé que j’étais née albinos, puisque ça arrivait assez souvent en Afrique. Enfin bon, je n’étais pas albinos aux dernières nouvelles, alors ça tenait pas trop la route son truc. « Tu te rends compte que ce phénomène dont tu parles doit toucher un enfant sur un milliard ? Parce que, personnellement, j’en ai jamais entendu parler. » Je reprends mes petites affaires, me grattant la nuque en ouvrant ma veste. Il commence à faire chaud là-dedans.

Métisse ? Pourquoi métisse ? Et le bagage génétique dont elle parlait tout à l’heure, l’aurait-elle soudain occulté ? Si papa est blanc et que l’enfant prend plus du côté de son père que de sa mère, sa peau peut totalement être blanche, et le métissage aura cours sur d’autres aspects comme les cheveux, les traits, les yeux... Sixtine est totalement blanche, de sa peau jusqu’à ses traits absolument pas négroïdes. Elle n’est pas albinos non plus, puisqu’ils ont la particularité de posséder les traits et les cheveux, mais pas la couleur de peau qui s’apparente plus à la teinte asiatique qu’européenne. Non, Sixtine est totalement typée Europe de l’est. Est-ce surprenant ? Oui, comme elle vient de le signaler, le pourcentage doit être d’un sur un milliard, mais nous sommes dans Fake Lover. « Je suis un sur sept milliards, Sixtine. » je lui rétorque sans prétention, juste pour mettre à mal son argument basé sur la rareté. « C’est le principe de l’émission, il me semble, un secret nous rendant unique... Ou quasi unique. » Le clin d’oeil, là, c’est juste pour la faire chier. Si elle s’estime unique, elle l’est toujours moins que moi. « Il y a eu, l’année dernière, je crois, une naissance de jumeaux au sein d’un couple noir, l’un était blanc, et l’autre noir. On en a beaucoup parlé. » donc viens pas me faire croire que ce phénomène n’est jamais arrivé jusqu’à tes oreilles. J’enfonce mon pouce plus profondément dans son pied, juste sur un point stratégique qui lui provoque un petit couinement. Crime et châtiment, c’est mon crédo ! « Bon, reprenons. Tes parents sont-ils blancs ? » Elle peut me mentir, évidemment, mais osera-t-elle ? Et sachant que toute absence de réponse sera vécu comme une réponse en soi...

Il ne relève pas ma remarque sur le métissage. Bon, c’est un peu con, parce que dès le moment où il estime que deux parents noirs peuvent donner naissance à un bébé blanc, alors un parent noir avec un blanc peuvent enfanter ce genre de gosse. Mais bon. Passons. Il est vrai que nous sommes tous uniques, voilà pourquoi une marque d’unicité en plus par-dessus me semble un peu gros. Un accident de voiture et une paralysie comme Moore encore, ça arrive. Mais ce genre de choses, c’est rarissime. Syssoï paraît m’indiquer que le concernant c’est ce qui est, ce qui me fait tiquer et lever un sourcil. Un indice sur son secret ? Hm hm. Je pousse un cri lorsqu’il appuie sur mon pied, ne manquant pas de repousser son bras avec ma jambe. Salaud va ! Il croit que je mens. « J’ai pas la télé, et je n’ai pas le temps de lire les journaux figure toi ! » Ce qui est absolument vrai. Le seul sujet d’actualité sur lequel je me tiens à jour est l’écologie, point barre. Je fronce toujours les sourcils lorsque je replace mes pieds entre ses mains, hésitante, comme un chat au bord de l’eau. « Ce n’est pas parce que mes parents sont noirs que cela signifie que ce sont mes géniteurs, si tu vois ce que je veux dire. » Je me concentre à nouveau sur mes ongles, l’ignorant superbement.

Cupidon vous donne l'occasion de poursuivre cette confrontation si vous le souhaitez...

