HAMAD

Je me recule de l’écran de l’ordinateur, affalée sur un canapé en velours. La tempe droite posée au creux de ma main dont le coude retient le poids de mon buste, le reste du corps allongé face à l’ordinateur. Je pianote de mes doigts libres, postant la photo de Sochanna sur mon blog, accompagnée d’un petit mot. Je suis attristée de la voir partir, j’en voyais déjà une bonne amie à me faire, une connaissance à approfondir. Car à part Valentina et Adie, les demoiselles avec qui j’ai eu un véritable feeling dans ce château ne courent pas les rues. Je fais la grimace quelques secondes, fixant l’image de mes yeux bleus, espérant que sa sortie se passera dans les meilleures conditions qui soient. Puis je me redresse finalement pour adopter une position en tailleur, appuyant frénétiquement sur les touches. Je décide de mettre en œuvre mes maigres talents de hacker, mais mes tentatives restent inabouties. Je soupire en m’agaçant tandis qu’un autre candidat pénètre dans la salle informatique. Je ne l’identifie pas immédiatement, me contentant de percevoir le bruit de la porte qui s’ouvre. « Ca m’embête ce truc ! On ne peut même pas savoir ce qui se passe dans le monde. » Il pourrait aussi bien y avoir un tremblement du terre qui a anéanti la moitié du Japon, un tsunami sur les côtes californiennes, une bombe qui a décimé la population parisienne, personne ne nous en tiendrait informé. « Je dois avoir des dizaines de messages sur Meetic et impossible d’y répondre. Je passe peut-être à côté du grand amour ! » J’ironise en lâchant un rire bref, levant les yeux pour découvrir Hamad. Je plaisante, mais ça aurait pu.

Parce que je m'ennuie, parce qu'il fait très chaud aussi et que j'ai déjà bronzé une bonne partie de l'après-midi sur la plage, je rentre au château. La fraicheur qui plane en son sein m'accueille à bras ouverts, aussi je me love entre ces derniers et erre avec aisance dans les pièces de la bâtisse. Je suis tenté de faire des crêpes. Peut-être aussi pourrais-je m'attaquer à une réalisation un peu plus longue et difficile, mais du fait de la chaleur et du mérite des candidats, je choisis plutôt de m'évader vers une tout autre pièce que la cuisine: la salle info. Pas que je sois un geek, non non, mais j'y passe relativement souvent. D'abord pour espionner le blog des autres, ensuite pour vérifier si je n'aurais pas un message de Sochanna sur le mien. Je pousse ainsi la porte qui me sépare des ordinateurs et m'aperçois de la présence du cygne. Je souris, réduisant la distance entre nous de quelques pas tranquilles tandis que la demoiselle se plaint de ne pas pouvoir surfer librement sur le net. Je compatis d'un hochement de tête, les lèvres pincées. « J'avoue. » Au moins j'aurais essayé de dire quelque chose. Quoi, me plaindre encore de la production et de cette émission? Très peu pour moi. Même si cracher son venin sur le dos de quelqu'un en collectivité défoule, je ne suis pas particulièrement d'humeur à cela. Je m'installe aux côtés de la candidate et regarde son écran. « Tu ne penses pas que ton grand amour se trouve déjà dans la maison? » Je lui demande l'air de rien en allumant l'ordinateur voisin au sien, prenant soin de fuir son regard interrogateur et les centaines de questions qui vont suivre. Quoi? Qui? Mais comment tu sais? « Quoiqu'en geekant toute la sainte journée, tu ne risques pas de séduire grand monde si ce n'est Ezéquiel peut-être. » Je souligne avec finesse en affichant un air pédant.

Ah bon, nous sommes d’accord ! C’est honteux d’être ainsi coupés du monde, à la merci d’une attaque de zombies imprévisible qui pourrait tous nous anéantir sans nous laisser la moindre chance de survie. J’ai vu ça dans une série, mais j’ai à peine regardé le premier épisode avec la main plaquée sur mon visage. Horrible, vraiment. Bref, j’espère qu’il ne s’est rien passé de grave dans le monde durant notre absence, rien dans les parties du globe qui m’intéressent. « Tu ne penses pas que ton grand amour se trouve déjà dans la maison? » Je manque de m’avaler avec ma propre salive, rougissant jusqu’aux oreilles. Fait-il référence au prime ? Si c’est le cas, je peux bien me planquer six pieds sous terre jusqu’à la fin de l’aventure. J’esquisse finalement un sourire gêné, faisant comme si de rien n’était. « Si tu l’as vu dans une boule de cristal n’hésite pas à me le dire, ça m’intéresse. » Puis je plante mon regard sur mon blog, cliquant sur celui d’Hamad afin de guetter les commentaires. « Je plaisante de toute façon, la dernière fois que j’ai eu un amoureux sur le nez j’avais treize ans et ça s’est très mal terminé . . . » Je tiens à lui préciser, comme si cela avait la moindre importance. Lorsque ma mère avait appris que je fréquentais un garçon sur un ‘chat’ très en vogue à l’époque, elle m’avait coupé l’accès à internet pendant des mois, et avait engagé un informaticien par la suite pour bloquer tous les sites du genre qui pouvait me nuire. Un pervers, répétait-elle toujours, tu as conversé avec un pervers ! Et elle se mettait toujours dans des états pas possibles. Si je n’avais pas compris sa réaction à l’époque et que je lui en avais voulu des semaines durant, je m’étais rendu compte par la suite qu’elle avait eu raison de vouloir protéger sa petite fille. Cela dit je n’étais pas contre l’idée de l’inscription sur des sites de rencontre, mais il faut dire que ces ‘chat’ étaient à l’époque des repaires idéals pour dangereux prédateurs sexuels. « Je ne cherche pas à séduire, figure-toi. Tout ce qui m’intéresse c’est l’argent. Et toi, tu as quelqu’un en vue dans ce château, mon biquet ? » Surnoms pourris bonjour. Je l’interroge sur le sujet comme si de rien n’était, arquant un sourcil que je fais bouger volontairement l’air de dire ‘hein hein, dis-moi tout’. Enfin pour l’instant les rapprochements que j’ai noté le concernant, c’était surtout avec des demoiselles qui ont quitté le nid, malheureusement pour lui.