Slavin

Le nouveau Lionel Messi était peut-être dans cette présente salle de sport, ce soir. Qu'on se le dise, j'avais vraiment les capacités et la détermination nécessaires pour percer dans le milieu du football, mais encore fallait-il que je mette un terme à mes études de droit en sortant d'ici. Mouais, plus facile à dire qu'à faire, surtout en ayant mon père sur le dos. Malgré tout je croyais en ma bonne étoile - le foot, voilà ce qu'était ma véritable passion. Même si beaucoup de personnes avaient tenté de me dissuader de m'orienter vers cette voie-là - soi-disant que j'étais trop grand - je n'en démordais pas. Du coup, j'avais décrété qu'ayant du temps à perdre ce soir, j'allais même celui-ci à profit dans le but de m'entrainer un peu. Après avoir pénétré dans l'enceinte de la gigantesque salle de sport du château, je me dirigeai automatiquement vers la grande armoire que j'ouvris en défonçant presque la porte pour en sortir un ballon. J'avais vu mieux dans le genre mais il ferait très bien l'affaire. Et puis, j'avais bien d'autres choses à faire que de jouer les difficiles. J'entrepris alors d'effectuer quelques tricks, ce pour quoi je me démerdais plutôt bien. La porte s'ouvrit brusquement mais je n'en perdis ni l'équilibre, ni mon ballon. Je jonglais encore et toujours avec celui-ci. Néanmoins je sentis bel et bien quelqu'un s'approcher, mais je préférais ne pas tourner la tête histoire d'éviter toute déconcentration inutile. Toutefois, il m'avait semblé que ce protagoniste s'était placé sur le côté, et m'observait. « Encore une trentaine et je suis à toi » fis-je, en tentant de rester le plus immobile et droit possible. Malheureusement, l'instant d'après le ballon tomba à terre. Merde quoi - ça n'était pas ce soir que j'allais battre mon record. « Bon, ça c'est fait. » Mais au fait, à qui avais-je l'honneur. Ah mais oui, Slavin. J'avais retenu son nom puisque comme moi ce cher monsieur s'était retrouvé chef d'équipe hier. « Alors, on vient jouer les supporters ou seulement tenter d'éliminer quelques bourrelets disgracieux ? » J'ignorais si ce jeune homme donnait dans le gras - et ne souhaitais pas le savoir d'ailleurs. Toutefois il n'était pas ici pour rien, si ?

Lundi c'est soirée sport, et peut être aussi le mercredi, ou le vendredi qui sait ? Enfin bref, nous étions lundi et aujourd'hui j'avais décidé qu'il était temps de me bouger un peu le cul. Non pas que j'ai remarqué quelques bourrelets superflus je n'étais pas le type le plus musclé de la terre mais je n'étais pas non plus un mec gras. Bref, j'avais juste besoin de ne pas me ramollir, d'être actif aussi. Ouais c'est l'oisiveté que j'essaye de combattre lorsque je prends la décision d'aller faire un tour à la salle de sport. C'était sûrement déjà la troisième fois de la journée que j'allais devoir me changer. Il ne fallait que je m'étonne de devoir faire autant de lessive dans la semaine mais peu importe. J'étais prêt, short et tee-shirt composait essentiellement ma tenue. J'ignorais l'heure qu'il pouvait être, mais en même temps c'est pas comme si j'avais rendez-vous quelque part, il aurait pu être deux heures du matin que c'était la même chose. On avait tous tendance à vivre à notre rythme, prendre des repas quand ça nous chantait, faire des lessives à six heures du mat' en mangeant de la glace aussi. N'importe quoi en somme. Bref, la salle était au bout du centre de remise en forme, il y avait quelques personnes près de la piscine que j'ai pris le temps de saluer. C'est fou tout de même de vivre avec des gens vingt-quatre heures sur vingt-quatre mais ne les croiser qu'en fin de journée. Des bruits se firent entendre de la salle de sport, des bruit sourds, sûrement à cause de l'acoustique ou d'une connerie dans le genre. Il y avait Andreas qui faisait des jongles et le pire c'est qu'il était plutôt doué dans son genre. Il m'adressa quelque paroles qui m'étonnaient légèrement, comme on avait rendez-vous sauf que, et bien non. « Pas de soucis, j'ai tout mon temps ! » Et c'était un euphémisme qui plus est, j'avise la pièce, j'sais pas encore ce que j'vais bien pouvoir faire, mais j'sais que j'vais attendre qu'il termine. J'sais pas si c'est moi ou pas quoi qu'il en soit, il vient de se louper mais en beauté. Je souris, sans bouger de ma position. Et c'est à ce moment là qu'il me pose une question qui me fait rire. J'observe mon ventre comme si des bourrelets m'étaient poussés dans la nuit. « Pas de bourrelets à l'horizon, j'venais seulement me défouler. » J'hausse les épaules et m'approche finalement. « T'es pas mauvais, tu joues en club ? » Qui sait peut être qu'il était joueur pro, qu'est-ce que j'en sais, il est allemand j'crois soit le championnat que j'connais le moins donc c'est possible après tout.

