W/ ELLIOT

L’excitation du prime peinait à redescendre et je me sentais encore sur un petit nuage –l’alcool aidant, sûrement- si bien que je ne parvenais pas à trouver le sommeil. Il faut aussi bien admettre que je n’étais pas habituée à avoir de la compagnie au sein même de mon lit (mis à part mon chien, qui tenait plus de la grosse peluche vivante que de l’être humain, faut quand même pas se leurrer) et la présence de ma partenaire me déstabilisait un peu. Je m’y habituerais sans doute, avec le temps, mais pour une première nuit, ce n’était pas évident. Le fait de me trouver dans un lieu nouveau me perturbait aussi un peu. Si j’étais fière de mes capacités d’adaptation, il me fallait bien reconnaître qu’elles ne me permettaient pas non plus de m’acclimater immédiatement à un nouvel endroit, et je savais d’ores et déjà que je ne parviendrai pas à dormir la première nuit. Mon cerveau avait cet espèce de système de sécurité un peu absurde qui m’en empêchait. Tant qu’il n’était pas encore tout à fait sûr que je ne courrais aucun danger d’un quelconque type, il me serait impossible de passer en mode veille. Alors, les sens en alerte, je gardais les yeux grands ouverts dans mon lit, ressassant encore et encore tous les évènements de la soirée. Je n’en revenais toujours pas.

Je me tourne et me retourne dans mon lit, me sentant définitivement trop agitée pour rester allongée. Il me vient soudain à l’esprit que je risque de gêner ma partenaire si je continue, aussi je décide de me lever et d’aller voir ailleurs si j’y suis. Tout en douceur et en lenteur calculée, je m’extirpe des draps et quitte la chambre à petits pas feutrés, veillant bien à ne réveiller personne d’autre. Je m’empare de ma vaste au passage, sans juger bon de la revêtir une fois à l’extérieur. Il fait bien plus frais qu’au moment où on s’est couché (j’imagine que cela doit être typique du climat de la région) et c’est agréablement vivifiant. Mes pieds nus glissent sur le roulis de graviers tandis que je m’approche de la balancelle pour m’y installer. Je serre ma veste contre moi, me délectant de l’atmosphère nocturne. J’aime particulièrement le goût que l’air peut avoir, ici, et ce village me plaît déjà. J’étais, finalement, plus ou moins dans mon élément – qui l’eut cru ? Machinalement, j’extrais de la poche de ma veste une boîte d’allumettes que j’avais chapardée en cuisine avant d’aller me coucher, et commence à jouer avec son contenu.

J'ai le sang qui bouillonne.
Je ne trouve pas le sommeil. J'ai beau me retourner dans tous les sens, rien n'y fait. Je ne peux pas dormir, fuck. Le décalage horaire y est pour beaucoup dans cette histoire. C'est le matin de l'autre côté de l'Atlantique et je n'arrive pas à dormir alors que j'ai besoin de récupéré. Le vol a été épuisant. Je n'aime pas les avions, je préfère la voiture. L'avion est plus pratique néanmoins. J'ai la tête qui tourne. Je n'aurai pas du enchaîner les verres de whisky. Résultat : je suis encore plus excitée que d'habitude. Avec le mal à l'aise et l'ambiance environnante, je buvais pour évacuer l'angoisse. J'ai envie de bouger, de me dégourdir les jambes. J'en oublie presque qu'une autre personne dormait juste à côté de moi. Je me retourne et dévisage son dos, en espérant que je ne l'ai pas réveillé. J'esquisse un mouvement vers elle et me ravise à la dernière seconde. Je ne veux pas la déranger. Exaspérée, je soupire. Mon corps prends une nouvelle position. Celle du foetus, celle qui me rassure d'habitude. Et que dalle putain. Mes yeux sont encore ouverts. Ça m'agace. Je sens que demain, le réveil va être dur. Je vais être imbuvable, chiante et un tantinet soupe au lait. J'entends des bruissements de draps. Je me fige, les oreilles à l'affût. Je ferme les paupières un instant. Des petits pas se dirigent vers la sortie. J'ouvre les yeux et me retourne à nouveau. Dagga n'est plus là. Je suis de nature angoissée. Je ne peux m'empêcher de m'inquiéter de tout et de rien. J'ai cette fâcheuse manie de m'imaginer des films. Des films parfois borderline, parfois surréalistes. Je m'extirpe des draps à mon tour. Je ne porte qu'un mini-short et un t-shirt ample. Tellement ample qu'on voit une de mes épaules. Je saisis mon paquet de clopes. Je sors. Elle s'est assise dehors. Je reconnais sa silhouette dans la pénombre. La clope au bec, je m'approche. Je m'assois à côté d'elle. En silence, je l'observe tenant une boîte d'allumettes. Je crois que j'ai oublié mon briquet dans la chambre. La flemme d'aller le chercher. Je lui prends la boîte des mains. - Je te l'emprunte trois secondes. Je te le rends après. Je lui souris. J'allume ma cigarette en vitesse, de peur que le vent éteigne le feu. Avec ma main, je le protège contre la brise nocturne. Je lui rends la boîte. - Merci. Je la regarde et lui demande d'une voix rauque et éraillée : - Ça ne te dérange pas si je fume ? Je passe une main dans mes cheveux. J'oublie très vite mes manières.

