Y avait plus de place dans le frigo... Ça c’était la version officielle pour expliquer mon geste, la version originelle étant qu’en les laissant dans le frigo, tout le monde sifflait les fraiches entreposées par mes soins, et quand la soif me prenait j’étais obligé d’aller en chercher des chaudes dans le cellier. C’est donc tout naturellement que je me suis fait une réserve de canettes de coca dans la cave à vin. Bon, ça fait un peu plus long niveau distance, mais le coca ça se boit frais, hein. Bien sûr, j’fais gaffe quand même, j’voudrais pas qu’on trouve ma planque, ce serait con, du coup, je me la joue furtif, rasant les murs, me retournant fréquemment de manière brusque afin de surprendre un éventuel poursuivant, mais jusque là tout va bien. Et là, en l'occurrence, c’est la porte de la cave à vin, que je passe très naïvement, en pensant que j’ai évité le pire, et que je suis enfin en sécurité. Sauf que le pire est à venir puisqu’une arme se braque dans mon dos, et qu’une voix trafiquer me réclame mes bourses... Alors déjà, faudrait m’expliquer en quoi mes valseuses peuvent avoir une valeur quelconque sans tout l’attirail qui va avec, et ensuite, depuis le temps que nous sommes enfermés ici, et le nombre de personnes que j’ai traumatisé, comment quelqu’un peut encore ignorer que je suis LA personne à ne surtout pas essayer de surprendre. Je réprime un mouvement vers l’avant visant à m’accroupir en balayant le sol d’une jambe tendue pour faire tomber mon assaillant, et pendant la fraction de seconde nécessaire à la mise en place de ce mouvement, je tente de me rappeler où je suis, avec qui je suis, et la totale sécurité qui nimbe ces lieux. Je ne crains rien. Je ne crains rien. Je ne crains rien. C’est le mantra que je m’inflige, juste suffisamment longtemps pour juguler les réflexes, et que le petit farceur se fasse connaître... Laoise, ma prof particulière. Je respire, et plaque une main sur mon palpitant histoire de calmer ses assauts. « A en mourir de rire. » je lui réponds en tentant un sourire. « T’sais que tu viens d’échapper à la mort, là ? Ou du moins à une rencontre fusionnelle avec le sol ? » J’aurais eu l’air con à la menacer contre le sol. Comme si mes mésaventures avec Nora et Irène n’étaient pas suffisante. « Et t’as quoi, au fait, après mes bourses ? Tu préfères pas des dragibus ? » je lui demande en avançant vers une des cases, dont j’extrais la bouteille pour introduire mon bras, et en tirer un plein paquet planqué... Oui, ici, vaut mieux faire diverses réserves, en fait.

Oui, elle est adorable, oui on a envie de lui offrir le bon dieu sans confession lorsqu’elle sort ce sourire qui lui donne l’impression d’avoir neuf ans et accessoirement trop de dents. Tout le monde est censé avoir trente-deux dents, n’est-ce pas ? Bah elle en a cinquante-douze, cette fille. Sans compter les tâches de rousseur qui constellent discrètement son nez et ses pommettes au moindre rayon de soleil. Oui, je sais, c’est pas le genre de chose que remarque le commun des mortels, mais quand on est né avec un fusain entre les doigts, le don d’observation est sensiblement différent. Il n’empêche que toute mignonne qu’elle soit, lorsqu’elle prend une grosse voix et se pointe dans mon dos, son physique, totalement absent de mon champ de vision, ne joue pas vraiment en sa faveur. Du coup, collision avec le sol évitée de justesse. « Ca n’aurait rien empêché, Candy... J’suis sur le qui vive depuis ma naissance, limite j’ai agressé ma mère au sortir de son utérus parce qu’elle gueulait un peu trop fort, et que ça m’a surprit. » oui, bon, non, quand même pas, mais disons que mon éducation et d’autres événements plus ou moins récent mon apprit à réagir vite et en silence. Tu frappes d’abord, tu causes ensuite. C’est un peu l’apprentissage que j’ai reçu. Et parfois même, l’option “tu causes” est facultative, très facultative. Alors, si elle s’attendait à m’entendre pousser un hurlement... Non. Seulement si la personne en face est déjà entrain de gueuler, en fait, à la Nora, quoi. En attendant, histoire de sauver mes couilles d’un éventuel complot castrateur, je deale des dragibus. MES dragibus, puisque