Ce village était plutôt grand en fait, j’avais déjà visité quelques villages du sud de la France lors d’un passage assez court dans le pays – avant de monter en Belgique puis au Royaume-Uni et finalement partir pour l’Irlande – et il est vrai que certains village étaient tout de même un brin plus petit que celui-ci. L’explorer me prenait donc beaucoup de temps surtout que je m’arrêtais souvent pour discuter avec l’un ou l’autre des candidats. Cependant j’avais tout de même réussis à être libre en ce début d’après-midi pour découvrir le reste du village. Je m’enfonçais tellement dans la nature que je me demandais si je n’allais pas sortir du domaine réservé par la production pour notre village, mais ça c’était avant de me rappeler de l’eau entourant le village et de la remarque d’un des présentateurs sur les fils électrifiés. Charmant, n’est-ce pas ? Bref, je continuai donc mon chemin quand j’arrivai devant un immense bassin. Je n’avais certes pas fait beaucoup d’études mais il ne m’en fallait pas beaucoup plus pour comprendre que je me trouvais devant d’anciens thermes… Enfin ancien, ils étaient toujours utilisables. Je m’approche encore quand j’aperçois un homme déjà en train de profiter de l’eau. Je passe une main dans ma nuque. « Merde, j’avais pas prévu ça… » Fis-je en m’avançant. J’hésite, je me désape et je test les thermes où je me casse ? Et je demandais d’abord au candidat si je le dérangeais pas, avant de m’incruster. « Ca te dérange si je m’incruste ? » Ouais, ce sera pas en maillot de bain mais promis je me mettrai pas à poil non plus.

Les thermes. A croire que ce lieu m’est spécialement dédié. Après tout, sauf preuve du contraire, il me semble être le seul romain du nid, et la présence de ce vestige, oeuvre de mes aïeux, ne peut que me ravir. Surtout que les visites aux thermes sont un rituel dans mon pays. Depuis l’antiquité on s’adonne aux bienfaits avérés des bains. Aussi, dès que l’occasion se présente, je n’hésite guère plus qu’un instant. Hésitation née de l’absence totale de maillot ou de serviette. Ce n’était clairement pas au programme, je ne faisais qu’explorer les lieux. Après m’être contenté du village en lui-même au travers de cercles d’exploration de plus en plus étendus, c’est la périphérie que je m’attaquais aujourd’hui. Sauf que, face aux thermes, je n’ai su résister bien longtemps, m’offrant aux eaux tièdes sans une once de remord. Mes vêtements pliés rapidement et abandonnés sur la base d’une colonne brisée, mon caleçon se gonflant, se gorgeant de liquide, autant d’inconnues qui m’empêche de parfaitement maîtriser l’équation. Une situation que j’aurais détesté il y a quelques temps, mais à laquelle je m’abandonne avec une forme de délectation coupable. Je m’y glisse, je m’y enfonce, et bientôt me trouve accompagné d’une voix masculine dont l’exclamation me force à me retourner. « Merde, j’avais pas prévu ça… » Que n’avait-il pas prévu ? Ma présence ou bien les thermes en elles-mêmes ? « Ca te dérange si je m’incruste ? » me demande-t-il, finalement, m’informant que ma première idée était la bonne. Il ne s’attendait pas à moi. Personne ne s’attend jamais à moi. D’un geste ample je lui désigne le bassin en l’invitant à y entrer. « Si tu en viens à me déranger, alors je m'éclipserais. » Mais pour l’instant il n’en est rien, et le bassin est suffisamment grand pour qu’on ne se marche pas dessus. « Otello. » je me présente en inclinant légèrement la tête. J’imagine qu’il est important de joindre l’utile à l’agréable, et en profiter pour se “lier” un minimum.

« Si tu en viens à me déranger, alors je m'éclipserais. » dit-il après avoir désigné le bassin d’un geste ample. Ouais, j’hésite encore, ce que j’avais pas prévu c’est de me baigner : j’ai pas de serviette. Au pire tant pis j’y vais à l’arrache et on avisera bien, j’suis résistant je vais pas tomber malade parce que j’suis mouillé hein et puis l’idée de sécher au soleil en sortant ne me déplait pas non plus alors… Je retire mon t-shirt et mon pantalon que j’abandonne sur le bord avant d’entrer dans l’eau. « Bon dans ce cas, je ne vais pas me gêner… » Ca me fait un peu chier de le faire dégager si jamais je le dérange mais bon, tant pis. « Otello. » fit-il. « Jared. » Je réplique. Je donne mon prénom sans aucune fioritures ou figure de style, je laisse la rhétorique aux anciens, ceux qui ont baigné ici bien longtemps avant moi. « Ton prénom… C’est italien ? » Je demande, bon faut bien faire connaissance et comme je suis très porté sur les cultures étrangères…

