Plusieurs minutes, voir même plus d’une heure se sont écoulées depuis que je me suis installée à l’orée de la plaine, mon dos reposant sur le tronc d’un arbre probablement centenaire, pour ce que j’en sais. Ce n’est en rien des petits arbustes dans le coin, mais plutôt des végétaux des plus robustes, solides, pointant fièrement vers le ciel. La nature a repris une bonne partie de son territoire, par ici, et j’apprécie que la région soit relativement sauvage, quoiqu’apprivoisable, si on y fait bien attention. Depuis mon arrivée, je n’ai d’ailleurs pas détruit un seul de ces êtres majestueux, au contraire de mes camarades. Je respecte trop la forêt pour ça. Je n’ai cueilli que des branches mortes ou cassées qui pourrissaient à même le sol. La foudre ayant frappé à certains endroits, je suis même parvenue à trouver un tronc d’arbre de bonne taille, sur lequel je pourrais travailler pour confectionner un banc supplémentaire, question d’agrémenter notre table plutôt bancale. Je m’y affaire justement, ayant réussi à traîner le lourd morceau de bois jusqu’à ma petite installation temporaire. Heureusement que la production a songé à nous fournir de petite machette pour ce genre d’activité. Je ne suis pas un castor, moi, je n’ai pas la capacité de ronger de mes dents ce bois pour en faire quelque chose d’utile. D’ailleurs, elles doivent me remercier, celle-là, de ne pas avoir songé à cette drastique solution. Désespérée jusqu’à un certain point, mais pas complètement folle non plus. Ainsi donc, voilà un petit moment que je tâche de transformer ma trouvaille en chaise d’occasion, et même si je ne progresse pas aussi rapidement que je le désirerais, je suis tout de même fière du résultat obtenu jusqu’à présent. On pourrait surement faire mieux, mais faute d’outil de précision, je m’en contenterais. Une demoiselle qui passait par là me scrute un moment. Je l’invite d’un signe de la main à s’approcher. « Je devrais en avoir terminé avec ce truc d’ici la fin de la journée. Tu en penses quoi? » que je lui demande, en quête d’un avis quelconque, positif ou négatif, qu’importe. Je voulais seulement son attention, et je l’ai visiblement gagnée.

Tous les matins - enfin, depuis deux jours -, Kira s'amuse à faire le tour du domaine. Déjà, parce que ça lui fait prendre l'air. Oui, tout à fait, elle vit dans une tente mais elle a besoin de s'aérer l'esprit. Et puis, la plaine ou le lac, ce n'est pas comme la forêt. Elle les préfère d'ailleurs, si elle avait pu bouger sa tente elle l'aurait fait à coup sûr. Et aussi, il y a toujours cette possibilité que la production s'amuse à s'introduire ici la nuit pour changer quelques éléments, ou même en rajouter. Non, elle n'est pas du tout paranoïaque Kira, elle a juste de l'imagination. C'est pour le bien de tous ses camarades qu'elle fait ça, c'est elle qui vérifie chaque matin si tout est bien à sa place. Ils la remercieront un jour, elle en est certaine. Dans son parcours quotidien, la brune finit par boucler la boucle en passant par la plaine avant de regagner le campement. Mais cette fois-ci, il se trouve qu'elle n'est pas seule. Rien d'étonnant, ils sont presque quarante à tourner en rond dans ces fameuses abysses. Kira s'arrête dans son élan en repérant une blonde au loin, assise contre un arbre. Rien d'extraordinaire jusque là, sauf que la jeune femme en question n'est pas juste assise contre un arbre. Non, elle semble bien occupée à confectionner ce qui ressemble à un meuble. En tout cas, c'est ce qu'elle imagine de là où elle se tient. Elle ne s'en rend pas compte, mais Kira ressemble à une grosse perverse, à observer la blonde de loin. Ce qu'elle n'est pas du tout, oh non. Heureusement, la jeune femme en question finit par la repérer et lui fait signe de s'approcher - c'est