W/ANABEL

C'est les cheveux dans le soleil que j'avance vers le labyrinthe, songeant au fait que personne ne doit s'y trouver à cette heure-ci. La journée est trop belle pour aller se perdre dans ce dédale de haies obscure. Pourtant, quand je m'avance sur les sentiers formés par une végétation géométrique, une étrange lumière perce au travers des branchages et tout autour de moi se mystifie à mesure que je progresse jusqu'au centre. Je connais le chemin par cœur. C'est pourquoi je ne tarde pas à y parvenir, au centre. Et telle est ma surprise quand je m'aperçois de la présence de Anabel, seule près de cette statue contre laquelle j'ai hurlé de frayeur une fois, avec Tweedy. Je lui souris, elle ne m'a pas entendu. Je reste un instant les bras ballants à la lisière des feuillages, et m'avance un peu vers elle, le cou tendu pour apercevoir son visage caché par sa chevelure auburn. « Est-ce que tu vas bien? » Je l'interpelle d'une voix grave en plissant les yeux. Les rayons chauffent sur mon front, je suis éblouie alors je m'avance encore un peu pour trouver l'ombre à ses côtés. Je conserve néanmoins une bonne distance entre nous. « Qu'est-ce que tu fais ici? » Je lui demande finalement, le timbre fatigué par une soirée éprouvante et des départs difficiles. Le traumatisme est encore frais.

J’ai eu l’idée de génie d’aller me perdre dans les labyrinthes. Vraiment, chapeau ma belle. Tout à fait le genre d’endroit où se réfugier avec un esprit torturé comme le mien. Déjà, j’ai pas toute ma tête, mais en plus, je n’arrive même plus à savoir, clairement, où je me situe. C’est où le sud, le nord? Je tente de me fier à la position du soleil, mais mon sens de l’orientation m’a toujours fait défaut, et ce n’est pas aujourd’hui que tout ça changera. Au bout d’un moment, je me retrouve au centre du lacis de hautes haies, et devant moi trône une statue que je n’avais encore jamais vu. Découverte du jour, bonjour! Je suis plantée devant celle-ci, et je la dévisage, tournant autour alors que je la scrute dans les moindres détails. Pas question de partir d’ici, je suis bien là, tranquille, et seule. Ah non, plus maintenant. Je sens qu’on rode autour de moi. « Est-ce que tu vas bien ? » Je ne réponds pas. Cette voix ne me dit rien, mais pour autant, ce n’est pas celle d’Ezéquiel… j’imagine que c’est rassurant. « Qu’est-ce que tu fais ici ? » Je détourne la tête pour que mon regard puisse se river sur l’intrus en ces lieux. Je crois reconnaître Hamad. « Rien d’intéressant. » Mémoriser le moindre petit détail de cette statue est loin d’être aussi passionnant que l’on pourrait croire, mais faute d’avoir mieux à faire… « J’ai décidé de rester ici, à défaut de retrouver la sortie. » Que je déclare finalement au candidat à mes côtés. Me connaissant, je risquerais de repasser une bonne dizaine de fois dans le coin avant de finalement prendre le bon chemin vers la liberté. Le temps que j’ai à y perdre ne me tente pas.

La candidate me déclare sans le moindre sourire qu'elle ne fait rien d'intéressant. Je me demande un instant ce qui justifie un comportement aussi étrange, et me souviens du prime particulièrement difficile qu'elle a enduré. Je m'approche donc tandis qu'elle m'explique calmement qu'elle a choisi de rester ici parce qu'elle est perdue. « Dans ce cas, ne faisons rien d'intéressant ensemble et marchons vers la sortie. » Je lui dis en tendant mon bras vers elle pour qu'elle s'en saisisse, comme l'aurait fait un homme d'une autre époque par pure galanterie. On s'engage dans les allées de buis en silence, mon regard se perd un instant sur nos pieds, curieusement captivé, avant que je revienne à la réalité et lève les yeux vers la demoiselle qui me tient compagnie. J'ai noté qu'elle n'a pas répondu à ma première question, celle qui s'inquiétait de son état d'esprit. Je choisis d'aborder le sujet d'une autre manière. « Je suis désolé que quelqu'un ait découvert ton secret hier. » Je commence en me mordant la lèvre, pesant mes mots pour ne pas la heurter ou engager un sujet difficile. Le terrain est glissant, et discuter d'un secret sur lequel elle ne s'est pas épanchée plus longtemps risquerait de la mettre dans tous ses états. Je ne tiens pas à la fâcher. Aussi, je reprends plutôt. « C'est sadique de nous afficher ainsi, confrontés à nos vieux démons. » Je dis sagement en plongeant mon regard dans le sien, tentant un sourire rassurant. « Tu le vis bien? Comment ça fait? » Je me prépare à tomber à mon tour, j'ai besoin d'un témoignage.

Je me suis perdue, oui, effectivement, je suis coincé dans le centre de ce labyrinthe sans trop savoir quand, ni comment, je pourrai trouver la sortie. Hamad, étonnamment, m’offre, en quelque sorte, cette réponse. « Dans ce cas, ne faisons rien d'intéressant ensemble et marchons vers la sortie. » Je tourne la tête vers lui, puis, j’avise son bras tendu en guise d’invitation. S’il le dit, c’est qu’il doit bien connaître le chemin nous menant dehors, dans le parc, loin de toutes ces hautes haies qui me donne ce sentiment d’être enfermé, emprisonné. J’accepte son offre en prenant appui sur son bras, puis nous prenons l’un de chemins, marchant en silence parmi les bosquets. « Je suis désolé que quelqu’un ait découvert ton secret hier. » J’hausse légèrement les épaules. « C’est le jeu, il fallait bien que je m’y attende, un jour. » Nous avions tous signé un contrat, en entrant dans ce château. Seulement, jamais je n’avais songé que ce que je cachais tomberait si vite entre les mains des autres, et surtout, pas dans ces circonstances. Moi qui me croyais guéris de ma peine, j’avais eu raison de croire qu’il n’en était rien. « C’est sadique de nous afficher ainsi, confrontés à nos vieux démons. » J’acquiesce à sa remarque, alors que nos regards se croisent. On croirait presque qu’il a lu en moi cette pensée qui défini parfaitement le ressenti que j’ai fasse au dévoilement de mon secret. « Tu le vis bien? Comment ça fait? » Pendant un moment, je baisse les yeux vers le sol, fixant nos pieds qui foulent l’herbe, tout en bas. « Non, pas vraiment. Je déteste être le centre d’attention, déteste qu’on s’intéresse à moi. Je me serai contenter d’une révélation toute simple, mais non, il a fallut qu’on en fasse tout une histoire en plein prime. » Comme si ce n’était pas déjà assez éprouvant comme ça. « Ezéquiel… qui se lève et qui cri, haut et fort, que je suis une menteuse. Si tu savais… le nombre de fois ou j’ai entendu ces propos. C’est blessant… » Je pousse un long soupir, lassée de devoir reprendre ce combat-là. Il me semble que j’ai assez donné, non?