On est tous plus ou moins unique, c’est ce qui justifie notre présence dans cette émission. Si l’accident et la paralysie de Moore sont le lot de plusieurs milliers de personnes sur la planète, sa sortie miraculeuse de son fauteuil est, quant à elle, unique au monde. Quel tétraplégique imagine, un jour, pouvoir se lever et marcher ? Aucun. Bien sûr, il existe d’autres secrets moins rarissimes, comme celui d’Evey et Zhara. Sans dire qu’il s’agit de quelque chose de commun -c’est loin d’être le cas-, le nombre de bébés échangés à la naissance, du fait d’une faute d’inattention ou d’un acte plus malveillant, est quelque chose d’assez connu. Alors pourquoi pas une anomalie génétique touchant une personne sur un milliard ? J’ai lu que la couleur de la peau peut sauter plusieurs générations, et tel un marqueur itinérant se baladant à travers les chromosomes de papa ou maman Sixtine, le voyageur fatigué aurait fini par se sédentariser dans l’adn de la blonde. Mais elle continue de nier, tournant en ridicule ma proposition. C’est le but de la confrontation, que j’ai raison ou tort, elle tentera toujours de me détromper. Même lorsque j’explique qu’on a beaucoup parlé d’un cas similaire, il y a un an ou deux, elle prétend ne pas avoir la télé et ne pas lire les journaux. « Pardon, j’avais oublié que tu vivais dans une grotte. Comment tu fais pour regarder Retour vers le Futur, alors ? » Quoi ? Faut pas se payer ma tronche trop longtemps, jusqu’à preuve du contraire elle participe à une émission de télé-réalité. Et dans «télé-réalité» il y a ? Mouai... Soit. Elle repose son pied entre mes mains après que je lui eu provoqué une petite décharge dans le pied pour avoir osé se moquer de moi. Je reprends mon massage qui semble accaparer toute mon attention tant je suis soigneux. Pourtant, j’écoute ce qu’elle me dit, mais ne relève pas la tête pour répondre. « Une adoption c’est bidon comme secret, enfin, je veux dire que c’est un peu trop courant, à moins que tu sois la fille adoptive de Barack Obama, mais je ne crois pas qu’il soit réellement issu d’un quartier défavorisé. Ça va là, quand je fais ça ? » Sur ma question, je relève la tête vers elle, ainsi que son pied, légèrement. Je n’entends plus Sixtine, alors je m’inquiète, aurais-je fini par l’endormir ou bien se retient-elle de hurler ? Non, ça va, elle est toujours vivante. « Donc, tes parents sont noirs... » elle vient de l’avouer. « Et on est d’accord sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une adoption, donc... » Donc rien, je ne me donne même pas la peine de finir cette phrase. « C’est pour cette raison que tu te nommes Sixtine, alors ? » Elle va peut être finir par me répondre sur l’origine de son prénom, ça ne fait que trois fois que je l’interroge à ce sujet.

Ah ah ah, super drôle le Syssoï. Non, je ne vis pas dans une grotte, mais ce n’est pas pour autant que je bénéficie de tous les bidules technologiques dernier cri. Bon, il est vrai qu’une télévision c’est la base de la plupart des foyers, et qu’elle est aussi vieille que la première guère mondiale, ou presque. Mais je n’en ai jamais trouvé l’utilité, et je suis les matchs importants dans des pubs, ou chez des amis. « J’ai un ordinateur dans ma grotte, figure-toi. » Je lui rétorque avec la même ironie, en affichant une grimace. Non mai oh, s’il croit que je passe mon temps à me payer sa tête, j’ai mieux à faire. Je n’ai pas entendu parler de cette histoire, comme beaucoup de faits d’actualité qui me passent sous le nez. Je me détends un peu lorsqu’il reprend son massage avec application, semblant avoir abandonné l’idée de me torturer. J’écoute à peine ses mots suivants, n’entendant vaguement que le nom du président américain. Qu’est-ce qu’il a Barack Obama, hein ? Ouais, ben ça pourrait bien être mon papa après tout, pourquoi pas. Il est vrai que je l’imagine mal traîner dans des quartiers qui craignent, comme n’importe quelle figure importante de ce monde. Par conséquent, peu probable que mon secret ait trait à une adoption par des noirs célèbres. Pf, il m’énerve à réfléchir parfois. J’ai envie de lui coller une claque juste pour l’empêcher de connecter ses neurones, pour créer un bordel dans sa tête de nature à rayer définitivement toute capacité de réflexion au-delà d’un certain seuil. « Hm. » Je me contente de ce bruit lorsqu’il s’interroge devant mon silence, témoin de mon bien-être actuel. Je fronce les sourcils, contrariée qu’il s’arrête ainsi en levant mon pied. Je donne un petit coup vers le bas pour lui signifier qu’il est sur le bonne voie, cela dit je n’ai pas le temps de me reposer plus longtemps. Bon, il ne veut pas simplement me masser en se taisant ? Roh, on n’est jamais tranquille par ici. C’est à peine si je réalise que nous sommes en pleine confrontation, et que c’est son job de me tirer les vers du nez. « Je n’ai jamais dis ça. » Il a tiré une conclusion personnelle, sans confirmation ou infirmation de ma part. Je ne vois pas vraiment le rapport avec mon prénom. Cela signifie-t-il ‘‘bébé blanc’’ en une langue qui m’est inconnue ? Ou bien cela serait-il d’origine africaine, martiniquaise, réunionnaise ? En vérité, il y a une bonne raison à cela, mais il serait étonnant que ce soit précisément ce à quoi il pense, puisque ça n’a presque rien à voir avec mon secret. « C’est latin, si je ne me trompe. Aucun rapport avec mes origines en tout cas. » Puis je ferme les paupières, laissant retomber ma tête en arrière pour la deuxième fois de notre petite réunion. Bon, il va me laisser la paix maintenant ?