je les sors de ma planque perso. Et après me les avoir arraché des mains, voilà qu’elle semble m’accuser de manque de fairplay en planquant mes provisions. « Pas du tout, ce sont des prises de guerre. Butin personnel, après des mois de siège du cellier. J’en avais marre de me taper des endives crues à chaque fois que j’avais un petit creux... » parce que moi, j’suis raisonnable avec mon paquet, mais les autres, en en planquant cinq ou six, ils pillent le cellier en deux heures, et ne restent plus que quelques endives abandonnées sur le champ de bataille. « Hop, hop hop ! » je l’interromps en récupérant le paquet de ses mains. « On partage. J’prends les noirs et les rouges, et toi tu prends le reste. » Oui, oui, oui, et ne me regarde pas comme ça, maraude. « Mon paquet, mes règles. » j’annonce en reculant de plusieurs pas. « Ferme la porte, j’ai du coca frais aussi, y a moyen de se faire une orgie de bonbec en toute discrétion. » A y est, j’ai neuf ans à mon tour, et c’est aussi excité qu’un jeune chiot remuant la queue, que je récupère le pack de six canettes de ma deuxième planque, et que je le lève fièrement en entamant une petite danse de la victoire. Faut pas m’en tenir rigueur, je ne sais pas danser du tout, alors si je donne l’impression d’être pris de convulsions, c’est normal.

J’sais pas pourquoi, mais je la sens très peu réceptive à mon excuse des endives, et sa manière de prendre la défense des pilleurs de cellier me porte à croire qu’elle en fait partie, voir même qu’elle est la tête pensante de tout le réseau. Je fronce un sourcil, histoire de lui faire comprendre que je ne suis pas dupe, mais moi je suis un franc tireur, je ne compte pas rejoindre sa mafia et devoir obéir à des ordres quelconques. Non, j’suis un solitaire, je décide moi-même des quantités, de la fréquence d’ingurgitation, et des lieux de stockage. « Super gentil. » je répète, la voix vibrante de sarcasme, avant de récupérer le paquet qu’elle a en main, et lui expliquer les règles du jeu, les règles de MON jeu. Je lui demande ensuite d’aller fermer la porte, histoire qu’on puisse profiter en toute discrétion, et j’avoue être presque surpris de constater qu’elle répond favorablement à ma demande. Je m’attendais presque à ce qu’elle me brandisse un majeur et m’invite à le faire moi-même. C’est qu’elle est teigneuse lorsqu’elle s’y met. Enfin la teigneuse mignonne, celle qu’on a envie de soumettre en lui titillant les côtes, et non pas en l’encastrant dans le mur. Je profite de son quart de seconde d’inattention pour extraire le pack de six -du coca, du vrai, le rouge et or, l’authentique, le spécial obèses- et m’en revenir vers elle en ondulant des hanches. Vu de l’extérieur ça doit donner un truc comme Forest Gump sans ses prothèses, mais dans ma tête j’suis le John Travolta du jeudi aprem’ ! Et c’est là qu’elle décide, tout naturellement, de me casser mon trip en une phrase, une dizaine de mots et un point d’interrogation. « Et t'as d'autres trucs planqués ou t'as seulement réussi à te choper un maudit paquet de bonbons et un peu de boisson ? » qu’elle me lance, l’air de rien, ses mots s’insinuant efficacement en moi pour venir gratouiller mon égo. « Ouh, quelle est mauvaise ! » je lui rétorque, un grand sourire aux lèvres, avant de claquer le pack sur la table mis à disposition dans la cave. « Tu ne crois quand même pas que je vais te révéler tout mes petits secrets au second rendez-vous ? Faut que je te présente à ma mère avant de passer aux choses sérieuses comme la cartographie exacte de toutes mes plankàbouf... » j’annonce, en posant mes fesses sur l’un des sièges. « Ça s’écrit comme ça se prononce. » Plankàbouf. Enfin, j’suis pas certain qu’elle se posait la question, mais bon. « Tu comptes bouder devant mon incroyable talent pour le vol, le recel et la planque encore longtemps, ou bien tu vas venir poser tes fesses et déguster quelques bonbec en ma si charmante compagnie, Calamity Lee ? » Non, parce qu’en attendant, moi, j’ai ouvert le paquet de dragibus, et je m’occupe à répartir les rouges et les noirs dans deux tas à part égale. Oui, je sais, j’suis trop gentil comme mec. Il paraît que ça me perdra.

