J'ai faim. Et quand mon ventre crie famine, j'ai l'impression de pouvoir déplacer des montagnes pour un pauvre petit bout de pain. Et c'est le cas ce soir. J'ai pas mangé grand chose depuis la soirée d'ouverture où je me suis empiffré de petit four et pommes d'amour qui me sont restés sur l'estomac. J'ai d'abord pensé m'être complètement pété le bide et avoir une indigestion. Et puis, voyant qu'il y a une heure, mon ventre s'est souvenu qu'il n'avait plus rien à broyé, je me suis senti soulagé. Tant de questions existentielles qui rythment mon quotidien. Je me rends donc guilleret à l’épicerie ou du moins, ce qu'il en reste. Je passe les espèces de rideaux anti-mouches et atterri dans l'entre d'Ali Baba. Je scrute, je zyeute, la la recherche de quelque chose qui pourrait calmer mon estomac pour quelques heures - il faut savoir que je ne sais absolument pas me faire à manger, maman, à l'aide. J'attrape du pain, une espèce de fromage qui à l'air puant mais pas dégueulasse (et je me fou royalement de l'haleine que je pourrais avoir) et je m'arrête finalement devant les espèces de frigidaires, où mes yeux se pausent sur.. « Sacrilège ! » je hurle en m'offusquant (et en m'efforçant pas mal, aussi). Je me retourne et désigne une petite brunette à la peau matte particulièrement jolie parce qu'elle passe par là, je la pointe du doigt et l'interpelle. « C'est toi qu'à mis le pot de nutella dans le frigo ?! » je la questionne. Je laisse passer quelques secondes, le temps qu'elle puisse reprendre ses esprits et je continue, sur le même ton. « On met jamais le nutella au frigo, t'as appris ça où ? » je me fiche que ce soit elle ou pas en fait. Et au final, c'est un bon moyen de rencontre. Je garde le précieux dans mes mains et même, je le glisse songeusement dans mon panier comme s'il était devenu la prunelle de mes yeux, un pauvre petit oisillon tombé du nid.

Je crois que, comme tout le monde, je découvrais l'ambiance du village dans lequel nous allions cohabiter plus ou moins longtemps. Je le faisais seule, ne connaissant personne pour l'instant. Non, je n'avais pas, comme les autres, profité du prime d'entrée pour connaître les autres. Non je ne les avais pas testé. Beaucoup trop en « trip » pour ça, baignant dans mon petit monde coloré de rose et de jaune fluo, avec des petits bisounours que j'avais eu envie d'embrasser et que j'ai embrasser. Je ne sais même absolument rien de ma partenaire, sauf le fait que ce soit une femme et qu'il n'y avait pas de doute à avoir. La descente avait été dure cette nuit et se matin, difficile. Limite, si je ne me demandais pas ce que j'étais en train de faire allongée avec un nana dans un lit que je ne connaissais pas. Ma mémoire plus ancienne ne me faisait pas encore défaut ; celle d'hier un peu plus. Ainsi donc, nous nous trouvions dans un village français et non dans une de ces villes frigorifique de l'Irlande, quoique, habiter dans le Nord m'avait un peu conditionner à affronter un froid irlandais. Plongée dans mes pensées limitées, j'arrivais dans une ancienne épicerie, qui servait visiblement encore d'épicerie... « C'est toi qu'à mis le pot de nutella dans le frigo ?! » Je relevais la tête pour voir le doigt d'un mec qui m'étais absolument inconnu braqué sur moi. Je restais interloquée une demi-seconde, avant de laisser échapper un léger rire. Reste de mes chewing-gum de joie, comme j'aime les appeler, dont j'avais abusé hier. « On met jamais le nutella au frigo, t'as appris ça où ? » Il a craqué son slip ou quoi ? Je lui adressais un léger sourire timide, ne laissant pas traîner trop longtemps mes yeux sur lui. Si c'est à l'idée de parler à plusieurs personne qui me donner envie de pisser à ma culotte, je n'aimais pas trop dévisager les gens quand il n'y a pas lieu d'être. Je parcourrais alors les vieux étalages, contemplant les produits sans jamais en toucher un seul. « J'mange pas de nutella... » lui disais-je d'une petite voix incompréhensible. Finalement, m'avançant inéluctablement vers lui, je le regardais de nouveau. Oh ce n'était pas un supplice, il était beau... machin. J'hésitais un instant, avant de me lancer. « Tu veux... » Mes lèvres bougeaient, mais comme par hasard, aucun son ne sortait. La grosse honte quoi. La pire chose qui m'arrive toujours quand je dois parler à un inconnu. Putain de merde. Je toussais pour réveiller ma voix, encore dans le méga pâté. « Tu veux de l'aide peut-être? » Je pointait mes yeux sur son panier, non pas à la recherche de nutella, mais à la recherche d'un quelconque moment de sociabilité. Pour tout avouer, je ne savais pas trop quoi faire. Je lui adressais un nouveau et léger sourire de mes lèvres pleines. J'étais totalement out de l'image que j'avais donné de moi avec ma présentation...