Pas de télé mais un ordinateur ? Son mode de vie m'intéresse grandement, à présent. Je fronce les sourcils en tentant de visualiser son habitat naturel. J’hésite à lui demander si, d’un point de vue totalement anthropologique, elle serait d’accord pour m’héberger quelque temps en vue d’une étude scientifiquement poussée ? Un an minimum. Mais je me rappelle que, malgré les apparences, on est pas là pour parler chiffon et s’astiquer la... neurone. Je récupère le fil de mes pensées et mon interrogatoire personnalisé. J’écarte la thèse de l’adoption, puis celle de l’adoption par un riche black américain. Houston ne répond plus, je cherche à contacter la base, la tour de contrôle me répond. Y a de la friture sur la ligne, mais je prends ça pour un signe extérieur de bien-être. J’enchaine. 2 x (Papa-maman black + Sixtine blanche) - adoption = mutation génétique. Puis je m’interroge sur son prénom. Sixtine. Elle me parle de latin avant de s’affaler contre l’accoudoir, visiblement vidée, l’air de me dire «tu vois pas que j’ai eu une journée de dingue, là ? J’ai levé, douché et habillé les enfants, avant de les conduire dans leur putain d’école qui se situe comme par hasard à 30 bornes d’ici, mais qu’il a fallu que TU choisisses à cause de son, je cite«incommensurable réputation de standing» fermez les guillemets, avant de me payer les bouchons sur les TRENTE bornes me ramenant jusqu’à mon bureau qui se situe à CINQ FUCKIN’ minutes de la maison, juste pour précision, et qui me permettrait de pas être dans le jus tout le temps si t’avais foutu les gosses à l’école communale comme JE te l’avais demandé bordel de dieu, et de pas débouler au taffe avec TRENTE-CINQ minutes de retards, les cils qui FUCKIN’ battent les air pour amadouer un connard de patron qui prend plaisir à m’allumer devant TOUT le putain de bâtiment avant de me séquestrer dans un bureau sans fenêtres pendant HUIT putain de plombes sans pause clope, et quand il me relâche enfin c’est pour que j’aille chercher les PUTAINS de chiards qui TU m’as collé entre les cuisses, dans cette chiotte de garderie, les ramène à la baraque, leur fasse la bouffe, les devoirs et les poux, avant des les foutre au pieu pour que MONSIEUR qui a rien glandé de toute la journée ne soit pas dérangé par leurs vicieuses petites voix stridentes et leur besoin de rituel de tendresse sociabilisatrice étrange. Alors tes questions, mon grand, tu peux t’asseoir dessus et les laisser se fossiliser, parce que là, tu vois, j’en ai juste plein le cul. Masse !!» Et bizarrement, quand elle me dit tout ça avec les yeux, j’ai juste envie de fermer ma gueule et d’obéir sagement. Cela dit... « Sixtine c’est Sextus, ça veut dire «sixième» en latin... Traditionnellement il est donné au sixième enfants de la famille... Il me semblait que tu n’avais qu’une soeur... » J’ai pas arrêté de masser, mais je surprends tout de même son regard de tueuse. « Quoi ? Je te signale lorsqu’ils estimeront la confront’ terminée, ils te foutront à la porte toi et tes jolis pieds... Il est donc dans ton intérêt de répondre un minimum à mes questions... et, d'ailleurs, en parlant d’enfants...» Non, elle parlait pas d’enfants elle, elle parlait de rien, c’est dans ta tête que ça parlait d’enfant, ducon. « Si jamais tu venais à te reproduire avec un spécimen humanoïde d’épiderme blanc et d'oculaire azuré. Il a une chance de sortir noir de ton... » Vagin. Répète après moi : vagin... A la place, je désigne son entre-jambe d’un mouvement de tête. « ... de là ? » simple question de curiosité scientifique.