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« Bon dans ce cas, je ne vais pas me gêner… » dit-il en se débarrassant rapidement de ses vêtements superflus. Il n’y a pas de raisons, en effet. Ma réponse n’était que d’ordre général, pour l’informé que lorsque je me sens dérangé, je n’oblige les autres à rien, c’est moi qui dispose. Mais je ne vois pas en quoi sa présence à lui pourrait m’incommoder, loin de là, puisque son approche fut polie et courtoise là où d’autres se seraient contentés de finir en bombe au milieu du bassin. Preuve de mon confort en sa présence, je me présente, et il en fait de même. Jared. Simple, court, je pense n’avoir aucun mal à le prononcer convenablement. Toutefois, je fais un essai à voix haute, relativement satisfaisant, avant qu’il ne m’interroge sur les origines se dissimulant mal derrière mon prénom. « Tout à fait. De Venise, si l’on en croit Shakespeare. Mais pour ma part je me contente de Rome. » Et mon accent, que pourtant je travaille depuis des années, atteste de ma nationalité. Quant à la sienne, je ne saurais dire. Il vient de l’île, oui, mais laquelle ? « Et toi ? Angleterre, Irlande, Ecosse ? » Qu’il soit l’un ou l’autre, il sera vexé que j’ai pu citer les deux autres, mais si je parviens à différencier l’accent américain de l’accent anglo-saxon, je ne parviens pas encore à faire la distinction entre Ecosse, Irlande et Angleterre. Alors, j’accompagne le tout d’un sourire avenant censé atténuer l’offense faite.

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En entrant dans le bassin – dont l’eau est agréablement tiède, d’ailleurs – je me présente au candidat qui répète alors mon prénom tout haut. J’imagine que ça doit être pour le retenir plus facilement ? J’en sais rien, certains ont besoin de parler pour retenir les choses, d’autres d’écrire et d’autres encore se contentent de lire. Je détestais l’école car je faisais partie de la deuxième catégories. Recopier mes cours n’a jamais été particulièrement amusant. Au vu de son prénom, j’en déduis qu’il a des origines latines et donc, je lui pose la question. « Tout à fait. De Venise, si l’on en croit Shakespeare. Mais pour ma part je me contente de Rome. » Il me faut quelques temps avant de percuter qu’Otello est un des personnages d’une pièce de Shakespeare. Je l’ai dis : j’étais nul à l’école. En ce qui concerne sa ville d’origine, je suis un tout petit peu envieux. J’aimerais totalement avoir eu la chance de vivre à Rome, la ville est surement magnifique et puis l’Italie me fait rêver. Qui ne fait-elle pas rêver, hein ? « Et toi ? Angleterre, Irlande, Ecosse ? » Je sors de mes pensées et pose mon regard sur le candidat. J’ai quitté depuis si longtemps mon pays d’origine que j’en ai perdu mon accent, dans un sens c’est peut être mieux ? Les gens ont tendance à ne pas aimer l’accent américain. Ils aiment tous la classe de l’accent britannique. « Amérique, en fait. Mais j’ai quitté le pays depuis des années pour voyager partout dans le monde. Avant l'émission, j'étais en Irlande. » Et ça ne fait qu’un an et demi que j’ai posé le pied au Royaume-Uni.

« Amérique, en fait. Mais j’ai quitté le pays depuis des années pour voyager partout dans le monde. Avant l'émission, j'étais en Irlande. » Raté ! J’en fronce les sourcils, peu habitué à me fourvoyer de la sorte. Certes, il vit en Irlande depuis quelques temps, mais à en croire son évocation des voyages, il n’y est pas depuis suffisamment longtemps pour en avoir prit l’accent. Alors, est-ce un mélange d’accents de partout dans le monde qui aura créé le sien ? Peut-être. « Des voyages subis ou consentis ? » je quémande précision, même si son âge laisse à penser qu’il n’aura fait que suivre ses parents. Néanmoins, je me suis trompé une fois, je peux tout à fait me méprendre une deuxième fois. La normalité des Hommes m’échappe encore. J’ai beau y être confronté depuis longtemps, maintenant, j’apprends encore de cette société dont les individus semblent à la fois si identiques et si différents. « Je suis allé plusieurs fois aux Etats Unis. » je lui apprends, alors, le bout de mes doigts décrivant des arcs de cercle sur la surface de l’eau. « Ca m’a dérangé. Tout semble si neuf, si récent... Il y a bien une âme, certes, mais elle est si jeune, si capricieuse, prompt à l’exaltation et à la dépression, comme une adolescente bipolaire. » Et ce que je viens de dire ne doit faire aucun sens dans son esprit. Aussi je m’en excuse d’un sourire. J’ai tendance à toujours trop offrir mes réflexions dont le commun des mortels se fout totalement, plutôt que de les garder pour moi. Peut être simplement parce qu’en les taisant, elles meurent, tandis que je voudrais qu’elles vivent. Peut être.