J'ai conscience d'avoir péter un câble. Et j'espère vraiment pouvoir mettre ça sur le compte du dépaysement (qui n'en est pas réellement un étant donné que je viens de Paris mais qu'importe). Normal que la petite brunette en face de moi, l'air interloquée n'est rien comprit et me regarde, les yeux écarquillés. Je la dévisage un instant, instant court durant lequel un ange passe entre nous. Drôle de façon de se rencontrer. Et je n'aime pas tout ce qui est banal, ça tombe rudement bien. Précédemment outré, mon visage s’apaise doucement pour laisser place à un large sourire. En plus d'avoir l'air complètement perdu, elle a également l'air d'être absente. Un peu dans un autre monde. Pas avec moi en tout cas. Ses mots sortent de sa bouche en grognement quasi inaudibles et je ne peux m'empêcher de sourire de plus belle. « Tu sais vraiment ce que tu loupes. » je réponds alors. J'ai envie de me lancer dans un long monologue élogieux du nutella. Lui dire que sur du pain fraîchement acheté c'est délicieux, trempé dans du cacao encore plus et alors, le must du must, dégoulinant sur de la chair, c'est exquis. Mais je me retiens. Je ne voudrais pas que bouclette me prenne pour encore plus demeuré que je ne le suis déjà. Mes yeux jongles entre les siens, tout à fait envoûtants, et mon panier, remplit d'ingrédients super caloriques. « Je.. » je me mets à parler aussi minablement qu'elle. Nos échanges ressemblent plus à des miaulements qu'autre chose. « Je sais pas faire à manger.» je dis en baissant la tête, un peu honteux. Me dire qu'elle est en mesure de juger de mes capacités est déstabilisant. Je n'ai pas envie qu'elle se moque, je suis comme ça moi. Ma fierté en prendrait un coup. J'accuse mal les critiques et les moqueries. « T'as faim, bouclette ? » je la rebaptise moi-même. Je ne connais pas son prénom, après tout. Et bouclette, ça lui va bien. Ces bouclettes la rendent foutrement jolie, en plus. Je laisse mes yeux vagabonder sur son visage de poupée tout rond et je ne me défait pas de ce sourire mutin qui m'accompagne depuis quelques minutes.