Je craque les allumettes les unes après les autres, et à chaque étincelle je retrouve le même plaisir enfantin que celui que j’avais en découvrant la précédente. J’ai vaguement conscience que jouer avec le feu est ici du gâchis, mais je me plaisais trop souvent à pousser ce genre de raisonnement jusqu’à l’absurde, si bien que j’en venais à penser qu’à l’échelle de notre humanité tous nos existences étaient du gâchis, complètement vides d’intérêt, et ça me déculpabilisait. Ça marchait pour tout. Quand on pense à quelque chose jusqu’à lui ôter le moindre sens, tout devient plus simple. On évacue les conséquences, les risques, tous ces trucs si naïfs qui gravitent autour de notre conception simpliste de la vie. J’imposais à cette façon de voir les choses mes limites personnelles. Par exemple, je ne prenais pas la liberté de jeter les allumettes usées par terre – ça m’aurait gênée, de les savoir là. Je les entassais près de moi, dans l’idée d’aller les jeter plus tard. Ce que je veux dire, c’est que je ne me fiche pas de tout. Bien au contraire.

Une silhouette se dresse au loin, le mouvement attire mon regard et je dévisage ma partenaire en silence, tandis qu’elle se dirige vers moi. Je ne fais pas mine de dire un mot, et me borne à afficher un air bienveillant, qui me vient naturellement. Elle prend place à mes côtés, et je continue mon petit manège. Elle me prend la boîte des mains et, surprise, je la dévisage comme un enfant à qui on vient de confisquer son jouet, avant d’esquisser un sourire quand elle m’assure qu’elle me le rendra. « Ok. » je souffle, pas difficile. Je secoue la tête en signe de dénégation ensuite en guise de réponse, et puis j’ajoute : « Non, pas le moins du monde. J’aime assez l’odeur, en fait. » Je ne fume pas et n’ai jamais fumé – ça ne me tente pas. Je n’ai jamais compris pourquoi autant de gens fumaient ; ça m’échappe, comme beaucoup de choses. « Je ne t’ai pas réveillée, au moins ? » je m’enquiers, craignant soudain de l’avoir dérangée. « Je suis désolée, d’ailleurs. De bouger autant dans le lit. Tu aurais sans doute préféré avoir une partenaire un peu moins… remuante ? » Un sourire équivoque s’empare de mes lèvres, et je craque une nouvelle allumette.

