LULU

Mains enfouies dans les poches de mon jeans, j’avance à travers le quartier Aubanel, jusqu’à atterrir dans un paysage un peu plus pitorresque. Parce que oui, c’est possible : les pavés casse-gueule et vieilles maisons abandonnées depuis des décennies cèdent la place à des touffes d’herbes de plus en plus récurrentes ainsi qu'à de la terre battue en guise de chemin. Je ne me démonte pas pour autant et continue mon ascension vers des paysages de plus en plus verdoyants. A un moment, je bifurque à droite et me retrouve plusieurs minutes plus tard sans trop comprendre comment face à une sorte de minuscule bâtisse plutôt sombre. Je tourne autour, intrigué, note la présence de vieilles tombes de style européen sur le côté et en déduis qu’il doit s’agir d’un mausolée. Sympathique. Je l’étudie de plus près et décrète qu’il est sacrément vieux, presque autant que les pierres tombales qui lui servent de voisines. Chez-moi, tout est aseptisé, jusqu’aux lieux où reposent les morts, en règle générale à base de cette croix blanche de circonstance qu’on retrouve dans tous les cimetières du pays, positionnées de manière parallèles les unes par rapport aux autres. Intrigué, je laisse mes doigts parcourir les murs extérieurs du caveau, non sans une certaine fascination, à mettre sur le compte de l’histoire. Je m’arrête lorsque j’arrive jusqu’à la porte et me plante face à celle-ci d’un air hésitant. J’y vais, j’y vais pas. J’y vais, j’y vais pas. Prenant mon courage à deux mains, je pose ma main sur la poignée optant finalement pour le j’y vais et après avoir pris une bouffée d’oxygène commence à l’abaisser lentement.

Le cimetière est un endroit étrange. C'est ici que reposent toutes les âmes égarées dans le temps, à la recherche de derniers mots auxquels se raccrocher. Parfois aux allures lugubres, ceux ci sont cependant toujours entretenus avec soin, comme pour pratiquer une sorte d'ultime respect pour le mort, l'être perdu. Mais comme c'est bien connu, après la vie, on crève. Aucune autre issue. Et une fois la mort survenue, je doute qu'il y ait un quelconque rappel. C'est une punition, la punition pour toutes nos erreurs comises, oui, les notres comme celles de nos descendants. Tout le monde meurt un jour, tout le monde pèche, c'est normal, c'est ainsi que chacun est défini, c'est ainsi que chacun grandit. J'ai au fil du temps appris à faire avec, maintenant, je n'ai plus peur de la mort. Cependant, les cimetières ont toujours eu un effet quelque peu néfaste sur ma personne, pouvant me glacer jusqu'au sang, oui, comme si je me sentais épié de toutes parts. Mais ça, c'est certainement du à mon côté paranoïaque encore bien trop présent. Alors, arpentant les rangées de tombes, croix et autres fleurs fanées, je me laissais prendre par ce décor enivrant que pouvait délivrer ces lieux. Jusqu'à ce que derrière moi -ça commençait à devenir une habitude- un bruit raisonne. Un bruit de porte. Machinalement, et comme n'importe qui, c'est ce moment que je choisis pour me retourner, lentement, très lentement. Un homme, grand, plutôt bien sculpté poussant une porte d'un des caveaux. « Si j'étais toi, je réfléchirais à deux fois avant de pénétrer là dedans. » ainsi je fourre mes mains dans mes poches avant de reprendre « Pas sûr que la personne qui repose ici apprécie les visites étrangères, Dieu sait qu'elle en a perdu l'habitude. » j'hausse un instant les épaules « Et tu sais comme moi que les vieilles âmes sont les plus fourbes. »