« Tu sais vraiment ce que tu loupes. » Je plissais un peu les yeux, avant de me rendre compte que le ton monocorde de ma voix n'avait pas laissé transparaître l'ironie de ma phrase. J'suis pas douée pour ce genre de chose et encore une fois, j'avais une raison de rougir, de honte. Alors mes traits délicatement tirés s’adoucirent, pour laisser place à une risette. « Je rigolais. En fait. J'crois que j'en mange même... un peu trop. » Soufflais-je finalement, pour terminer ma phrase, tête baissée. Je serais plutôt du genre à avoir un appétit de moineau, pourtant, le chocolat, j'en abusais tout de même. Le nutella en faisait partit. J'avais beau le nier, ce n'était pas vrai. Alors non, je ne savais pas ce que je loupais, car j'en consommais, mais exclusivement sur une bonne tartine grillée, sans rien à côté. Naturellement, je lui demandais s'il voulait de l'aide. Ma nature gentillette prenait toujours le dessus quand mon corps est normalement constitué. « Je.. » C'était contagieux, la timidité, où ? Je ne savais pas vraiment qui il était, en arrivant dans ces lieux, mais avec son approche très singulière, j'avais cru qu'il était du genre sociable. De ce genre dont je voulais faire partie. Pourtant il hésitait et restait tout en retenue, comme moi. « Je sais pas faire à manger. » Puisque j'étais à des années lumières de me foutre de la gueule des gens, j'esquissais un sourire en coin, de compassion. Mine de rien, cet inconnu réussissait à me mettre en confiance, avec sa mine aussi honteuse que la mienne. « Je ne suis pas sûre de t'être d'une grande aide alors. » Traduction : je ne savais pas vraiment faire à manger non plus. Je me démerdais, vivant seule, mais ma nourriture quotidienne se résumait à un plat de pâte au beurre avec, de temps à autre, un steak haché. J'étais alors désolée de ne pouvoir l'aider, ce sentiment se retraduisant sur mon minois. « T'as faim, bouclette ? » Bouclettes ? C'était mignon. Je ne pu m'empêcher de lever mes yeux vers l'une de mes mèches, avec un timide sourire. Jamais je n'avais eu ce surnom, alors que mes cheveux frisés, je les ai depuis toujours. J'avais plus l'habitude d'entendre parler de mouton en me concernant – et à tout les niveaux de degré - que de bouclettes. Je passais légèrement ma main sur ma joue, effaçant tout signe de gêne. Cela me perturba tellement, que j'en oubliais sa question. Je réfléchissais, comme s'il s'agissait d'une question essentielle. « Un peu. Pas trop... » J'avais, en vérité, la dalle, mais ça ne faisait pas très féminin de dire cela. Je faisais alors ma modeste, en attendant sa propre réponse. S'il me demandais ça, c'est qu'il avait lui, plutôt faim. À en croire son panier qui se remplissait à vue d'oeil, la réponse était évidente. « J'm'appelle Asmaa (...) et toi ? » Déclarais-je et demandais-je audacieusement, sans qu'on me l'ait demandé ! Exploit ! Et j'osais lui retourner la question... miracle !

J'ai pas du tout l'habitude d'être timide. D'habitude, les mots sortent de ma bouche par flots sans que je les contrôle. J'ai l'air d'un con, je fais parfois pitié et parfois j’exaspère mais je ne suis pas timide. Mais là, j'ai l'air d'un ados pré pubère incapable d'aligner deux mots, c'est pathétique. J'hausse un sourcil, intrigué. En fait, elle se foutait de moi mais son visage tiré et sérieux m'a complètement berné. Je suis tombé dans le panneau. « Je rigolais. En fait. J'crois que j'en mange même... un peu trop. » Je soupire de soulagement comme si elle répondait enfin positivement à une question existentielle. Et pour moi, c'en était une, vraiment. Je ris, laisse apparaître mes dent blanches et lèves les yeux au ciel. « Ah ouais d'accord, t'es du genre blagueuse toi. » Je laisse passer un instant durant lequel ses yeux s'écarquillent et je souris, mutin. « Mais tu t'es plutôt bien rattrapée. » je termine, d'un air des plus sérieux. Et puis, mon ventre se fait de nouveau sentir. Tandis qu'aucun de nous deux ne parle, il se lance dans un monologue qui résonne entre nous et je baisse la tête, un peu gêné. « Je ne suis pas sûre de t'être d'une grande aide alors. » Je lance un petit grognement de réprobation. Les filles sont sensées savoir faire à manger normalement non ? Enfin, si je suis les rumeurs machistes, évidemment. Enfin, je crois. Moi, je ne me prononce pas là dessus. J'estime qu'on est tous égaux et ça ne me choque pas plus que ça que bouclette ne sache pas faire la cuisine. Je sais pas monter un meuble moi. « Ah merde. » je lance de but en blanc. Son petit nom c'est Asmaa, donc. Joli et doux, comme son visage et ses boucles. J'aime bien les filles aux cheveux bouclés. « Asmaa, c'est joli. Mais bouclette je préfère, si ça te dérange pas. Et moi c'est Arès. » les présentations son faites et mon ventre me rappelle à l'ordre. J'ai des crampes d'estomac, ça fait mal et mes yeux n'ont de cesse de fixer le pot de nutella qui commence à se réchauffer et risque d'être dégoulinant comme je l'aime. Je salive rien que d'y penser. Alors, j'attrape doucement la main de Asmaa-bouclette et je l'emmène un peu plus loin. « Viens on va se manger un bout. Si ça te dis, hein. » je précise quand même histoire de ne pas avoir l'air insistant.

