Le temps n'aide pas. On doit vraiment passer le temps. Mais il pleut dehors, je peux pas sortir, on doit se supporter vingt-quatre heures sur vingt-quatre à l'intérieur, c'est encore pire. Mais je préfère m'isoler dans le dressing en fait, les babillages inutiles de la moitié des candidats m'agressent les tympans, martyrisent mes oreilles. Bon pour mon bien être, je préfère quitter le salon, et pour le bien être des autres. Je suis d'humeur massacrante quand je suis trop bien entourée, lorsque je peux même pas en placer une sans être obligée de hausser le ton pour me faire entendre. Très peu pour moi. Je fais un détour par la bibliothèque. Je mets vingt plombes pour choisir mon livre, ça sera du Victor Hugo, quatrevingt-treize. J'ai jamais lu, parcontre, j'avais reussis à voir l'adaptation théatre de Godefroy Ségal à Paris. Aller, je me laisse tenter et j'embarque le livre, j'avance, les bras croisés, le livre collé contre ma poitrine, et j'entre dans le cellier. Y a personne, c'est pas tellement étonnant. Je me laisse glisser contre le mur, lentement jusqu'à ce que mes fesses touchent enfin le sol, et là, je peux commencer ma lecture. Deux pages plus tard, une blonde entre, je la dévisage, sans gène, et mes yeux s'accrochent à ses chaussures, à talons. « Sérieusement, comment tu fais pour marcher avec ça ? » Ma voix grave résonne dans la pièce. Je suis sérieuse, je dois être la seule fille sur Terre qui se plante lamentablement, en se tordant la cheville tous les trois mètres ... ou ?

Il fait froid, il pleut. Je crois que je déteste l'Irlande. Moi et mon petit haut fin et échancré risquont de ne pas faire long feu dans le nid. Il est clair qu'une pneumonie est loin de pouvoir m'aider à rester sain et sauve dans l'émission. J'entre dans le dressing, ayant pour objectif de récupérer un pull bien chaud, à même de me protéger du temps catastrophique qui fait aujourd'hui. Une candidate est déjà présente, bouquin coincé entre ses mains. Elle me détaille, sa tête encadrée de boucles rousses levée dans ma direction. Je suis habituée à ce qu'on me dévisage, donc je ne m'en formalise pas plus que ça. « Sérieusement, comment tu fais pour marcher avec ça ? » finit-elle par me demander. Automatiquement, je baisse mes yeux pour les poser sur mes chaussures, qui se trouvent être aujourd'hui une adorable paire de Louboutin habillée de dentelle noire. Je relève la tête dans la direction de la jeune femme, avant de lui répondre avec un léger sourire: « Tu n'as jamais entendu le dicton "souffrir pour être belle" ? » Et pour souffrir, je souffre dans les escaliers du château aux marches abominablement étroites. Il ne me reste plus qu'à prier pour ne pas me tordre une cheville à chaque fois que je descends ou monte d'un étage. « C'est de la pure vanité, pour tout te dire... » je lui avoue, tout en faisant quelques pas en direction de mon placard personnel. « Et aussi une petite question d'habitude. Ma mère a dû m'offrir mes premières à l'âge de douze ans à l'occasion de la Bar Mitsvah de mon frère. » J'ignore si ça en fait une mère indigne ou prévenante, mais en attendant à présent je marche avec autant de prestance à plat que juchée sur des talons de plusieurs centimètres de haut.

« Si, on me le sort tout le temps quand je grogne pour les chaussures justement. » j'annonce en souriant vaguement. J'avoue que ce dicton m'a traumatisé toute mon enfance, quand je fuyais ma mère lorsque je la voyais munei d'un peigne bien fin -qui m'arrachait les cheveux à cause des noeuds- et d'une brosse à cheveux, je partais loin, autant vous dire, et là, elle me sortait ce fameux diction. Je le déteste. Je détaille les chaussures de la blonde, je compatis, moi, dix minutes avec ces chaussures, et j'ai les pieds en feu. C'est pour ça que je me contente de mes bonnes vieilles converses et baskets basses, heureusement seigneur. « Cela fait douze ans que tu es perchée comme ça ? » je lui demande, surprise, les yeux légèrement écarquillés, tandis que mon visage reprend un allure à peu près normal. Je comprends pas comment à douze ans on peut porter ces chaussures, sachant que du haut de mes vingt-cinq ans, j'ai du mal. Mais bon je suis pas un modèle, c'est clair.« Tu dois avoir une super résistance à la douleur plantaire » j'annonce, très sérieusement tandis que je la regarde qui se dirige vers son petit placard personnel. Le mot 'bar Mitsvah' m'a interpellé, mot qui engendre bien des idées dans ma tête. Et avec une pointe de curiosité, je finis par lui demander : « Tu es d'où ? », assez calmement.

« Cela fait douze ans que tu es perchée comme ça ? » me demande-t-elle exactement de la même façon que si je venais de lui dire quelque chose d'inavouable. Je plisse très légèrement le front et me contente d'acquiescer d'un bref signe de tête, pas réellement sûre de comprendre d'où venais le problème. Si, en fait je sais pertinemment que les gamins normaux sont davantage friand de ses baskets immondes à scratch, mais ma famille n'a rien de normal en l'occurrence. « Tu dois avoir une super résistance à la douleur plantaire » Je ris doucement, penchée vers le bas de mon placard. « J'imagine, oui. Tu veux les essayer ? » je la questionne, en sortant une de mes innombrables paires de chaussure. J'agitte des escarpins sous son nez, dont le ratio taille/finesse des talons ne devrait pas mettre en péril les chevilles de mon interlocutrice. « Tu es d'où ? » Un léger sourire se dessine au coin de mes lèvres. « Jerusalem. J'ai entendu dire que tu étais dans l'armée israélienne, c'est assez impressionnant, je n'ai même pas fait un semblant de service militaire là-bas. » Je n'arrivais même pas à m'imaginer habillée des treillis de rigueur que portaient les jeunes femmes enrôlées dans l'armée, pour mon plus grand bonheur, j'alignais les conditions requises pour pouvoir être exemptée. « Tu vis en France dorénavant, j'imagine ? Tu venais d'où ? »