Lorsque le candidat me demande si je viens d’une des nations qui forment le Royaume-Uni, je lui réponds que non, je suis américain. J’ai l’impression qu’il est plutôt étonné, en même temps je le comprends j’ai pas vraiment l’accent américain mais ais-je l’accent britannique pour autant ? Ou irlandais ? Très franchement je n’en sais rien. Faudrait que quelqu’un me le dise, moi j’ai cette simple impression, un peu bête surement, de ne pas avoir d’accent du tout. « Des voyages subis ou consentis ? » demande-t-il alors. « Consentis. Je suis partis de chez moi plutôt jeune. » Je n’étais même pas majeur mais en Amérique les jeunes peuvent passer le permis à 16 ans et donc conduire à partir de cet âge là. Bien évidemment je n’ai pas été du genre à trainer pour avoir mon permis, c’est trop bon pour cracher dessus. « Je suis allé plusieurs fois aux Etats Unis. » ajoute-t-il, manifestement un peu perdu dans ses pensées. « Ca m’a dérangé. Tout semble si neuf, si récent... Il y a bien une âme, certes, mais elle est si jeune, si capricieuse, prompt à l’exaltation et à la dépression, comme une adolescente bipolaire. » Je fronce les sourcils un instant, ne comprenant qu’à moitié ce qu’il essayait de me dire. J’imagine qu’il compare à l’Europe et plus précisément à son pays, sa culture : l’Italie. Il est vrai que l’histoire de l’Amérique est bien moins ancienne que celle de l’Europe mais elle m’a toujours semblée être compliquée et impressionnante à la fois. Je n’ai aucune fierté particulière à dire que je suis américain mais j’aime tout de même mon pays, plus encore depuis que je n’y vis plus. « Ca m’a frappé dans le sens inverse quand je suis venu au Royaume-Uni, ce n’est pas le premier pays européen où je suis allé mais plus que la France ou la Belgique, le Royaume-Uni m’a semblé être incroyablement… vieux. » Tout semble ancien, les rues, les gens, leurs façons de parler, de s’habiller, cette espèce de dévotion, aussi, pour la famille royale. En France ça ne m’a pas frappé déjà parce qu’il y a un président (que tout le monde déteste en général) et en Belgique parce que tout le monde se fout bien de la famille royale et que c’est à peine si ils savent les prénoms des princes et des princesses.

« Consentis. Je suis partis de chez moi plutôt jeune. » Souffle-t-il. Et je m’interroge. Est-ce à dire qu’il quitté ses parents avant sa majorité ? Je tente de lui donner un âge, de deviner dans ses traits, mais je suis très mauvais à ce jeu-là. Cela dit, j’ai du mal à l’imaginer plus âgé que 23 ans. Combien d’années d’exil faut-il pour en venir à perdre son accent ? J’aimerais lui poser la question, mais elle me gêne, autant qu’elle le gênera lui. Je ne veux pas me montrer intrusif alors qu’il y a deux minutes, on échangeait nos prénoms. Aussi, à la place, je préfère lui parler de mon sentiment, de mon ressenti face à son pays d’origine. Après coup, je me dis que c’est peut être maladresse de formuler pareille critique, les américains étant connus pour leur patriotisme aveugle. Mais avec un peu de chance, il n’aura rien compris à mon discours bordélique et alambiqué. Il fronce les sourcils, mais ça ne m’avance à rien. Est-ce par agacement ou bien par incompréhension ? « Ca m’a frappé dans le sens inverse quand je suis venu au Royaume-Uni, ce n’est pas le premier pays européen où je suis allé mais plus que la France ou la Belgique, le Royaume-Uni m’a semblé être incroyablement… vieux. » me répond-il alors, me laissant comprendre qu’il a parfaitement saisi mon discours, et qu’il ne m’en tient pas rigueur. D’ailleurs, je laisse filtrer un éclat de rire bref. Toujours bref, je ne ris que comme ça. « C’est encore pire en Italie, où tu tombes sur une antiquité à chaque coin de rue. Mais je comprends ce que tu veux dire. Les anglais sont si stricts, rigides, coincés dans leurs traditions archaïques, si attachés à leur Histoire qu’ils se font un devoir de la faire revivre au quotidien. Ils sont poussiéreux. » C’est l’image que j’en ai, moi aussi. Mais soudain je réalise, et m’immobilise dans un sourire amusé. « Je crois qu’on vient de perdre le soutien et l’affection de cinquante pour-cent des téléspectateurs, là. » Critiquer l’un des principaux pays où se trouve diffusé l’émission n’est en rien une idée de génie. Même si, quelque part, ça m’amuse.