Je pensais que rien ni personne n'était en mesure de me déconcentrer lorsque je m'entrainer aux tricks - et pourtant, l'incroyable venait de se produire. Tout avait commencé quand un type - qui semblait avoir le cheveu gras, mais ça n'était jamais qu'un détail - fit irruption dans la salle de sport tandis que je m'y entrainais. Jusque là... rien de bien choquant ni de quoi s'alarmer. J'avais d'ailleurs convié le jeune homme à patienter quelques instants, histoire d'exploser mon record. « Pas de soucis, j'ai tout mon temps ! » Nous ne nous connaissions pas, et pourtant monsieur cru bon de venir accompagné de son amie la poisse. Car un instant plus tard, le ballon tomba à terre. Putain, ça ne m'arrivait presque jamais ça ! Rater un trick, la grosse honte quoi. « HUM. » Ouais, ça la foutait quand même vachement mal de se rater à la jongle devant un mec que j'avais dans l'idée d'impressionner ce soir. Et d'ailleurs, que venait-il faire dans cette salle de sport ? Sans doute brûler quelques calories - je ne voyais que ça et estimais par ailleurs qu'il en aurait peut-être besoin. « Pas de bourrelets à l'horizon, j'venais seulement me défouler. » Ah... et bien pourquoi pas, après tout ? Le sport pouvait aussi aider à relâcher la pression. J'étais bien placé pour le savoir, moi. Après avoir fait quelques pas vers moi, il reprit « T'es pas mauvais, tu joues en club ? » J'esquissais un sourire. Il venait de mettre le doigt en plein sur mon ambition. Grande, très grande celle-ci d'ailleurs. Il ne fallait jamais en manquer, hein, c'était aussi ce qui nous forgeait et faisait que l'on savait ce que l'on voulait. « J'aimerais bien, oui. Mais pour l'moment c'est loin d'être le cas. » J'étais bien parti pour devenir avocat, l'exact opposé. Merci papa, vraiment. « Mais j'espère bien être contacté par Schalke 04 après diffusion de ces images. » C'était un club de football allemand très prestigieux. J'étais lucide, et préférais pour le moment ne pas rêver du Bayern. Qui sait, pourquoi pas, un jour... Je parlais, je parlais... Et lui alors ? « Et toi du coup, ta vie s'résume à quoi de beau ? » Emploi, passions, famille... hey, j'voulais tout savoir moi, maintenant. Quelque chose de déterminant que j'aurais à savoir, peut-être ? Qu'il parle, ou se taise à jamais.