pousse tout doucement la porte, mais une voix vient m’arrêter dans mon élan, me faisant presque sursauter. « Si j'étais toi, je réfléchirais à deux fois avant de pénétrer là-dedans. » Je tourne la tête en direction du jeune homme qui s’avance dans ma direction. J’hausse mes sourcils avec un sourire, tout en répondant d’une demi voix : « Tu crois ? » Mes yeux viennent se reposer sur la porte, tout juste entrouverte, tandis que le nouveau venu poursuit. « Pas sûr que la personne qui repose ici apprécie les visites étrangères, Dieu sait qu'elle en a perdu l'habitude. Et tu sais comme moi que les vieilles âmes sont les plus fourbes. » Je prends très sérieusement quelques secondes pour réfléchir. « Je pense que tu te trompes. Si déjà d’une j’étais raide mort, ce qui est loin d’être amusant, et de deux j’étais condamné à passer le reste de l’éternité seul, je trouverais le temps très très long et ennuyeux. Les vieilles âmes ont-elles aussi le droit à de la compagnie, tu ne crois pas ? » Je conclue ma phrase en ouvrant théâtralement la porte grinçante du mausolée, attendant presque un acte divin. Rien, même pas une petite envolée sinistre de chauves-souris. Déception. Je fais une légère moue, avant de pénétrer dans le bâtiment, tout en m’adressant au garçon tatoué. « Tu te fais appeler Lulu, c’est ça ? Comment tu t’appels en vérité ? » je le questionne distraitement. J’espère ne pas me tromper et que ses parents ne l’ont pas réellement prénommé de la sorte parce que sa crédibilité dans la vie de tous les jours seraient sans doute encore plus mise à mal que la mienne. Je laisse mes yeux glisser sur les pierres tombales, essayant de décrypter des noms ou des dates. Je passe la tête à l’extérieur, arque un sourire et demande avec un sourire plein de défis : « Tu n’entres pas ? »

Un sourire enfantin, le genre de sourire que tout petit aventurier se voit dessiné sur son visage, apparait alors sur ses lèvres. « Tu crois ? » pour tout vous dire, je n'en savais trop rien. Mais cela me semblait plus que logique. « Je pense que tu te trompes. Si déjà d’une j’étais raide mort, ce qui est loin d’être amusant, et de deux j’étais condamné à passer le reste de l’éternité seul, je trouverais le temps très très long et ennuyeux. Les vieilles âmes ont-elles aussi le droit à de la compagnie, tu ne crois pas ? » j'haussais un instant les épaules à sa théorie « Pas si tu t'es habitué à ce calme, ce silence. » d'autant plus que ce village m'avait l'air clairement isolé, pour sûr que plus personne ne passait ici depuis longtemps. Mais après tout, il faisait ce qu'il souhaitait, et n'allais clairement pas l'empêcher de défier qui il voulait. Qu'il s'amuse à réveiller les morts si ça lui chante. « Tu te fais appeler Lulu, c’est ça ? Comment tu t’appels en vérité ? » il avait donc retenu mon pseudonyme ? Etrange. Le sien ne me disait pas grand chose, mais c'était très certainement parce que je ne me souciais pas réellement du sort de mes petits camarades. Je devais déjà me charger du mien, chose qui était plutôt compliquée lorsque le vent se levait. « Appelle moi simplement Lulu. » lâchais-je sur un ton neutre avant d'ajouter « Ou ne m'appelle pas. » ça m'ira également. Ne voyez dans ma voix aucun danger, aucune colère ni rebellion. Non, mon ton était neutre, totalement neutre. « Tu n’entres pas ? » dit-il après avoir fait quelques pas dans le caveau. Je le dévisage un instant, d'un regard interrogateur « Seulement si tu oses y aller entièrement nu, et à cloche pied. » et clairement, il n'oserait pas. Vraiment pas drôle ces candidats. Aucun sens du danger.

