Mardi, aux alentours de treize heures. La faim m'avait pris d'un coup alors que je lisais paisiblement dans mon lit, au calme et profitant du fait que la chambre m'avait été laissée libre par mes camarades, que je ne comptais cependant pas remercier. Il y avait un intellectuel dans ce château, futur brillant avocat, qu'ils se le rentrent une bonne fois pour toute dans le crâne ! Alors bon, permettre à ceux qui ne cherchaient qu'à s'instruire encore d'avantage en leur foutant tout bonnement la paix me semblait tout à fait légitime, et le contraire aurait pu me faire entrer dans une rage folle par ailleurs. Bref, mon ventre s'était mis à gargouiller alors que j'entamais un nouveau chapitre du roman Misery de Stephen King. Eh non, ça n'était pas un livre de cul. Aussi étrange que cela pouvait paraitre. Je posai donc mon bouquin et entrepris de descendre jusque la cuisine, dans l'espoir de pouvoir y dégotter quelque chose de mangeable, en espérant surtout qu'à cette heure-ci tous les morfales du château ne m'avaient pas laissé que des miettes. Ils étaient capables de tout pour me faire vivre un enfer ; mais à ce jeu-là, je serais le plus fort. Moi, parano ? Juste un peu, disons. J'entrai alors dans la pièce et y découvris une grande et fine blonde en train de chanter, littéralement. Et faux, s'il vous plait. « Hey I just met you and this is crazy but here's my number, so call me maybeeee.....!!♪ » Mon dieu, il me fallait à tout prix mettre fin à ce carnage. Je ne pus reconnaitre la chanson interprétée par Boucles d'Or, tant elle chantait mal. J'avançai d'un pas décidé et déterminé en direction de la demoiselle, avant de ne m'accouder sur la table où se voulait posée une boite d'haricots verts, ce que la jeune femme prévoyait sans doute de manger d'ici quelques instants. « Pourrais-tu arrêter ce massacre musical ? Merci bien. » Et cette putain de dalle qui me prenait aux tripes... Oh remarquez, des haricots verts... pourquoi pas après tout ! « J'ai faim. On partage ? À moins que tu ne décides plutôt d'engloutir ces haricots devant moi, tandis que mon ventre crie famine... Oh non, tu... n'oserais pas, hein ? » Ne vous y trompez pas, je ne la menaçais aucunement. Non, à vrai dire je tentais plutôt de l'amadouer. Et dire que je ne connaissais même pas son nom. Elle avait une bonne bouille, par ailleurs, c'était déjà ça. Pas trop mon genre, mais ce genre de nanas plaisait sans doute à bon nombre de mecs.

Je n'étais pas de ceux qui s'adonnaient au plaisir de pousser la chansonnette, que ce soit dans une cuisine ou sous la douche. Pas que je chantais mal, hein, du tout ! Seulement je ne trouvais pas la moindre utilité au fait de chanter, voilà. Mais encore, je pouvais volontiers me prêter à l'écoute d'une mélodie, si bien sur celle-ci se voulait agréable à entendre. Je ne pouvais malheureusement pas en dire autant de la voix de cette blonde, là, avec sa boite d'haricots verts. « Ce massacre musical ? Arrêeeetes, je chante su-per bien !! » Je faillis éclater de rire, littéralement. De toute évidence elle ne s'était pas entendue. Au moins ma petite remarque l'avait poussée à stopper le massacre - hallelujah. « "Super bien" ne semble pas avoir la même signification dans ton monde, et dans le mien. Tu chantes comme une merde, reconnais-le. Y'a pas de honte à ça, hein. » Et puis, elle n'était peut-être pas celle qui s'en tirait le plus mal ici. Peut-être d'autres candidats chantaient-ils encore plus faux que la demoiselle ? Eh, allez savoir. Bon et sinon, elle comptait partager la bouffe ?... Ou elle avait plutôt dans l'idée de me laisser crever de faim ? « Non, je ne peux pas te laisser comme ça, c'est clair, tu me fais beaucoup trop de peine !! » Que de générosité. On pouvait donc tout lui demander à la blonde, hmm j'en prenais note. « Tu as pris la plus sage des décisions » fis-je sur un ton monotone, dépourvu de toute émotion. À présent elle se dirigeait vers le congélateur pour sortir de celui-ci ce qui me sembla être des steaks surgelés. Quelle horreur. « Ca te vas comme viande ? » Est-ce que j'avais vraiment le choix ? Répondre "non" équivalait probablement à renoncer aux haricots verts, je me trompe ? Bon, de temps à autres il fallait aussi savoir se soumettre. Mais j'en avais le cœur gros. « Et bien... je suppose. J'aurais préféré du bœuf Wagyu mais... j'vais pas faire mon difficile, hein. Allez, fais-nous cuire ces steaks Boucles D'or ! » Ce serait son surnom, je venais d'en décider ainsi. À moins que je ne vienne à apprendre son prénom par la suite. Cela ne me dérangeait pas, pour le moment, de rester dans l'ignorance. Et puis avouez que ce surnom était vraiment fait pour elle, quoi. Il y avait toujours cette boite de haricots, posée sur le plan de travail. Est-ce que je comptais ouvrir celle-ci afin de faire gagner du temps à la blonde ? Absolument pas. J'acceptais de bouffer surgelé, c'était déjà un bel effort de ma part, non ?