Je n'étais pas vraiment blagueuse, non, mais s'il me précisait que je ne m'étais bien rattrapée, c'est que c'était vrai. Je le croyais sur parole. Je n'ai pas vraiment la capacité à me rendre compte de mon taux de drôlité (ouai j'ai pas d'autre mot pour exprimer ma pensée, ah merde, c'est mon taux d'humour que je voulais dire). Par contre, j'étais bien capable d'avouer, même avec un peu de honte, que je n'étais pas bonne cuisinière. « Ah merde. » Je fis une grimace de tristesse. L'idée de ne pas pouvoir aider quelqu'un m'embêtait plus qu'un peu. Si j'avais su faire à manger, je le lui aurai fait avec plaisir et n'importe quoi, en plus. Malheureusement je ne servais strictement à rien, alors au lieu d'attendre sans rien faire, je me présentait à lui. Officiellement. « Asmaa, c'est joli. Mais bouclette je préfère, si ça te dérange pas. Et moi c'est Arès. » Arès. C'est pas un dieu de la mythologie romaine, ou grecque, lui ? C'est peut-être pour ça qu'il est beau... J'en revenais pas de ce que j'étais en train de penser. * Ca va pas la tête Asmaa, t'es folle. Ca y est, il te regarde dans les yeux, te dis que t'as un joli prénom et tu ne te sens plus. * « Va pour bouclette alors. » Je n'irais pas lui dire que ça ne me plais pas, simplement parce que ça me plaît, justement. Ça me faisait penser à boucle d'or, sauf que je crois être plus « bouclée » qu'elle et que je suis loin d'avoir son teint diaphane et ses cheveux dorés. Pendant une quelques secondes, je restais dans mes pensées, avant de reprendre . « Enchantée. » Oui, j'étais ravie de rencontrer quelqu'un. Il était la première personne à qui j'adressais « véritablement » la parole. Le prime d'entrée ne comptait franchement pas. Doucement et de façon inattendue, je sentais une chaleur se propager au niveau de ma main. Je baissais les yeux vers celle-ci en me laissant emporter par Arès vers je ne sais où. « Viens on va se manger un bout. Si ça te dis, hein. » Mon regard dévie sur mon ventre, comme s'il allait me dire si oui ou non c'était raisonnable. Evidemment, il ne m'avait rien répondu et je relevais finalement ma tête vers lui. « Ca me dit ! » Répondais-je. Carrément même, pourtant je freine notre allure. « Attend ! » M'exclamais-je doucement, sur ce même timbre de voix serein. Je séparais nos deux mains, non pas que ça me dérangeait. Ca me gênait un peu, mais c'était agréable tout de même. Je passais derrière le comptoir, plus précisément derrière la vieille caisse enregistreuse. Je vint la tapoter sur son dessus, adressant un sourire à Arès. « T'a pas payé ! » Lui disais-je. J'avais, je crois bien, entendu son ventre gargouiller précédemment. Je faisais un peu la chiante en repoussant ses tartines de nutella de quelques minutes, mais je trouvais ça plutôt marrant. (Quoiqu'une tartine au chocolat, à cette heure si ? Ouai?). D'ailleurs, comment ça fonctionnait, ça ? Je touchais tout les boutons, tendant en même temps ma main, pour recevoir l'argent qu'il me devait, en fonction de ce qu'il avait prit. J'suis pas sûre qu'il avait de quoi payer. Tant pis, qu'il se débrouille.