Première nuit dans le Nid d'amour. Je me sens déjà complètement dépaysé. Voire un peu désabusée. C'est sans doute l'épuisement. Je n'ai pas dormi les derniers vingt-quatre heures. Je sens que je vais encore me taper une nuit blanche. Dans l'avion, je n'ai pas réussi à dormir à cause des mômes qui chialent et des ronflements. C'est la dernière fois que je prends l'avion. J'ai suivi des traces qui m'ont menés vers ma partenaire. La belle Dagga, assise sur la balancelle en train de jouer avec des allumettes. Une curieuse façon de se divertir. J'en reste tout de même hypnotisé. J'observe ses expressions enfantines. Elle est comme émerveillée par la flamme dansante sous ses prunelles. Je souris. Je hausse les épaules et m'avance vers elle d'un pas décidé. Je prends place à ses côtés. Je lui emprunte quelques instants sa boîte à allumettes. Je la regarde de nouveau. Elle affiche une expression qui me désarme un peu. Celle d'un enfant à qui on chapardait son jouet. - Ok. Je la lui rends très vite pour qu'elle cesse de tirer une telle tronche. Je n'ai jamais mon appareil photo au bon moment. L'expression qu'elle avait était touchante. Je porte ma clope à mes lèvres et lui demande avant de la déguster si ça la gênait que je fume. - Non, pas le moins du monde. J’aime assez l’odeur, en fait. Par précaution, je m'écarte un peu d'elle. Je n'ai pas envie de contaminer ses poumons avec cette saleté de nicotine. Je ne veux pas que ses vêtements empestent non plus, mais apparemment ça ne la gène pas. Tant mieux, je dirai. J'inhale la fumée, je m'en abreuve. Mon corps se détend sous l'effet du tabac. - Je ne t’ai pas réveillée, au moins ? Je bouge de la tête de gauche à droite pour lui signaler que non. Elle ne m'aurait pas empêché de dormir. En général, je dors comme une vraie marmotte. J'ai le sommeil très, très profond. Pour me réveiller, un sot d'eau et le tour est joué. Par contre, il faut s'attendre à des représailles. Le sommeil est un luxe que je ne peux m'offrir quand je reste éveillée pour boucler un article de six cent mots. - Je suis désolée, d’ailleurs. De bouger autant dans le lit. Tu aurais sans doute préféré avoir une partenaire un peu moins… remuante ? Je lui souris. - Non, je ne voudrai changer de partenaire pour rien au monde. Normalement, c'est moi qui devrait dire ça. Je suis une vraie pile électrique quand je m'y mets. Profitons de nos insomnies respectives pour apprendre à nous connaître mieux. L'idée ne me paraît pas trop mal pour l'instant. Comme je ne risque pas de dormir avant longtemps, il faut bien combler le manque de sommeil en papotant un peu. - Si tu devais te résumer en un adjectif, ce serait quoi ? Surtout que nous allions être inséparables à partir de maintenant. Je veux connaître mon alliée sous toutes les coutures.

C’est bon, je ne l’ai pas réveillée – ça me rassure. C’est la première nuit passée en sa compagnie, la première d’une longue liste de nuits je l’espère (ça sonne bizarre mais tant pis), et je ne voudrais pas que notre cohabitation démarre sur de mauvaises bases. « Tant mieux, je souffle. J’avais un peu peur d’être une mauvaise compagnonne de lit. Chez moi, j’ai remarqué que j’ai tendance à déchirer mes draps la nuit – je sais pas trop ce qui m’arrive quand je m’endors. Alors si jamais ma présence devient gênante, hésite pas à m’envoyer bouler. » C’est peut-être pas fin de ma part de lui dire ça – ça serait bête de lui faire peur – mais j’ai souvent du mal à interrompre le flot de paroles qui peut s’échapper de ma bouche parfois. C’est juste tellement agréable de formuler ses pensées à voix haute, sans trop réfléchir à l’impact qu’elles peuvent avoir, et s’il y a bien quelqu’un avec qui je peux me laisser aller, c’est Elliot, après tout. Je souris quand elle me dit qu’elle ne voudrait surtout pas changer de partenaire. Je suis vraiment contente de l’avoir – si ça avait été n’importe qui d’autre, je n’aurais probablement pas eu cette sensation d’avoir un pilier sur lequel m’appuyer, et je me sentais à l’aise avec Elliot alors qu’on se connaissait seulement depuis quelques heures. C’est plutôt rare, alors ça mérite d’être souligné. « Y’a pas à dire, on fait la paire. » je commente, quand elle ajoute qu’elle a ses moments de forte agitation elle aussi. Elle suggère ensuite qu’on fasse plus ample connaissance, ce qui me va complètement comme programme ; j’hoche vigoureusement de la tête pour en attester. « Ok. » La première question ne tarde pas. Un adjectif. Le premier qui me vient à l’esprit serait sauvage – mais je me dis que j’ai fini par me dompter, et que je ne le suis pas tant que ça. Le second, c’est nerveux. Je m’imagine souvent comme un étalon sauvage, prêt à s’enfuir au triple-galop en cas de danger, mais aussi capable de se cabrer et de passer à l’offensive à coups de sabots s’il se sent trop acculé. Mais là encore, il s’agit d’un trait de caractère sur lequel je travaille, j’essaye de me canaliser. Alors, finalement mon verdict se fait entendre : « Curieuse. » je finis par répondre, sûre de mon choix. « J’adore découvrir… Toutes sortes de choses. Apprendre. Comprendre. Tout. » Un sourire s’empare de mes lèvres : je n’ai pas l’impression d’être très claire. « J’aime découvrir les gens, les endroits, l’Histoire et… Non, vraiment, tout. » À mon tour de poser une question. « Si tu pouvais avoir un pouvoir… Un pouvoir ‘magique’ je veux dire. Ce serait lequel ? Et pourquoi ? »