Syssoï paraît capter mon malaise de cette fin de semaine un instant, un bref et tout petit instant. Parce qu’il ne tarde pas à reprendre ses attaques de plus belle. Il ne semble pas se rendre compte à quel point ces derniers jours ont été épuisants. J’ai du me trimballer dans ces immondes fringues de clown à longueur de journée, me confrontant au gorille lui-même, à son Jacko tant aimé que je me suis évertuée à insulter tout en me dédoublant à travers mon écriture afin d’entretenir une putain de conversation ‘‘normale’’, au Lord auprès duquel j’ai été contrainte de déprécier ma Oona, à mon partenaire qui m’a vue en caleçon de Ruben serré par un ruban rose parce que son putain de pantalon m’allait aussi bien qu’une culotte d’éléphant, et au boucher qui a tenté de me faire croire qu’il était un tueur en série épouvantable. Tout ça sans compter la destruction de mon précieux appareil photo par les pieds rageurs d’Artie après une série de défis éprouvants. Non mais il croit que je suis au Club Med moi ? Non Monsieur, je me caille dans un putain de château flippant qui me fait sursauter la nuit, subissant les assauts incessants de Cupicon et des autres candidats dont la plupart des neurones ont été grillés par la foudre d’un violent orage. Alors le moins que je puisse espérer, c’est encore un délicieux massage de pieds qui me conduit au septième ciel. Parce qu’il faut bien l’avouer, je suis aussi détendue qu’après une bonne partie de jambes en l’air. C’est meilleur que le sexe, meilleure que le chocolat, meilleur qu’une manifestation où un dirigeant politique se retrouve couvert d’œufs et d’humiliation, meilleur qu’une baston avec les flics, meilleur que l’éradication totale des déchets toxiques, meilleur que . . . Je relève la tête, poussant un soupir qui me déchire l’âme. Il n’a pas tort, mais si Cupicon intervient pour mettre fin à notre entrevue, je l’hypnotise, je le fais chanter, je lui saute dessus, bref, j’use de tous les moyens afin qu’il prolonge ce divin doigté sur mes voutes plantaires. « Encore des présomptions mon cher Syssoï, toujours des présomptions. Mais tu as raison, je n’ai qu’une sœur . . . » Finalement, il m’impressionne. Il connaît parfaitement la signification de mon patronyme, ce qui m’effraierait presque, si je n’étais pas dans un état second. Et c’est exactement pour cette raison que je l’ai reçu. J’ai une sœur, cela ne veut pas dire pour autant que nous soyons simplement deux enfants au sein de notre famille. Je suis prête à me rendormir lorsque la conversation dérive sur la partie intime de mon anatomie, et qu’il se met à me violer d’un simple regard. Je referme immédiatement mes cuisses en un réflexe d'autopréservation, lui lançant une boulette de papier qui traîne dans l’une des poches du grand singe. Tiens, prends-ça insolent. « Tu veux dire, si je venais à me reproduire avec une spécimen de ton espèce ? » Simple exemple, puisqu’il est blanc de peau et pourvu d’iris bleutés. « Je suppose, oui. Si des noirs peuvent donner naissance à un blanc, pourquoi des blancs ne pourraient-ils pas enfanter un afro ? » Je hausse les épaules, grattant le bout des accoudoirs en observant le velours.