Il hausse ses épaules et pensent pouvoir réfuter ma théorie en avançant pour simple argument le plaisir d’un silence ambiant. J’exécute une légère moue hésitante, les yeux dans le vague. Pour ma part, j’ai toujours eu du mal avec les lieux absents du moindre bruit, ça avait l’affreuse tendance à me rendre nerveux. J’aime le bruit, la vivacité, ma charmante partenaire pourrait sûrement le confirmer en me maudissant de pas être un peu plus paisible. « Appelle moi simplement Lulu. Ou ne m'appelle pas. » répond le jeune homme à ma question, ce qui me fait légèrement plisser le front. Génial, je suis une nouvelle fois tombé sur un sarcastique. Son ton est dénué de tout sentiment et sans appel. Ca en serait presque frustrant, mais je n’abandonne pas et argue l’air de rien : « Donc il est exclu de te demander si tes parents sont de fervents admirateurs de Gainsbourg ? ». Je guète sa réaction, mais il faut avouer que je n’ai pas affaire à un garçon des plus loquaces. « J’aurais trop peur que les cloches pieds ne gâchent à jamais l’image que je renvoie à l’extérieur… » je réponds à la proposition qui est censé m’apporter un peu de compagnie dans le mausolée. Parce que non, je ne le ferais pas. Je retourne à l’intérieur du caveau et plisse les yeux pour essayer de décrypter les inscriptions gravées sur les tombes de la famille qui repose juste sous mon nez. « Ici repose Constance, la plus belle rose de mon jardin… » je lis phonétiquement les quelques mots en français qui se situent sous mes yeux, sourcils froncés. « Qu’est-ce que ça veut dire ? » je questionne le candidat, en élevant la voix pour qu’il puisse m’entendre d’où il se trouve.

Ouais non, clairement entrer là dedans ne me disait trop rien. Très certainement parce que je n'étais pas adepte des chasses aux trésors et que je préférais attendre et voir plutôt que participer. Alors oui, je laissais le jeune homme entrer dans le caveau sans même oser l'accompagner. Pas que j'avais peur... Enfin si, surtout de me salir. « Donc il est exclu de te demander si tes parents sont de fervents admirateurs de Gainsbourg ? » « Oh ils ont du l'être... » je réfléchis quelques instants avant d'ajouter « Enfin, certainement dans une autre vie. » ce qui en soit, était déjà pas mal, non ? En admettant que Gainsbourg ait existé également dans le passé... A méditer. « J’aurais trop peur que les cloches pieds ne gâchent à jamais l’image que je renvoie à l’extérieur… » finalement, un léger rire s'échappa de mes lèvres après avoir imaginé la scène, comique, mais plaisante. « Moi je pense qu'ils t'auraient surtout attiré les faveurs de ces dames. » Oui, parce qu'à en juger par la silhouette du jeune homme, il me semblait tout de même plutôt bien sculpté, comme la plupart des hommes de cette aventure de toute évidence. Et cela n'avait clairement rien de surprenant. Je le regarde alors s'engouffrer dans le noir, alors que mes lèvres tiraient sur une clope à moitié consumée. Bientôt, sa voix raisonne à nouveau « Ici repose Constance, la plus belle rose de mon jardin… » je plisse alors un instant les yeux « Qu’est-ce que ça veut dire ? » hum... relâchant un soupir enfumé, je reprends donc la parole, tout en projetant une hypothèse. « Certainement que le gars croyait toujours que les femmes naissait dans les roses, et les hommes dans les choux. A parier qu'on trouvera une allusion à ceux ci dans une des tombes d'à côté. » je parcoure alors un instant le cimetière des yeux « Tous des tordus ces jardiniers. »

Le jeune homme se met à rire, avant de rétorquer en ayant sûrement pas tout à fait tort : « Moi je pense qu'ils t'auraient surtout attiré les faveurs de ces dames. » J’hausse les épaules, avec modestie. J’ai beau ne faire quasiment jamais du sport, il est vrai que je n’ai rien d’un ginguelet, sûrement dû à tous les déchargements de camions auxquels je participe pour mon bar. Cela dit, les représentantes de la gente féminine n’en sont pas à se pâmer face à mon corps d’athlète. Je passe mon index sur les inscriptions, avant de le tourner vers mes yeux pour remarquer qu’il est recouvert d’une fine couche de poussière. « Certainement que le gars croyait toujours que les femmes naissait dans les roses, et les hommes dans les choux. A parier qu'on trouvera une allusion à ceux-ci dans une des tombes d'à côté. Tous des tordus ces jardiniers. » répondit-il à ma question. J’imagine que Lulu vient de faire un trait d’humour malgré son ton sans cesse neutre, mais étant incapable de comprendre la phrase originale de la tombe, j’ai dû mal à saisir les nuances de sa plaisanterie. J’esquisse tout de même un sourire, même si le garçon ne peut pas le voir, parce que c’est naturel chez-moi de me montrer poli en toutes circonstances. « Tu es définitivement décidé à ne pas mettre les pieds ici ? Je me sens un peu bête à parler à tue-tête… » je darde à son intention, tout en poursuivant mes analyses du lieu lugubre. « Si je fais juste tomber le haut, tu acceptes de me tenir compagnie ? Par ce froid, c’est une grande preuve de volonté. »