(pardon, j'ai toujours tendance à beaucoup écrire xD)

Bouclette, elle est vraiment jolie. D'habitude, ce n'est pas mon genre de nana mais je dois avouer que celle-ci me plaît beaucoup. Autant par son physique que par ses façons de me répondre. Elle me donne le sourire. Je ne l'aurais sûrement jamais abordée dans la rue et j'aurais certainement raté une bien belle personne. Moi et mes foutus principes à la con. Enfin, ce ne sont pas tellement des principes, c'est juste que j'ai plus l'habitude d'accoster un autre genre de femmes. Et qui plus est, j'accoste généralement quand je suis bourré. Je me laisse approcher, sinon. Mais qu'importe, je m'emporte, là. « Va pour bouclette alors. » Elle accepte ce surnom et, sans savoir pourquoi, ça me fait plaisir. C'est bête mais je suis content de pouvoir la surnommer ainsi. Elle se démarque un peu plus des autres, comme ça. Je ne l'appelle pas comme tout le monde l'appelle. Et pour moi, ça signifie quelque chose sans que je ne sache quoi. « Enchantée. » elle est un peu longue à la détente, et ça me fait rire. Elle ne s'en rend sûrement pas compte, ne fait certainement pas exprès mais elle me fait rire. Et le sourire qui ne me quitte pas depuis le début de notre rencontre peut en témoigner. Et puis, comme s'il me rappelait à l'ordre, qu'il m'empêchait de m'enfoncer un peu plus dans mes pensées, mon ventre se met à crier famine et me torture de crampes. Alors, dans un élan, comme si mon ventre commandait et que je n'étais plus désormais qu'un simple automate, je prends la main d'Asmaa entre la mienne et tente de l'attirer à l'extérieur pour que nous puissions manger tranquillement. Mais, apparemment, elle ne l'entends pas de cette oreille malgré le fait qu'elle ait apparemment faim, elle aussi. « Attend ! » Quoi ? Je m'arrête, net, sa main brise notre enlacement et se place derrière la caisse. J'ai envie de lui gueuler dessus que mon ventre ne peut pas attendre, que je vais finir par exploser tellement j'ai faim mais bouclette n'en fait qu'à sa tête. Et j'aime les femmes au caractère fort, qui ne me suivent pas constamment avec un hochement de tête. Elle ne va pas dans mon sens et ça me plaît, vraiment. « T'a pas payé ! » Je soupire. « T'es pas sérieuse ? » je rétorque du tac au tac, l'air un peu moins enjoué mais un léger sourire sur les lèvres, tout de même. Elle veut jouer à ce jeu-là, d'accord. « J'ai pas une thune. » Je lui proposerais bien de payer en nature, mais c'est un peu déplacer, je pense. Alors, je vide mon panier sur la caisse. J'attrape un sachet de couverts en plastique que j'ouvre, sort un couteau, une cuillère, ouvre le sachet de pain de mie, le pot de nutella et je me fait une tartine, là devant elle que j'avale en trois bouchées. « T'en veux ? » je lui demande, la bouche encore à moitié pleine. Et tandis qu'elle avance sa main vers mon sachet de pain de mie, je la lui tape. « Eh faut payer ! » je dis, d'un air taquin.

je t'ai suivie du coup. xD

J'suis pas du genre à embêter les gens, mais plutôt à me faire toute petite. En fait, je suis vraiment du genre à être le mouton de service. À parler sans réelle conversation. À garder mes états d'âme pour moi. Autrement dit, j'aurais dû garder ma main dans celle d'Arès et le suivre là où il voulait m'emmener, sans objection, ni rien. Si je n'avais pas eu véritablement faim, j'aurai pu m’empiffrer tout de même, n'osant pas lui dire non. J'sais pas ce qui c'est passé, alors, mais j'ai craqué. J'ai dévié ma trajectoire et je l'ai emmené vers une autre destination. « T'es pas sérieuse ? » Je reculais imperceptiblement ma tête. Si j'étais sérieuse ? Oui et non, pas vraiment, quoique, un petit peu. J'étais en plein possession de mes moyens, alors, j'avais toujours cette pointe de sérieux. C'est vrai que nous n'avions rien du tout, pas d'argent, alors ça lui posait sacrément problèmes. Je ne lui donnais pas le choix pour autant. « Si. » Répondais-je, tout en secouant subtilement ma tête de haut en bas. Sauf que mon petit gabarie ne le dissuade pas de reposer ses courses, là où il les avait trouvé. Mieux que ça, je le voyais les déballer ici, sur le comptoir qui servait autre fois à payer, justement. Arès commençait à se faire une tartine devant moi, le bougre et je restais plantée là, yeux rivés sur celle-ci. Il m'en proposa une, quelques instant plus tard. Je flairais le