Un interrogatoire n’est-il pas toujours constitué que de présomptions ? Si ce sont des certitudes avec preuves à l’appui, le suspect devient accusé puis coupable avant de finir séquestré derrière des barreaux et condamné à ramasser la savonnette toute sa vie. Mais je ne relève pas les erreurs de son raisonnement grandement amoindri par la dextérité quasi magique de mes doigts quasi mystiques - pour ne pas dire mythiques. Je note simplement qu’elle n’a qu’une soeur, cet état de fait nous apportant trois hypothèses à plusieurs inconnues. Option A; elle a une soeur et quatre frères situés avant elle sur l’échelle chronologique des naissances de la famille sixtienne. Option B; sa famille est famille d'accueil, et a hébergé et/ou adopté, quatre autres enfants avant et/ou après la naissance de sa soeur, mais avant et uniquement avant celle de Sixtine. Option C; ils comptent aussi les cousins cousines, et Sixtine est la sixième petite-fille de ses grands-parents... Et finalement, Option D; ses parents ne connaissaient pas la signification de son prénom, qu’ils trouvaient juste joli, et ils s’en branlent de tout ça. Pour ceux qui suivent, cela nous donne finalement quatre hypothèses à inconnues multiples, mais merci de ne pas relever. J’aime bien l’option A, elle expliquerait le comportement garçon manqué de Sixtine. Je me met à visualiser les Jackson Five + 1... Ce qui me mène automatiquement à l’histoire du vilain petit canard, seul spécimen blanc au milieu d’une tribu de donald noirs... Je chasse cette idée de ma tête, et pose la question de l’hypothèse d’un potentiel cas inverse fomenté dans les entrailles de la belle. Un phénomène très étrange se produit. En plus de la boulette de papier que je reçois sur le crâne, j'observe ses cuisses se refermer subitement, et je fronce les sourcils. Première fois de ma vie que je vois un truc pareil. Ca existe, donc ? Moi qui croyait qu'il s'agissait d'un mythe type père noël... Elle demande des précisions, voulant savoir si je pense à un spécimen de mon espèce. En réalité je pensais à Connor, mais c’est vrai que ça marche avec moi aussi. J’hoche la tête, imaginant rapidement un sixtoï de trois ou quatre ans, avec ma tête en black. Flippant... mais pas tant que ça, finalement. Surtout qu’il aurait de grandes chances d’être métisse, et j’aime les mélanges. D’ailleurs, je pose la question « Mais Sixtoï aurait des chances d’être métisse, non ? Comme si ton code génétique était celui d’une black ? Donc en plus de la surprise du sexe, on aurait aussi la surprise de la couleur ?» J’affiche un sourire quasi émerveillé. Il faudrait que je puisse exposer cette théorie à Elvis, il serait aussi fasciné que moi sur le côté futuriste de cette histoire. « J’adore l’idée, mais sache que ma mère tentera de t'éviscérer à la fourchette à huitre puis de festoyer sur ton cadavre avec ses copines les «de la» avant même le deuxième mois de grossesse... » J’annonce avec sérieux, comme si toute cette conversation surréaliste avait lieu d’être, sur le ton de la mise en garde anodine. Il suffirait de planquer les fourchettes à huîtres, en fait.

Les présomptions ne valent rien sans preuves pour les étayer, si elles ne sont pas légales. Or il me semble bien que la loi ne dit pas : les Sixtine blanches son présumées provenir de parents noirs. Bon, alors j’attends ses arguments, ses éléments concrets. Sauf qu’il semble évident qu’il n’en a pas, mis à part les quelques bribes qu’il m’a exposées au tout début de notre entretien. A savoir mon penchant pour les hommes noirs, ainsi que mon quartier difficile. J’apprends assez surprise que l’idée de voir débarquer un métisse suite à notre hypothétique union charnelle, éveille une lueur fascinée dans ses yeux. Syssoï qui aime les surprises, c’est une grande première ! Je souris devant cette mise en situation chimérique, nous imaginant sur le pas de la porte d’une immense baraque avant le premier dîner en compagnie de sa mère. Je ris alors franchement en captant son air sérieux, me touchant l’oreille. Visiblement sa génitrice descend d’une lignée de nobles noms, et vote sans doute extrême droite aux élections. Peut-être qu’elle fait semblant de tolérer les individus de couleur, tant que ça ne la touche pas directement, elle et son petit cercle intime. Beaucoup de personnes y parviennent très bien. J’imagine une jeune femme tirée à quatre épingle, pinçant les lèvres devant ma dégaine quotidienne un peu négligée, mon langage parfois vulgaire lorsque trop impulsif, mes origines défavorisées. Le combat perpétuel avec la belle-mère paraît ici prendre tout son sens. « T’inquiètes pas pour moi, j’ai toujours un couteau suisse planqué dans la chaussette. » Et le pire, c’est que c’est vrai, la plupart du temps. Une habitude que j’ai prise pendant mon enfance, juste au cas où, et elle m’a servie de nombreuses fois. Mais bizarrement, à FAKE LOVER ils n’ont pas voulu que j’emporte ce gage de protection, alors que c’est presque une jungle plus cruelle qui se trouve à l’intérieur de ce château. « T’as intérêt à te trouver une riche héritière bien sous tous rapports si tu veux contenter ta mère. Demande au Lord, j’suis sûre qu’il doit avoir une liste longue comme son bras. » J’esquisse une petite moue de quelques secondes en l’imaginant avec une belle anglaise au langage châtié au bras, relevant la tête en retirant mes pieds de ses mains expertes. A contre cœur, mais poussée par le désir de terminer cette confrontation. Je brûle de désir de poursuivre cette conversation, pensez bien qu’en apprendre plus sur l’environnement du Goliath est un trésor que je convoite. Cependant, je vois d’ici le Chérubin venant nous interrompre pour nous égarer purement et simplement de l’objectif de cette rencontre. « Bon, je crois qu’il est temps de conclure, non ? » Confirme-t-il finalement cette pensée qui le ravit au risque de s’en trouver déçu une nouvelle fois, ou se rétracte-t-il ? Je lui jette un regard malicieux, haussant brièvement les sourcils.