Aucune réponse de la part du jeune homme, j'en vins donc à penser que la mort avait eu raison de lui, et que l'âme errant entre les murs de ce caveau avait fini par se manifester, peut-être même allait-il ressortir en mode zombie dans quelques instants. Plus aucune chance de savoir de quoi il en retournait lorsqu'il s'agissait de la fameuse phrase. Ah et puis finalement, un bruit, un son, une voix. « Tu es définitivement décidé à ne pas mettre les pieds ici ? Je me sens un peu bête à parler à tue-tête… » un léger sourire se dessine sur mes lèvres, je le laisse cependant proposer ses arguments avant de reprendre la parole « Si je fais juste tomber le haut, tu acceptes de me tenir compagnie ? Par ce froid, c’est une grande preuve de volonté. » il est vrai qu'il était loin de faire chaud, et c'est pour cela que je trouvais l'idée du jeune homme à moitié nu plutôt amusante. Si bien que je ne tardais finalement pas à me faire entendre. « Si tu fais tomber le haut, ainsi que le bas, alors peut-être que l'on pourra négocier. » je marquais alors une légère pause en imaginant la moue déconfite du jeune homme, ce qui m'amusa d'autant plus. C'est qu'il avait vraiment l'air d'avoir envie de m'avoir à ses côtés, vous comprenez, alors autant me faire désirer un peu plus, non ? « Mais comme je suppose que tu n'auras pas le cran de le faire, je vais simplement me contenter d'attendre ici, qu'en dis-tu ? » oui, parce que je ne voyais clairement pas le candidat se retrouver en caleçon juste pour que je le suive dans ce caveau, ou alors, c'est qu'il était bien plus joueur que je ne l'aurais imaginé. Mais là encore, j'en doutais.

J’attends de voir si l’offrande de mon torse nu va faire l’affaire avec le jeune homme, mais manifestement ce n’est pas encore assez à en croire la réponse qui ne tarde pas à me parvenir jusqu’aux oreilles : « Si tu fais tomber le haut, ainsi que le bas, alors peut-être que l'on pourra négocier. » Je me mords la lèvre inférieur, prenant très sérieusement son offre en considération, mais l’image de ma personne se promenant les fesses à l’air au centre du caveau d’une vieille famille à quelque chose de très insolite, voir dérangeant. Pas sûr que les morts apprécient autant que les téléspectatrices, d’autant plus quand on connait les mœurs décents de l’époque. « Mais comme je suppose que tu n'auras pas le cran de le faire, je vais simplement me contenter d'attendre ici, qu'en dis-tu ? » ajoute-t-il en faisant vibrer la corde sensible de l’égo-masculin, censée pousser les idiots à accepter toutes sortes de défis, peu importe leurs conséquences comme récompenses. Je me dirige jusqu’au pas de la porte du mausolée et sors ma tête de l’embrasure de celle-ci pour m’adresser à Lulu : « T’as raison, j’ai pas le cran de le faire. » Je suis le type même du garçon ennuyeux, mes actes manquent en général d’un soupçon de scandale, mais ce n’est pas quelque chose que je déplore. Pas assez du moins pour me déshabiller avec ce que je juge de l’irrespect entre les tombes d’un couple de l’âge de mes arrières grands-parents. Imaginer l’esprit d’une vieille dame dans la même pièce que mon bazar dénudé mis à rude épreuve par la météo trop fraiche, me coupe tous mes moyens. Je me laisse glisser le long du coin du mur avant de m’asseoir adossé contre celui-ci, à la fois dehors et dedans.