Certaines personnes feraient vraiment mieux de s'abstenir d'ouvrir la bouche, que ce soit pour parler ou pour chanter. C'était le cas de Boucles d'Or, dont la voix me donnait presque des convulsions. Elle ne se rendait même pas compte à quel point elle chantait faux ; et mes critiques semblaient ne rien y changer. « Mais non, mais non ! Regarde : » Je voulus me boucher les oreilles mais elle fut plus rapide que moi sur le coup. Pourquoi est-ce que j'avais la désagréable impression que mes tympans allaient morfler, d'ici une seconde ou deux ? « And Aaaaaayaaaaa, will alwaaaaysse loooove youuuuuuououou !! » Oh bordel, ce fut limite si la vaisselle ne se brisa pas. « Alors là bravo. Whitney Houston vient de mourir une seconde fois. » Paix à son âme. À part ça j'allais devoir manger du steak surgelé, ce qui ne me mit pas franchement en appétit tout à fait honnêtement. Rien à avoir avec le bœuf Wagyu, non, ça n'était juste pas comparable. « Du boeuf quoi ? Désolée, connais pas. Donc ce sera du steak haché. Et te plains pas, y'en a qui n'ont rien à manger ! » Rooh tout de suite les grands mots. « Miam. » Ouais, ou pas. La blonde entreprit de faire chauffer et les steaks, et les haricots verts. Pendant que tout ceci était mis sur le feu pour quelques minutes, la demoiselle prit place sur une chaise, non loin de moi. « Y'a plus qu'à attendre ! En attendant, on va faire un jeu, tu veux ? Tu mets un couvert sur la table, et tu as le droit de me poser n'importe quelle question sur moi ! » Pourquoi pas, au moins cela me permettrait d'apprendre à connaitre un peu plus la demoiselle, même si je n'en ressentais pas particulièrement le besoin. « Hum... d'accord. » J'ouvris le tiroir derrière moi et en sortit... ah, une fourchette. Je posai ensuite celle-ci sur la table, tout en regardant la grande blonde dans les yeux. Elle voulait une question, ma foi j'allais le lui en poser une. « Qu'est c'que tu recherches ici ? L'amour, l'argent, le jeu ou la célébrité ? » Peut-être l'ensemble de toutes ces choses, allez savoir. Je ne connaissais pas ou plus son nom, mais je trouvais que le lui demander était bien futile. Je préférais aller à l'essentiel. Parce que si il y avait bien quelque chose que je ne pouvais supporter, c'était de me prendre la tête inutilement. Et puis au pire, elle avait toujours un surnom, hein.

Boucles d'Or venait de proposer un petit jeu, et j'avais accepter de m'y prêter en attendant que la bouffe ne soit prête. Eh oui, nous avions quelques minutes devant nous, puisque les steaks et les haricots étaient actuellement sur le feu. Du coup, j'avais demandé à la demoiselle ce qu'elle recherchait ici, parmi le fric, l'amour, la notoriété et le jeu. « L'argent. » Ah, étrangement je n'attendais pas une telle réponse de sa part mais soit, je voulais bien la croire. Elle n'avait absolument aucune raison de mentir là-dessus. Elle se mit ensuite à poursuivre. « Mais pas vraiment pour moi, en fait. J'ai décidé de participé à ce jeu pour gagner un maximum d'argent. Je reverserais ensuite l'intégralité de ce que je gagnerais à des associations humanitaires. C'est pour eux que je fais ça, sinon je ne me serais jamais embarqué dans cette aventure ! J'aime le contact avec les gens et tout ça, mais venir m'afficher sous des caméras juste dans le but d'être célèbre, ce n'est vraiment pas mon truc. Bon, après y'a aussi le truc "chercher l'amour" et blablabla. Je ne dirais pas non si jamais j'en avais l'occasion mais ce n'est pas la raison première de ma venue ici, disons. » Okay donc j'avais une sorte de Mère Thérésa devant moi, quoi. Tout ce qui relevait des oeuvres humanitaires et tout le baratin, très peu pour moi. Mais chacun était encore libre d'avoir ses propres raisons concernant sa présence en ces lieux. « Je change un peu les règles : à mon tour de t'en poser une ! Hummm...décris-toi, en quelques mots. » Oh. Alors là, on allait forcément me reprocher d'être narcissique, prétentieux et de péter plus haut que mon cul. Mais bon, puisque ça m'était demandé... allons-y. « Me décrire en quelques mots ? Okay, c'est parti : charmant, sexy, sulfureux, félin, magnétique, brillant, virile, animal ; la liste est longue. » Et j'étais parfaitement sincère, vu que j'avais une très haute estime de moi-même. Remarquez que j'avais quand même une certaine tendance à me jeter des fleurs. Je me saisis alors d'un nouveau couvert, une cuillère cette fois-ci, puis posai celle-ci sur le plan de travail avant de ne poursuive sur une nouvelle question pour la grande blonde. « Justement, parlons d'amour... un sujet sur lequel je n'étais pas bien informé, il fallait bien le dire. Parle-moi de ta dernière histoire, sérieuse j'entends. » Peut-être n'avait-elle été, comme moi, qu'habituée aux histoires sans lendemain. Mais rien ne me le garantissait réellement. J'attendis donc la réponse de la demoiselle, tout en jetant un coup d'oeil sur les steaks qu'elle venait de retourner.