sochanna.

La nuit était tombée depuis belle lurette, mais voyez-vous, vu l’excitation que toute cette soirée avait fait naître en moi, l’adrénaline avait eu tôt fait de chasser toute trace de sommeil dans mon organisme. Pas que ça me dérangeait, tout compte fait. J’étais une couche tard dans l’âme (et une lève-tôt, mais ça, c’était un comble), disons que j’avais l’habitude. Me trouvant d’or et déjà à l’extérieur, après une longue discussion avec Ariana et Valentina au niveau du pont-levis, j’avais décidé de pousser l’audace jusqu’à aller me balader dans le parc, guider par le seul éclairage du clair de lune. Par chance, sinon, on n’y verrait rien. À l’aise dans le noir, je l’étais. Mais dans un lieu qui m’était inconnu, ça relevait du miracle de savoir me repérer. Mes pas me guidèrent jusqu’au pont qui surplombait ce qui devait être le lac – impossible de le distinguer totalement, je ne voyais qu’un bruissement d’eau sous moi – où je fuis surprise d’y trouver un être vivant. Une candidate, en l’occurrence. N’ayant aucune raison de rebrousser chemin, je décidais d’aller me poser à ses côtés. En silence. Du moins, temporairement. Politesse oblige. « Bonsoir. Ou plutôt bon matin. » corrigeais-je rapidement, vu l’heure. Dire qu’il était à peine vingt-heures, là d’où je venais. Je me demandais si les copains avaient sû trouver un moyen de suivre l’émission sur Internet. Sinon, je connaissais une charmante cousine qui devait s’être empressé de leur faire un long compte-rendu par téléphone, et peu importe qu’il soit trois heures du matin pour elle.

Il est tard et je suis épuisée mais ce soir comme bien d'autres soirs le sommeil me fuie de nouveau. Peut-être aurais-je dû faire comme ceux qui éclusent déjà l'alcool ingurgité dans les bras de Morphée, boire jusqu’à atteindre l’oubli mais, comme bien d'autres choses je ne bois pas d'alcool, ou tout du moins pas en dehors d'un bon repas. Je sais apprécier un grand cru qui accompagne un grand plat mais, boire pour boire n'a jamais fait partie de mes habitudes. Question de culture. On boit peut dans les pays les plus au sud de l’hémisphère, sauf de l’eau, parfois rare, ou du thé à la menthe. Pas sur que l’émission fournissent les deux en aussi grande quantité que le champagne. L'alcool n'est pas un de mes vices mais puisque chacun de nous porte en soit un défaut le mien est de fumer. C'est ce besoin de nicotine qui m'a éloigné du lit confortable que je dois désormais partager avec Hamad. Soulagement que cette insomnie passagère j'ai besoin d'air. Le château est endormie et le parc tranquille. Pieds nus, vêtue d'un long tee-shirt et d'un lenning je sors du château par la grande porte. Briquet dans une main cigarette dans l'autre, j'allume avec un certain plaisir le cylindre de papier. Une bouffée et j'oublie cette robe ridicule portée lors du prime et les chaussures assorties dont mes pieds se souviendront longtemps. Deuxième, j'oublie que je partage mon lit avec un homme inconnu. Troisième, j'oublie que je ne suis pas seule mais surveillée par des dizaines de caméras et de téléspectateurs aussi insomniaques que moi. Qu'est ce que je fous ici alors que je devrais être ailleurs ? Deux ans. Cigarette au coin des lèvres j'exalte un court filet de fumée en avançant vers « l’extérieur ». Je ne l’ai pas entendue arrivée, perdue dans mes pensées. Je sursaute, mon cœur bat la chamade, je me retourne, tendue. Ce n’est qu’une jeune femme brune. Calme toi Sochanna, tu es restée bien trop seule ses derniers temps, respire ma fille. Respire. « Je ne suis pas la seule à ne pas trouver le sommeil ? » Je souris, être sociale est une habitude que j’ai perdue, je ne suis pas d’un naturel très bavard mais elle me semble sympathique alors, je me force. Après tout je tiens plus de la charmante sylphide blonde que de l’ours, autant ne pas contrarier l’image toute neuve que mes camardes on de moi, pas vrai ? « Sochanna, 25 ans, insomniaque. » Ajoutais-je en me désignant de ma main libre. « La petite brunette se sent mieux ? » Je ne connaissais pas le prénom de celle qui s’était évanouie plus tôt dans la soirée mais ce malaise subite m’inquiétait légèrement, elle était si pâle et si mince. Pour m'occuper les mains j'allumais une seconde cigarette sitôt la première terminée. J'espère que la prod' avait prévue de quoi nous ravitailler...