Voir une irlandaise têtue et bornée, obéir et s’assoir en face de vous sur simple convocation, ça n’a pas de prix... Bon pour tout le reste y a eurocard mastercard, tout le monde connait la suite. En attendant, ça a beau être plus pour les bonbons que pour moi, ça n’empêche pas un sourire triomphant de se placarder sur ma tronche, tandis que je poursuis mon tri équitable. Un rouge, un noir, un rouge, un noir, un rouge, un noir, et ainsi de suite, dans deux tas parfaitement équilibrés. Parce que oui, j’suis comme ça, moi, j’ai beau n’aimer que les rouges et les noirs, je partage mon butin avec elle. Sinon ça n’a pas de sens ! Un paquet de dragibus sans noir, ni rouge, c’est comme un dimanche matin sans grasse mat’ : bien trop douloureusement intolérable. Elle tente bien de me faire ravaler mon sourire en prétendant que son obéissance n’a rien à voir avec mon incroyable talent ou ma charmante compagnie, mais qu’elle n’est là que parce qu’elle a faim, mais tout ceci reste sans effet sur mes lèvres qui refusent de s’abaisser. « Toutàfé -toujours comme ça se prononce- parce que c’est bien connu que les dragibus sont tellement nourrissants qu’on en envoi par cargot entier aux petits somaliens. » j’approuve en hochant la tête vigoureusement, ce foutu sourire toujours au coin de mes lèvres. C’est agaçant, n’est-ce pas ? C’est pas la faim qui l’a conservé à mes côtés, c’est la gourmandise dont elle fait preuve en lorgnant sur mes deux petits valons de bonbec, sans parler de la canette de coca que je fais glisser jusqu’à elle pendant un pause dans mon comptage. « T’es limite flippante quand tu t’y mets... J’aimerais pas être coincé avec toi dans un bunker sans provision, tu finirait par mater ma cuisse avec ce même regard que tu as là, et j’suis pas certain d’apprécier la suite. » et pour toute réponse, j’obtiens un « Tarzan. » sortit de je ne sais trop où. Je l’observe avec un semblant d’inquiétude, remballant mon sourire pour la première fois, avant de rétorquer à mon tour « Jane ? » sait-on jamais, des fois qu’on soit entrain de jouer au jeu des couples célèbres, je ne voudrais pas paraître plus demeuré que je ne le suis, et manquer une activité connue de tous et ignorée de moi. Mais visiblement, ça doit pas être ça, puisqu’elle n’enchaine pas, et se contente de me rétorquer un truc à propos des dragibus jaunes... Comment ça, je suis nul ? J’hésite entre deux options, soit, sournoisement, elle tente de faire naître l’envie en moi en prétendant que les jaunes sont bons pour que je veuille les jaunes et lui lâche la totalité des rouges et/ou des noirs, soit... bah soit, tout simplement, elle n’a pas de goût. Dans un cas, comme dans l’autre, autant jouer au con, hein. « Bah justement, je voulais aborder le sujet très délicat des jaunes qui, comme chacun le sait, sont le top du top des dragibus, plus tard, histoire de ne pas partir en conflit dès les prémices de notre relation... » j’suis crédible ou pas ? « Donc, je veux bien te faire don de l’intégralité des jaunes, parce que j’suis comme ça, bon prince, grand seigneur, tout ça, en échange de la moitié de tes rouges et noirs, histoire de rétablir l’équilibre. Et comme j’suis méga généreux, je t’offre aussi les bleus, mais je prends les roses... » Elle n’a pas suivi mon tour de pass-pass ? Normal, c’est le but. D’autant que tout en parlant, mes gestes ont suivit, la moitié des rouges et des noirs de Laoise, rejoignant mon tas à moi, les jaunes se mêlant à la moitié restante, bientôt rejoint par les bleus, tandis qui les roses finissaient dans mon propre tas. Reste encore les verts et les oranges qui, clairement, ne servent à rien et que, limite, on pourra aller filer aux cygnes en plastoc du lac. « Au fait, j’ai appris quelques trucs en gaélique, tu vas être fière de moi. » j’annonce en rangeant le sachet vert et orange dans un coin, pour plus tard. « Faigh bás ! » je lui lance, fièrement, avant de lever ma canette de coca dans sa direction, en beuglant : « Sláinte ! » Alors, j’suis bon ou pas ?