qu'elle ne doit pas avoir remarqué qu'elle est là depuis un bout de temps, la gamine. Ou alors elle n'est pas du tout effrayée par la brune - ce qui en fait, est bien plus probable. « Je suis pas sûre d'être la personne idéale pour donner mon avis » elle lâche timidement après être enfin arrivée à la hauteur de la blonde. « Je serais incapable de faire ça. » elle ajoute en passant une main dans ses cheveux. Kira, elle ne sait rien faire de ses dix doigts. Il faut dire qu'on ne lui a jamais rien appris de très manuel, elle a toujours eu la tête plongée dans les bouquins et ce n'est certainement pas quelques pages de bricolage ou que sais-je qui peuvent lui apprendre à passer de la théorie à la pratique. « Mais ça a l'air bien. » elle conclut dans un sourire, cherchant à rassurer la jeune femme sur son travail. En tout cas, pour elle c'est bien. Elle se met à penser que si Cupidon étudie ses potentiels candidats sur ce genre de critères, elle est mal barrée en fait. Peut-être qu'elle demandera à la blonde de lui apprendre deux trois trucs, histoire de ne pas avoir l'air trop cruche dimanche prochain. « T'es quelqu'un de manuel ? » elle demande un peu bêtement, pour engager la conversation. Ça semblerait logique qu'elle le soit, mais peut-être qu'elle s'est juste découvert un talent caché pour la création de meubles dans des troncs.

Mon instinct me fit vite comprendre que l’on m’observait, mais afin d’éviter toute blessure dans un environnement aussi malsain que celui-ci – du moins, pour les soins, qui seraient alors très précaires, je gardais l’œil sur mon travail, attendant d’avoir terminé de peaufiner ce point précis sur lequel je bossais depuis quelques instants.  Il me fallut quelques secondes supplémentaires pour y parvenir, et soufflant la poussière sur mon visage, je déposais le couteau tranchant sur le sol à mes côtés, le gardant à portée de vue. Ce serait bête que j’en perde la trace, nous avions si peu de possession dans ces abysses que la moindre petite chose s’avérait utile. Surtout celle-ci. Relevant la tête et jaugeant la jeune femme qui me scrutait depuis belle lurette, je l’invitais à s’approcher, question de juger de l’avancé de ma besogne. D’office, elle m’annonce ne pas être la personne idéale pour cette tâche. J’en conviens, mais je ne cherche pas l’avis d’un professionnel en la question. À moins qu’il y en ait un parmi les potentiels candidats, qui sait. Elle continue sur sa lancée, mentionnant être inapte à faire de même. « Tout le monde peut y parvenir, suffit d’un peu de pratique. » Mes origines et la famille dans laquelle j’avais grandi ne me prédisposaient pas à être apte aux travaux manuels. C’est par pur intérêt, une fois l’âge adulte atteint, que j’avais décidé de m’y consacrer. Un passe-temps comme un autre, là où certains auraient choisi la peinture ou le vélo, moi j’avais décidé de façonner le bois. Je lui offris un large sourire quand elle se permet un petit commentaire sur mon "oeuvre", en profitant pour replacer une mèche rebelle de mes cheveux derrière mon oreille. « Merci. Tu peux l’essayer si tu veux. Ça me permettra de faire quelques ajustements. » lui proposais-je. Autant qu’elle soit utile, maintenant qu’elle se trouvait à porter. La base pourrait surement être arrondie davantage pour épouser la forme du postérieur, et il était surement possible d’augmenter la stabilité de l’ensemble, vu que cela me semblait encore un peu précaire. « Assez, oui. » répondit-elle à la jeune femme, quand elle la questionna sur son talent. « Enfin, c’est relatif. Disons que je me débrouille quand j’ai les bons outils en main. » Ce qui n’était pas entièrement le cas ici présent.  « Au fait, je m’appelle Simone. Et toi? » Il me semblait ne pas connaître l’identité de mon interlocutrice.