Elle ne m’a pas vu venir. J’entends son hoquet de stupeur lorsqu’elle constate ma présence à ses côtés. Je me sens navrée : lui faire peur, la faire sursauter, ce n’était pas du tout dans mes intentions. Mais elle se ressaisit bien vite. Tant mieux pour moi. Sinon, quel mauvais départ entre nous. « Je ne suis pas la seule à ne pas trouver le sommeil? » fit-elle en m’abordant finalement, ajoutant à sa remarque un léger sourire sur ces lèvres. Le malaise que j’ai ressenti quelques secondes auparavant disparaît aussitôt. « La vie est trop courte pour dormir. » J’esquisse un sourire à mon tour, puis j’hausse les épaules, l’air de rien. J’ai la classe pour insérer des phrases toute faite dans mes conversations, faute d’avoir quelque chose de mieux à dire. Dans ces moments-là, je songe souvent qu’il me vaudrait mieux que je la ferme mais je ne le fais jamais. « Sochanna, 25 ans, insomniaque. » D’un geste de la main, elle se désigne, et je comprends où elle veut en venir. Je pointe le doigt en ma direction, puis reprend le même schéma. « Anabel, 26 ans. Pas de qualificatif particulier. » Un léger rire s’échappe de ma bouche. C’est idiot, mais je mets ça sur le compte du stress post-prime. « La petite brunette se sent mieux? » D’un signe de tête, j’acquiesce. « Elle avait meilleure mine quand je l’ai quittée. Je ne doute pas une seconde qu’elle va s’en remettre. » Après tout, ce n’était rien de grave? Du moins s’était-elle évertuée à nous faire comprendre que c’était effectivement le cas. Un mensonge déguisé ou la vérité toute simple? Difficile à dire. Je n’avais cherché plus loin que ce que j’avais eu sous les yeux. Elle avait eu un malaise, et mon instinct m’avait dicté d’aller à son secours. Rien d’autres ne comptait à mes yeux, du moment qu’elle allait mieux, maintenant.

"Enchantée Anabel." Je l'observe doucement, afin de ne pas sembler trop dérangée, de part ma profession les visages me fascine. Depuis quelques années j'envisage d'exposer certaines de mes photographies, les plus personnelles, ces collections de portraits, de scène de vie volées à des inconnus durant mes voyages où mes journées à Paris et Dublin. "Excuse moi, je suis parfois un peu mal élevée, tu as une très belle structure osseuse, un visage intéressant." Un petit silence s'installa, machinalement je jouais avec l'ourlet de mon tee-shirt en finissant ma cigarette. "Tu ne serais pas en train de fuir ton partenaire si ... particulier ?" Un petit sourire malicieux aux coins des lèvres j'observais à sa dérobée son visage. Un visage très intéressant, qu'il serait utile d'immortaliser pour ma série de portrait, il y avait une profonde douceur dans ses yeux et beaucoup de malice. Mais les choses viendraient naturellement, je ne forçais pas l'inspiration, la particularité de mon travail était que j'immortalisais sur le vif, je pensais la photo et agissait lorsque une opportunité de saisir un "mouvement" se faisait sentir. Pas de "contraintes" juste de la liberté. Je laissais aux gens m'offrir des chances de les photographier à leur insu, cela faisait-il de moi un voyeur ? Non probablement pas, plutôt une opportuniste.