« J'imagine, oui. Tu veux les essayer ? » Elle agite une paire d'escarpins sous mes yeux, j'avise d'abord le talon, ça va pas très haut, c'est envisageable. « D'accord, pourquoi pas. » Je lui réponds le tout ponctué d'un léger sourire avant que je me lève de mon coin, posant le livre sur le sol. Une chance, j'étais déjà pieds nus, je m'approche de la blondinette avant de me saisir délicatement de la paire de talons, et d'y faire doucement glisser mes pieds. Je me tiens debout, et je baisse le regard pour observer mes pieds en talons, chaussures de torture pour moi, habituellement. « Elles sont jolies. » Je conçois, en relevant la tête vers elle, non pas que j'estimais qu'elle n'avait pas de goût en matière vestimentaire, non, ce n'est pas cela; « Comment tu as fais pour échapper au service militaire ? » je lui demande un sourire amusé au coin des lèvres. Autant vous dire que comme ça, je pense qu'elle avait eu de la chance d'échapper à cela, pour elle. Parce que comme ça, je la sens pas très armée, et tout ce qui ce mot nous impose, elle a eu de la chance. Elle me fait penser à ma petite soeur qui a essayé de trouver mille moyens pour pouvoir échapper aux services militaires, mais en vain, elle y était allée, elle. Contrairement à Anouck. « Oui près de Paris. » je lui annonce. « Mais je vivais avant à Tel Aviv. » Je lâche. Quelle était la probabilité que je tombe sur quelqu'un venant aussi d'Israël dans un jeu comme celui-ci, sur à peine une trentaine de candidat ? Très peu de chance, c'est étrange.

« D'accord, pourquoi pas. » Un sourire satisfait se forme aux bords de mes lèvres et je lui tends la paire d'escarpin une fois qu'elle se soit levée de sa place. Je la regarde en croisant les bras enfiler les chaussures une à une, jusqu'à ce qu'elle me dise qu'elle les trouve jolies. « Elles te vont bien. Si tu veux, tu peux me les emprunter si elles sont à ta taille. » j'admet en tournant lentement autour de la jeune femme, pour analyser ses pieds sous toutes les coutures. Elles a de si longues jambes que les talons ne s'avèrent pas indispensables, mais ça lui confère une touche de féminité appréciable. « Comment tu as fais pour échapper au service militaire ? » J'hausse les épaules, avant de lui répondre d'une manière assez vague: « J'ai obtenu une dérogation pour pouvoir partir étudier en France. » Je ne m'attarde pas sur le sujet, c'est pas quelque chose qui me passionne. Je conçois le besoin d'être diplômé aujourd'hui et mon père m'aurait sûrement coupé les vivres si j'avais refusé de rejoindre l'école de commerce dans laquelle j'étais admise, mais je me sens plus à l'aise dans les arts ou la littérature que l'économie. « Oui près de Paris. Mais je vivais avant à Tel Aviv. » J'acquiesce sa réponse d'un signe de la tête. « J'ai une théorie sur le nombre d'israëliens cette saison... » Aj, moi, Hamad par moitié de ce qu'il m'a dit et peut-être même la partenaire de celui-ci. Avec un prénom hébreu comme Sochanna, elle devait bien avoir des origines plus ou moins éloignées similaires aux notres. « Une année, il y a eu une nana revendiquant être la descendante de Hitler. On représente le quota nécessaire pour éviter le déchaînement des ligues de défenses juives, tu sais... »

Je me tiens debout devant elle tandis qu'elle se met à décrire des cercles autour de moi pour observer mes pieds sous toutes les coutures. Je viens juste de remarquer qu'elle et moi faisions la même pointure. Elle me propose de les lui eprunter, si je veux. « Merci. » Je réponds alors, le regard toujours rivé sur la paire d'escarpins. « J'ai une théorie sur le nombre d'israëliens cette saison... » Je souris vaguement avant de mettre à faire quelques pas avec ses chaussures. Pour tester le potenciel de souffrance qu'elles peuvent me faire endurer, mais elles ne sont pas très hautes, ça va. « Je trouve qu'on est est étrangement nombreux. » je lui lance, l'air de rien, en haussant légèrement les épaules. On était déjà trois, sur, sur trente-six cela fait un peu beaucoup je trouve. Y a aussi Sochanna, son prénom quoi, mais je n'en suis pas certaine à cent pourcents, je préfère ne pas m'avancer. « Trois israëliens. C'est pas mal. » je confirme alors. Cela nous fais une certaine culture en commun, il faut le concéder. Bien que je pense qu'Anouck et moi ne venions clairement pas du même milieu, elle avait eu la chance de partir en France pour ses études, moi, j'ai vécu avec la plus grande famille du monde, sérieusement. « Une année, il y a eu une nana revendiquant être la descendante de Hitler. On représente le quota nécessaire pour éviter le déchaînement des ligues de défenses juives, tu sais... ».
« Je comprends pas comment elle a pu venir avec ça. » j'annonce franchement déconcertée, j'étais un peu dépassée quand j'avais appris la nouvelle. Revendiquer ça devant toute l'Irlande, je trouve ça dérangeant.