A ma réponse le candidat lâche un rire bref, du coup je souris, amusé par son rire. Je m’enfonce un peu plus dans l’eau alors qu’il ouvre la bouche pour me répondre. « C’est encore pire en Italie, où tu tombes sur une antiquité à chaque coin de rue. Mais je comprends ce que tu veux dire. Les anglais sont si stricts, rigides, coincés dans leurs traditions archaïques, si attachés à leur Histoire qu’ils se font un devoir de la faire revivre au quotidien. Ils sont poussiéreux. » C’est exactement ça, le mot est très bien choisis. Ceci dit j’ai déjà pas mal l’impression de croiser beaucoup d’antiquités en Angleterre alors qu’est-ce que ça doit être en Italie ! Je me promets mentalement d’aller y faire un tour si l’occasion se présente, depuis le temps que je me dis que je devrais y aller… « Je crois qu’on vient de perdre le soutien et l’affection de cinquante pour-cent des téléspectateurs, là. » Je lâche un rire à sa remarque. « Oh je suis certain que les téléspectateurs vont vite oublier cet écart. » Dis-je avec un sourire amusé. Ce qui se passe au début des jeux de ce genre, ça s’oublie vite. Les gens se contentent de nous regarder faire connaissances et je doute que ce soit fort palpitant, en général il faut attendre quelques semaines pour que le jeu devienne intéressant, non ? Ca me semble plus logique. « Sinon, pourquoi t’es ici ? Dans le jeu, je veux dire… » J’ai posé cette question tellement de fois que ça devient difficile de trouver une formulation différente mais, à chaque fois, la réponse m’intéresse. On a tous une raison différente d’être présent dans le jeu après tout.

C’est à son tour de me faire entendre son rire, suite à ma réflexion sur le nombre de téléspectateurs entrain, en ce moment même, de maudire ces deux insolents faisant insulte à leur patrie chérie. « Oh je suis certain que les téléspectateurs vont vite oublier cet écart. » m’informe-t-il, et je dois dire qu’après une petite seconde de réflexion, j’ai tendance à lui donner raison. Probablement même que nous ne sommes pas diffusé. Après tout, il doit bien y avoir plus intéressant que deux mecs pataugeant dans un bassin. Il doit bien y avoir une fille en tenue légère, un couple en plein préliminaires, voir même entrain de s’envoyer en l’air. « Tu as raison, ils sont plutôt concentré sur quelques blondes hystériques, dont celle dont je ne retiens jamais le prénom... » Je cherche un instant, puis j’abandonne. Ça n’a aucun intérêt. Et il semble être de mon avis, puisqu’il change rapidement de sujet avec cette question qui revient en boucle en cette première semaine. « Sinon, pourquoi t’es ici ? Dans le jeu, je veux dire… » Là aussi, je cherche un instant la réponse adéquate à fournir. J’ai souvent entendu cette question prononcée, mais jamais pour moi, alors j’ai un peu de mal à me figurer ce que je peux bien répondre à ça. « Et bien... Je crois que c’est la curiosité, le besoin de vivre tout ce qui fait notre société à l’heure actuelle. J’aurais pu me contenter de simplement allumer ma télé et suivre l’aventure, mais je ne fais jamais rien à moitié, j’aime vivre pleinement, découvrir par moi-même, sans écran s’intercalant entre l’aventure et moi. » Je pourrais ajouter que je suis aussi là pour mettre un terme à un secret qui court depuis de trop longues années, mais puisque ça s’accorde mal avec les règles du jeu, je préfère taire ce détail, et à la place, je relance : « Et toi ? » parce que si cette question est entendue si souvent, c’est qu’elle a une raison d’être. Elle est importante, elle est la première balise dans l’approche de l’autre. « Ta soif de voyage ? Ton envie de découverte ? L’argent ? » Il n’y a pas de mauvaise raison. Ou, si, il y en a bien une. Mais je doute qu’il soit là pour devenir une star en montrant son cul et en hurlant des obscénités à tout bout de champ. Mais je peux me tromper.