« Enchantée Anabel. » « De même, Sochanna. » Première étape, les présentations. Chose faite. Maintenant, croisons les doigts pour que je retienne son prénom, ainsi que celui de tous ces autres candidats dont j’ai pu faire la connaissance ce soir. « Excuse-moi, je suis parfois un peu mal élevée, tu as une très belle structure osseuse, un visage intéressant. » me dit-elle au bout d’un moment de silence, qu’elle a passée à me fixer d’une façon plus ou moins consciente. « Euh… » Parce que, franchement, je ne sais pas quoi dire d’autres. « Merci ? » À sa façon d’aborder la chose, je me doute qu’il s’agit là d’une sorte de compliment, mais je n’en suis pas à cent pour cent certaine. Disons que j’ai une toute petite (oui, très minime) hésitation. Mais plutôt que de montrer mon inconfort, je me contente de lui sourire. Il y a un léger malaise d’en l’air, mais bientôt, il se dissipe, alors que la jeune femme en vient à en terminer avec sa cigarette. « Tu ne serais pas en train de fuir ton partenaire si… particulier ? » me lâche-t-elle, presque taquine, me scrutant toujours à la lettre de son regard brillant. Cela me perturber un peu, d’être ainsi observée, mais je ne sens rien d’hostile de la part de ma camarade, je consens donc à croire qu’il n’y a rien de mal dans son attitude. « Non, mh… peut-être, oui. » Un léger rire s’échappe de ma bouche. Dans le genre réponse incongrue, je ne fais pas mieux. « Je crois qu’il me sera de meilleure compagnie, une fois endormi. » Je n’avais pas envie d’y faire face dès ce soir. Et je comptais me lever bien avant lui pour éviter de l’avoir dans les pattes dès le réveil.

"Excuse moi, déformation professionnelle." Les visages sont une obsession pour moi, j’y lis l’histoire d’une personne, son caractère, les épreuves qu’elle a pu traverser. Un visage, un regard pouvait en révéler bien plus sur une personne que des mots. Je sentais que je la mettais légèrement mal à l’aise, une réaction normale face à l’intensité d’un regard qui vous scrute. Je me forçais à cesser de l’observer comme une bête curieuse. On me pardonnait généralement mes excentricités en société encore fallait-il me connaitre avant. "Tu comptes profiter de son sommeil pour l’étouffer avec un oreiller ?" La pauvre n’avait pas tiré le gros lot avec Andréas, le jeune homme s’était illustré plus tôt dans la soirée par son exubérance et sa mauvaise humeur ainsi que pour sa très forte proportion à jurer comme un zouave. Bref, tout ce que j’aime chez les hommes. Leur couple était probablement le plus « à l’opposé » de cette saison. Dieu merci la Production avait respecté mes « demandes » lors du Casting, en évitant de me coller avec quelqu’un comme Andréas. Il avait du comprendre que j’étais capable de l’étouffer dans son sommeil. "Tu sais en général les dragons sont plus agréables endormit."

« Excuse-moi, déformation professionnelle. » Son explication me semble plausible, mais pour autant, elle ne répond pas tellement à mes interrogations silencieuses. Je ne vois d’ailleurs pas pourquoi je m’empêche de la questionner à ce sujet, puisqu’elle semblait disposer à ma répondre. « Et tu fais quoi, comme boulot? » J’imagine quelque chose comme peintre, photographe, maquilleuse, médecin légiste… je me fais clairement des idées. Surtout pour le dernier élément, en fait. « Tu comptes profiter de son sommeil pour l’étouffer avec un oreiller? » « Non, je n'en suis pas encore rendu là. » lui répondis-je, un léger sourire aux lèvres. Moi, des tendances meurtrières? Jamais, voyons. Et même s’il m’était désagréable, ce cher Andreas ne méritait pas un tel sort. Mon pire ennemi non plus. Je me montrais peut-être un peu trop clémente… « Tu sais en général les dragons sont plus agréables endormit. » Et il crache du feu, aussi. Andreas, lui, se contentait uniquement de cracher son venin sur tout ce qui passait, plus serpent que dragon quand on y pense. « Je vais devoir apprendre à en apprivoiser un, alors… parce qu'il se réveillera bien, un jour. Tu crois que c’est possible? »

"Oh excuse moi... Je ne suis pas une serial Killeuse. Je suis photographe." Et j'ai perdue la capacité à faire la conversation... enfin pas sur que cet élément de ma vie l'intéresse. Non pas que j'eu le melon, j'oubliais simplement que ce soir je ne portais pas d'appareil autour du coup ou de sac de photo sur la hanche. Je me sentais nue sans appareil sous la main mais, cette privation ne durerait pas longtemps, j'appréciais que la production m'eut laissé embarquer avec moi mon petit "attirail" indispensable. Comprendre une dizaine d'appareil, de zoom, de filtre etc... Le nécessaire pour survivre ici quelque temps. "Tu es plus patiente que moi de toute évidence... Laisse moi deviner tu es infirmière ? Non ... Bénévole dans une association qui prends en charge les hommes imbus d'eux même et égocentrique ? Plus sérieusement, qu'est-ce que tu fais dans la vie ?" Sourire au coins des lèvres j'écrase ma cigarette sur le sol avant de ramasser le mégot et de le garder sous la main. Quoi ? Si j'avais pu j'aurai voté Eva Joly aux dernières élections en France. Et je le vie bien ... Saurait été avant tout pour ses lunettes pas pour son opinion sur le nucléaire qu'on soit clair. "Apprivoiser Andréas ? Je serais toi je tenterais de lui coller un miroir dans les mains, avec un peu de chance il sera trop absorbé par son reflet dans le miroir pour penser à être désagréable." Caustique ? Cynique ? Du tout voyons.