Je crois bien qu'il essaye de m'impressionner là ? Il n'aurait pas annoncé être bientôt à moi de cette façon si ce n'est pas pour m'impressionner. Pour il est vrai qu'il est doué et pour un peu, il pourrait je dis bien, il pourrait m'impressionner. Mais bien évidemment, je me garde de le lui dire. Je me contente de lui dire qu'il n'est pas mauvais, c'est déjà un compliment qui plus est. En un sens. Suite à ma remarque, il m'avoue espérer appartenir à un club de la Bundesliga, on ne peut pas dire qu'il manque d'ambition lui au moins. J'suis pas un érudit en matière de foot allemand mais cette équipe se défend bien il me semble. « J'suis pas sûr que l'entraîneur soit accro à Fake Lover, mais avec un peu de chance, y'a bien un membre du staff qui entendra ton appel ! » Ouais c'est peu probable à bien y repenser mais bon, je ne veux pas briser ses espoirs. C'est tout à son honneur de nourrir de telles ambitions. J'suis le genre de type à accorder plus de crédits aux ambitieux qu'au autres, c'est sûrement pour ça que je lui souhaite de réussir à atteindre son but. Et là c'est à moi de parler j'crois. « Alors mon ambition a toujours été de quitter mon trou d'Amérique pour vivre librement. J'ai réussi, j'suis photographe, un autre but atteint. J'gagne bien ma vie, j'suis reconnu dans la profession. J'ai deux enfants en parfaite santé, ma vie est parfaite. » Si on omet le fait que j'suis à des milliers de kilomètre d'une famille qui m'a renié lorsque j'ai choisi la liberté à la leur mode de vie. Mais ce n'est qu'un détail selon moi. « Un un contre un ça te tente ? » Je lui demande en désignant le ballon, il va sûrement me battre à plat de couture, mais j'suis venu me défouler et pas pour raconter ma vie, alors ça ne me dérange pas c'est pas la question mais j'ai besoin d'action.

Moi, jouer en club ? Ça n'était pas l'envie qui m'en manquait, seulement c'était loin d'être le cas. Je ne perdais cependant pas espoir de me retrouver, un jour ou l'autre, dans l'effectif d'un prestigieux club de football allemand... ou anglais, français, espagnol ; je ne jouerais assurément pas les difficiles, tant qu'il s'agirait d'un club relativement célèbre et offrant, bien sur, un salaire faramineux. Dans pas longtemps je serais en manque de pognon, il était peut-être temps de réaliser ce rêve qu'était celui de devenir footballeur professionnel. Franchement, y'avait plus de temps à perdre désormais. J'avais annoncé au jeune homme espérer être contacté par Schalke 04 suite à la diffusion de ces images. J'y croyais dur comme fer, car à mes yeux rien n'était impossible. « J'suis pas sûr que l'entraîneur soit accro à Fake Lover, mais avec un peu de chance, y'a bien un membre du staff qui entendra ton appel ! » Oui, on pouvait toujours y croire, c'est sur. Et j'y croyais ! Plus optimiste que moi tu meurs. Et sinon, quelle était la vie de ce type ? Quels étaient ses rêves, à lui ? « Alors mon ambition a toujours été de quitter mon trou d'Amérique pour vivre librement. J'ai réussi, j'suis photographe, un autre but atteint. J'gagne bien ma vie, j'suis reconnu dans la profession. J'ai deux enfants en parfaite santé, ma vie est parfaite. » Oh, un amerloc. Oh, un photographe. Oh, un vieux riche. Oh, un papa bonheur. Quelle vie extraordinaire que celui-ci menait là. « Ah ouais, toi t'as des gosses ? T'as l'air épanoui, j'suis content pour toi. Vraiment. Et puis la photo, c'est un beau métier. J'arrive pas à prendre une photo sans qu'elle ne soit floue, alors forcément j'ai beaucoup de respect pour les photographes. Et pour toi, donc. » En espérant que cela puisse le flatter, car du respect je n'en avais pour quasiment personne. Mon respect, comme ma confiance, se méritait et se gagnait. « Un un contre un ça te tente ? » Non attendez, ne venait-il pas de proposer de se mesurer à moi, là ? Au foot, sérieux ? Mais heu, il savait ce à quoi il s'exposait ? Une humiliation, en l'occurrence. « Bah écoute, ça dépend... t'es suicidaire ? Dans ce cas ce sera avec plaisir. Mais genre, tu sais jongler ? Avec un ballon, j'veux dire ? » Réussir une série de tricks, ça n'était pas à la portée de tout le monde. Cela demandait un certain temps d'entraînement avant d'obtenir le niveau de Cristiano Ronaldo, Messi ou... le mien. L'excellence, en somme.