Je ne sais pas si je parviendrai à dormir ce soir. Avec le décalage horaire, ça dérègle tout mon horloge interne. Tout se retrouve chambouler dans ma tête. Je suis encore excitée par la soirée qui vient de s'achever. Je suis dehors en train de fumer une clope à côté de ma partenaire. Elle n'arrivait pas à fermer l’œil non plus. Quand je l'ai entendu se lever, je l'ai suivi pour m'assurer de son bien être. Elle souffle un "Tant mieux" avant de continuer : - J’avais un peu peur d’être une mauvaise compagnonne de lit. Chez moi, j’ai remarqué que j’ai tendance à déchirer mes draps la nuit – je sais pas trop ce qui m’arrive quand je m’endors. Alors si jamais ma présence devient gênante, hésite pas à m’envoyer bouler. Je hausse un sourcil interrogateur. Elle déchire ses draps ? Dois-je m'attendre à être griffée dans mon sommeil ? Je ne vais pas la pousser du lit. Au pire, je dormirai ailleurs. Ou je la bloquerai pour qu'elle évite de gesticuler dans tous les sens. J'ai l'habitude. Chez moi, on dormait à trois dans le même lit avec mes soeurs. Dormir à côté de Dagga n'est rien à côté. J'acquiesce en tirant une autre latte. Ma cigarette se consume tandis que j'observe la candidate avec beaucoup intérêt. Je la rassure en lui disant que j'ai moi-même un sommeil agité. - Y’a pas à dire, on fait la paire. Je lui souris en hochant la tête. Oui, la Production a fait du bon boulot. Je veux apprendre à mieux la connaître. Non seulement parce qu'elle est ma partenaire. Elle m'intrigue également. Je commence par une question plutôt banale, mais qui a de l'importance à mes yeux. - Ok., dit-elle. Je la laisse réfléchir pendant que j'ai tout le temps pour la regarder en silence. Je la reluque. Elle est belle. Ses tâches de rousseur me fascinent. Je ne suis pas sûre qu'elle soit rousse, d'ailleurs. Je n'ose pas lui demander sans qu'elle trouve ça bizarre. Avec mon handicap, la couleur de ses cheveux semble plus claire. Elle a trouvé le fameux adjectif. C'est - Curieux. Elle explique : - J’adore découvrir… Toutes sortes de choses. Apprendre. Comprendre. Tout. J'aime ce genre du curiosité. Elle est ouverte d'esprit. Nous allons bien nous entendre puisque moi-même, j'ai tendance à être curieuse de tout. - J’aime découvrir les gens, les endroits, l’Histoire et… Non, vraiment, tout. Je souris. J'aime sa façon de pensée. C'est exactement ce que j'aurai dit. En tout cas, nous sommes sur la même longueur d'onde. - Si tu pouvais avoir un pouvoir… Un pouvoir ‘magique’ je veux dire. Ce serait lequel ? Et pourquoi ? Je réfléchis. Je reprend une bouffée de ma clope. Je passe la main dans mes cheveux. - Je dirai la téléportation parce que j'aimerai me téléporter n'importe où, n'importe quand. J'adore voyager. J'aimerai tout voir, découvrir les pays que je ne connais pas encore. Par exemple, un jour je serai à Tokyo. Et là minute d'après, j'atterris à Bangkok. Je ris. Ce pouvoir me serait très utile parce que mine de rien, l'essence ça coûte de cher. Je ne me déplace qu'en voiture la plupart du temps. - Si tu étais un reptile, tu serais quoi ? J'adore les reptiles. J'ai toujours rêvé d'avoir un lézard pour animal de compagnie, voire même un serpent.