piège jusqu'à des kilomètres à la ronde. Je plissais mes yeux, mais je me risquais tout de même à tendre ma main. Bien évidemment, j'avais raison : je tombais dans son piège comme une enfant. Il me l'attrapa. « Eh faut payer ! » Je lâchais un rire, un peu constipé. Comme tous les timides. Mine de rien, j'aime bien que l'on m'embête. Ça m'embarrassais un peu, tout en m'amusant simultanément. J'étais dans le pétrin. Autant il avait ses courses lui, donc il avait de quoi manger. Dans mon cas, j'avais rien. Je lui répondais, avec une voix un peu plus basse, gênée. « J'ai... j'ai pas d'argent non plus... » Je fis une petite moue séraphique. Il allait pas me laisser là, alors qu'il s'avait très bien que j'avais un peu faim. « C'est nul de manger du nutella devant... une fille, sans lui en proposer. » Ouai, je viens de décréter que c'était impensable, complètement dégueulasse, mais je le lui disais à ma manière. Poliment. Un éclair passa dans mes yeux et, mes doigts s'animèrent, pour venir pianoter sur les touches de la caisse enregistreuse. Peut-être qu'elle contient encore un peu d'argent... À moins qu'elle ne soit factice... Bon, ça devait être le cas. Du coup, je ne savais pas trop quoi faire. Je n'allais sûrement pas le supplier. Je n'allais pas l'embêter une deuxième fois pour m'en faire une moi-même. J'attendais alors derrière mon comptoir, laissant mes doigts faire du bruit sur celui-ci. Alors je passais à autre chose, comme si cette bataille était déjà perdue d'avance (C'est pas grave, j'mangerais plus tard). « Et t'as quel âge ? » Lui demandais-je doucement, cassant notre délire. Je sais pas faire connaissance, c'est horrible.

Mon ventre me fait de plus en plus mal - le salaud- et bouclette fait tout pour retarder ce moment de jouissance intense qui m'attends en dévorant mon pain de mie et mon nutella. J'ai la nette conviction qu'elle essaie de me tuer. Ouais. Sous ses airs de petit ange tout bouclé adorable se cache une démone prête à tuer pour gagner. Et la faim me fait complément halluciner. J'adopte une moue boudeuse, mutine mais boudeuse. Mon ventre à raison de tout, autant qu'elle se fasse une raison. « Si. » J'ouvre de grands yeux et la bouche, feintant d'être outré et puis, je me reprends. Encore une fois, l'idée de lui proposer du nature me traverse l'esprit, mais je me retiens. Il faut que j'arrête d'être aussi passif, de dire les choses comme elles viennent sans me préoccuper de rien. Je risque d'avoir des problèmes un jour, je crois. Alors, je déballe le tout sur le comptoirs, je me prépare une tartine que j'engloutis en deux bouchées et je lui en propose une. Elle sent le piège, elle m'a cerné et ça me vexe. Suis-je si prévisible ? Faut que je me reprenne, que j'arrête d'être un livre ouvert. Je ne veux pas qu'on lise en moi de cette façon, ça me perturbe. Et je ne le supporte pas. « J'ai... j'ai pas d'argent non plus... » un fin sourire un peu mesquin s'affiche sur mon visage. J'attire tout mon matos vers moi comme si je voulais le protéger. Je joues les égoïstes. « Alors tant pis pour toi bouclette. » je lâche, la bouche de nouveau pleine. Mon estomac chante mes louanges, ça fait un bien fou de le rassasier. Le pauvre. « C'est nul de manger du nutella devant... une fille, sans lui en proposer. » « Je préserve tes courbes de rêve, tu devrais plutôt me remercier. » je réponds, un sourire narquois sur les lèvres, l'air mutin. Les filles se plaignent constamment d'être grosses même à la menace de perdre un os. C'est un concept que je n'ai jamais compris mais à force, je m'y suis fait et j'en ai même profité. Mais face à cette petite moue, je ne résiste pas longtemps et avec l'air d'un lion qui garde son territoire, je lui glisse une tartine, l'air bougon. « Et t'as quel âge ? » Elle me prend un peu de court, je ne m'attendais pas à une telle question. Et mon esprit un peu étriqué - esprit d'homme, il paraît - était resté concentré sur le nutella alors j'ai besoin de quelques secondes de silence. « Vingt-quatre et toi ? » puisqu'on s'embarque sur les présentations, je ne tarde pas à reprendre la parole. J'ai envie de savoir qui elle est, à part bouclette. « Tu viens d'où ? Tu fais quoi dans la vie ? Pourquoi tu t'es inscrite à fake-lover ? » je l'assaille de questions auxquelles j'espère avoir des réponses précises. J'aime bien tout savoir, tout comprendre.