J'sais pas trop comment j'dois prendre les remarques d'Andreas à mon sujet, il a l'air sincère alors j'crois que j'peux le prendre comme il se doit. Un compliment, parce qu'il est bien entrain de faire un compliment quant à mon métier j'crois ? « Ouais j'en ai deux. Ouais je le suis, merci, je crois. C'est gentil. Je pourrais t'apprendre si tu veux c'est pas si dur. » J'hausse les épaules, il peut être sympa finalement, comme quoi faut pas se fier aux premières impressions visiblement. J'peux pas m'empêcher de rire face à sa remarque. « Non j'suis pas suicidaire. J'suis pas à ton niveau mais je me débrouille. » Non j'suis carrément pas à son niveau, mais je me fiche de me faire humilier ou non, j'veux juste m'amuser en réalité. Quitte à se faire ridiculiser je me dis qu'il vaut mieux le faire face à un type doué que par le premier plouc qui passe je trouve. « Attends j'vais te montrer... » C'est là que la pression était supposé monter parce qu'en réalité j'suis super détendu, au pire j'rate c'est pas la fin du monde. Du pied j'attire le ballon vers moi, et commence les jongles. Une, deux, trois, quatre, cinq, six et bam. J'hausse les épaule non sans sourire. « Tu crois que ça va pouvoir se faire ou j'suis définitivement trop bidon pour toi ? » Là en réalité, dans l'idéal j'apprécierais assez qu'il décide d'épargner mon ego, j'sais que j'suis pas doué, mais j'sais aussi que ça me ferait chier qu'il refuse de jouer parce que j'suis mauvais. Bah oui c'est qu'un jeu, c'est pas non plus la finale de la Champions League et au pire, si un quelconque sélectionne regardait Fake Lover, il paraîtrait sans doute plus excellent encore façon un type aussi médiocre que moi.

Monsieur avait des gosses, était photographe et, en plus, était Américain. Il menait la belle vie, non vraiment j'en avais du respect pour lui. « Ouais j'en ai deux. Ouais je le suis, merci, je crois. C'est gentil. Je pourrais t'apprendre si tu veux c'est pas si dur. » Bah... je demandais quand même à voir, car il était bien rare que je parvienne à ne pas trop me foirer en photo. Je prenais relativement peu de clichés ici, avec les appareils photo fournis par la prod', et pour cause je préférais ne pas gâcher de la pellicule pour un rendu de merde. « Bah... pourquoi pas. Ce s'ra pas d'refus. » Tant que je pouvais améliorer mon niveau, j'étais toujours partant. Et maintenant le bonhomme voulait se confronter à moi - savait-il au moins où est-ce qu'il était sur le point de foutre les pieds, grand inconscient qu'il était ? « Non j'suis pas suicidaire. J'suis pas à ton niveau mais je me débrouille. » La victoire me serait facilement acquise, c'était juste une évidence. Après je ne pouvais quand même pas l'envoyer chier sous prétexte qu'il partait grand perdant dans cette bataille. « Attends j'vais te montrer... » Très vite, il se mit à effectuer quelques jongles avec le ballon, au nombre de six me semble-t-il. Six. J'avais vu pire, franchement. Alors okay il était encore bien loin d'être en mesure de prétendre pouvoir se mesurer à moi, mais il avait au moins le mérite d'essayer et de réussir à en effectuer quelques unes. « Tu crois que ça va pouvoir se faire ou j'suis définitivement trop bidon pour toi ? » demanda-t-il finalement, comme dans l'indifférence la plus complète. « Mmmm. » Y'avait moyen ou y'avait pas moyen ? Heu. « Allez, j'peux bien t'laisser ta chance quand même. » Et puis je me ferais un plaisir d'achever ce gentil papounet américain qui donnait dans la photo. Je posai mon pied sur le ballon, avant de le faire riper sur le côté de celui-ci pour qu'il puisse rebondir et directement atteindre mon genou. Ouais ouais, mon genou. Je ne me contentais plus du pied, là. J'effectuai une quinzaine de jongles, alternant entre mon genou et mon torse, avant de n'envoyer le ballon en direction du bonhomme comme pour qu'il puisse prendre la relève. Alors là, soit il réceptionnait le truc sans encombres et faisais son machin, soit il le ratait et dans ce cas... direct aux vestiaires quoi. Pas de seconde chance. Alors, jusqu'où allaient ses réflexes ? Avais-je trouvé un adversaire de taille ou juste un joueur de pacotille ?