J’sais pas trop ce que je viens de lui dire, mais ça n’a pas l’air d’obtenir l’effet escompté. Je voulais qu’elle soit fière de moi, et en lieu et place elle me tape une tête de constipée. C’est quoi le problème ? Je l’ai mal dit, c’est ça ? Ou bien je l’ai tellement bien dit qu’elle en reste coite ? Allez, j’vais pencher pour la deuxième option, celle qui me convient le mieux, et me dire que je suis un putain de bogoss de la langue gaélique. Je maîtrise à mort, et là, tout le monde est entrain de prendre conscience de mon incroyable, incomparable don pour les langues ! J’pourrais peut-être trouver un job de traducteur pour l’ONU à ma sortie, si ça se trouve ? Non, mais c’est super utile, important et bien payé comme job, parce qu’imaginez les ravages que peuvent faire des erreurs de traduction en pleine réunion majeur ? Une négation mal placée et c’est la Russie qui canarde les USA... Alors qu’avec moi, le problème ne se pose pas, puisqu’en une semaine d’apprentissage, je maîtrise déjà à mort la langue. « Hm... tu l'as appris où, ce vocabulaire ? » Voilà ! Même elle s’interroge sur mes dons, haha ! Là, j’suis juste trop fier, mais je tâche de ne pas trop le montrer, histoire de ne pas passer pour prétentieux, ce que je ne suis pas. « J’ai fait ça tout seul ! » je ne parviens à m’empêcher de beugler comme un gamin présentant une collier de nouilles à sa mère. Moche, le collier, hein. Je m’attends à ce qu’elle m’applaudisse, se fende d’une révérence, ou ne serait-ce que d’un clin d’oeil complice et admiratif... Mais je ne m’attends pas à ce qu’elle m’accuse d’en vouloir à sa vie. Je fronce les sourcils, remballant mon sourire, pas sûr de bien comprendre, là... Pourquoi je voudrais sa peau ? Haaaaaaa ! Parce que je m’en sors bien sans elle et que du coup elle se retrouve au chômage forcé ?! « Mais non, t’inquiète, je me suis aidé d’un bouquin, j’ai vraiment appris tout ça tout seul, j’avais un support... Et puis, j’suis doué, c’est tout, j’suis un genre d’exception, mais les autres auront toujours besoin de gens comme toi pour leur apprendre. T’inquiètes pas. » Comment ça, dialogue de sourds ? Pas du tout, on se comprend parfaitement. D’ailleurs, pour lui remonter le moral, je lui tends sa canette de coca, et lui lance un “santé” en gaélique, parce que maintenant que je maîtrise, je m’y donne à fond. Sauf qu’au lieu de retrouver le sourire, elle bloque, son regard passant d’un tas de bonbons à l’autre, avant de repasser au premier, et ainsi de suite. Je retiens ma respiration, espérant que ça passera, qu’elle n’y verra que du feu, ou qu’elle fera semblant et ne relèvera pas, sinon j’vais devoir faire preuve d’un don que je n’ai pas : la persuasion. Attention, la pression est à son comble, les suspens n’en finit plus, et... Verdict ? « Et tu m'as totalement entubée pour les dragibus ! » Et merdeuh ! Frottage de nuque, petit sourire gêné. Comment on fait, là ? « Mais pas du tout ! Comptes, tu verras ! » je l’invite en poussant son tas vers elle, d’une main, tandis que l’autre s’applique à récupérer, discrètement, quelques dragibus de mon propre tas, afin de mes les fourrer dans la bouche. « Chai toutalment échilibré. » j’insiste, les mâchoires collées entre elles pour cause de surdose de bonbec... Ouai, super discret, y a pas à dire. Allez, j’tente un sourire noir et rouge, ça passe mieux comme ça ? J’suis qu’un sale môme, faut pas m’en vouloir.