Arès venait de retourner la situation et j'étais bien. Je n'avais pas d'argent et voilà qu'il en profitait pour garder sa nourriture pour lui. « Alors tant pis pour toi bouclette. » SALAAAAAAUD, nan, mais je ne laissais rien paraître sur mon visage. Trop pure pour ça, trop polie. Je me contentais de faire une moue de bébé qui ne peut avoir son jouer, tout en attendant, finalement. Bah ouai, j'allais pas lui enlever le pain des mains. « Je préserve tes courbes de rêve, tu devrais plutôt me remercier. » Une deuxième fois SALAAAAAAAUD, mais il n'avait pas tord. Je baissais alors un peu la tête. « C'est vrai. Merci » Me repentais-je, en dodelinant la tête de haut en bas. Je venais de l'avouer moi-même, j'en mangeais déjà beaucoup trop. En ne m'en donnant pas là, j'évitais de prendre des kilos en trop. En plus comme repas du soir, on pouvait faire mieux. Manger cinq légumes par jour (ou cinq cornichons, mais ça j'vais l'apprendre plus tard). Je ne sais pas vraiment, finalement, ce qui l'a décidé à me donner une tartine bien fournie de chocolat. Mes beaux yeux, ou mon merci, en tout cas, je fondais sur la tartine comme sur ma proie, croquant dans celle-ci. Juste avant, je lui avais demandé son âge. Bah ouai, moi j'étais persuadée qu'il ne m'en donnerait pas, alors j'essayais de faire la discussion, aussi maladroite soit-elle. « Vingt-quatre et toi ? » Je mâchais le bout de tartine que j'avais dans la bouche et l'avalait bien tranquillement. Manquerez plus que je m'étouffe. « Vingt-et-un. » On me dit parfois que j'en fais plus, ça dépend comment je m'habille. Mais comme je m'habille le plus souvent comme une ado, ça passe. J'suis un peu attardée de ce côté là, enfin, j'suis en retard. J'aime pas les robes super distinguées, me coiffer bien et me maquiller sobrement. « Tu viens d'où ? Tu fais quoi dans la vie ? Pourquoi tu t'es inscrite à fake-lover ? » Il ne perdait pas de temps et, franchement, ça m'arrangeait. J'sais pas engagée une discussion, la preuve, j'lui demandais son âge comme ça. Sans prévenir. Je jouais alors avec une miette sur le comptoir, préférant parler à celle-ci qu'à Arès. Pas qu'il était nul, non, il m'intimidait en vrai. « Actuellement, j'habite à Lille. Autant le dire tout de suite, je suis originaire du Maroc. » Ouai, j'aime pas trop les 'et tu es de quelle origine'. Ca fait genre, la personne n'ose pas le dire, mais elle pense : 'wesh tes étrangères toi' ou 't'es arabes, non ?'. « hm... J'ai arrêté mes études de lettres. » Je sourais, légèrement confuse. Ouai, ça craignait, à quelques mois près, j'avais mon bac+3. « Du coup, je m'occupe en écrivant des trucs, j'essaye d'écrire, un livre. Je dessine un peu, aussi... » Ouai j'fais que des trucs voué à l'échec. J'crois pas en moi. Mais j'ai cette idée que, j'suis prédestinée à être 'artiste'. Si c'est pas écrivaine, ça sera autre chose. « C'est bête. J'en ai marre d'être seule... Et j'aimerai rencontrer quelqu'un... » Autrement dit, j'suis là pour l'amour. J'ai pas une tune, mais c'est pas ce que je recherche. J'cherche pas non plus la notoriété, je laisse ça aux autres. Heureusement que je ne le dis pas cash, on va croire que j'ai pas envie de gagner le jeu en fait, alors que si. « Et toi ? » Finalement je remontais mes yeux sur lui, en lui retournant tout simplement ses questions. J'voulais aussi en savoir sur lui, l'intriguant mangeur de nutella.