« Oh excuse-moi… Je ne suis pas une serial killeuse. Je suis photographe. » Un grand se forme sur ma bouche quand elle m’apprend enfin son métier. Je comprends tout, désormais. Je me demande même pourquoi je n’y ai pas songé plus tôt. Mon père était photographe, avant de se passionner pour les autres. Le nombre de portraits qu’il a immortalisé de ma personne est impressionnant, d’ailleurs, quand on y pense. Mais ça ne m’a jamais dérangée de poser pour lui. Au contraire, ça nous a même rapprochés. « Et tu te spécialises dans quoi? » Portait, paysage, mode, commercial, scène de crime…? Ok, je dois vraiment arrêter avec mes idées tordues, ce n’est plus drôle. « Tu es plus patiente que moi de toute évidence... Laisse moi deviner tu es infirmière ? Non ... Bénévole dans une association qui prend en charge les hommes imbus d'eux même et égocentrique ? Plus sérieusement, qu'est-ce que tu fais dans la vie ? » Je me retiens pour ne pas rire. Ceci dit, elle n’est pas très loin de mon véritable métier, avec sa deuxième hypothèse. « J’œuvrais dans un organisme qui offrait plusieurs services ressources aux immigrants, quand j’étais encore au Québec. Pour le moment, je suis sans-emploi, mais je compte bien recommencer à travailler en sortant d’ici. Dans ce milieu-là ou un autre, du moment que je puisse apporter mon aide aux gens dans le besoin. C’est important pour moi. » Donner aux autres, mon métier, ma passion. C’est peut-être pour cette raison que je me montre aussi… conciliante face à la bêtise qui me sert de partenaire. « Apprivoiser Andréas ? Je serais toi je tenterais de lui coller un miroir dans les mains, avec un peu de chance il sera trop absorbé par son reflet dans le miroir pour penser à être désagréable. » Alors, là, il m’est impossible de ne pas éclater de rire. Un rire franc, sincère. Cette idée est tout simplement géniale, je l’adore. Je rive mon regard sur Sochanna, franchement contente d’être tombée sur elle à cette heure. À première vue, nous avons quelques points communs, et notre ‘haine’ avec Andreas fait partie du lot. « Si tu en trouves un, fais moi signe. C’est peut-être la solution miracle pour me débarrasser de lui sans trop d’effort… »

"Je suis photographe de terrain, un genre de reporter, en fait je couvre les évènements qui se déroulent dans les pays d'Afrique, de Moyen Orient, dans les pays de l'est etc." Il m'était difficile d'expliquer clairement ce à quoi j'occupais mes journées, pour la plus part de mes amis de Dublin j'étais une sorte de Phan Thi Kim Phuc version européenne. Je n'avais pas obtenu le Pulitzer mais quelques récompenses moins prestigieuses pour mon travail de reporter. Je ne courrais pas après les récompenses, encore moins après le Pulitzer mais, j'appréciais que mes photographies soient connues et admirées, l'orgueil de tout artiste. Un sourire éclaira le visage de la blonde lorsqu'Anabel lui parla de son travail. Je n'étais pas tombée si loin que cela en fait. "Le Canada. C'est un pays que j'adore. J'y passe souvent quelques jours en plein hiver pour profiter de la neige et des gaufres au sirop d'érable. Pourquoi est-tu venu ici ? Tu as de la famille en Irlande ? Où c'est simplement pour le jeu ?" L'idée du miroir me vient de Narcisse, coypright donc aux anciens grecs mais je dois avouer que cette idée semble plutôt bonne. "Je dois avoir ça dans mon sac. Espérons que cela distraie le dragon suffisamment longtemps pour te permettre de délivrer la princesse." Hey Sochanna on est pas dans Shrek là !