Il y a des moments où il était impensable pour Zofia d'être embêtée. Comme cet instant. Elle n'était pas commode en temps normal, c'est exact. Mais si quelqu'un pensait, croyait, était persuadé que la meilleure chose à faire était de la perturber dans son activité, eh bien, ce quelqu'un se trompait lourdement et risquerait, le plus pacifiquement possible, de prendre cher. Son esprit était concentré, ses iris se perdaient sur sa feuille, blanche, vierge dans un premier temps puis noircie par des écritures. Désordonnée, avec des symboles, des rappels, des mots écrits en majuscule, des traits que son stylo avait exploré, une fois, deux fois, trois fois. Son encre abusait du papier. Et lorsqu'il fut bien trop sombre pour accueillir une autre confession, elle recommença avec la page suivante, suite logique de son histoire. Ce fut ainsi durant de longues minutes. C'était stupide. Qu'importe. Lorsqu'elle eut résumé le contenu de sa matinée en trois petites pages, presque satisfaite, elle se mit à relire ses notes, longuement, tâchant de déceler chaque incohérence qui aurait pu se glisser dans son monologue. Parfait. Tout l'était. Bien. Son soulagement fut de courte durée, rapidement remplacé par cette même surchauffe dans son esprit. Ranger son carnet, journal intime, journal de bord, peu importe le nom qui lui était attribué. Elle se délogea de l'espace réduit dans lequel elle s'était assise, rejoignant l'un des casiers qui portait une petite étiquette à son nom. Son regard suivit le mouvement de la porte lors de l'entrée de Lulu. Un rictus comme première réaction tandis qu'elle rangea son bien entre un pull couleur crème et un jean foncé, tout au fond du casier, ce dernier étant toujours parfaitement rangé selon l'ordre et la disposition qu'elle avait accordé à ses vêtements. « Oh, tiens, ne serait-ce donc pas mon meilleur copain. » Sa voix se faisait tout ce qu'il y avait de plus railleur et ironique tandis que ses yeux retombèrent sur la silhouette de son partenaire. Il semblait évident qu'ils n'étaient pas vraiment partis du bon pied, ces deux-là. Pour sa défense, eh bien... Non, rien, en fait. Si elle ne souhaitait pas être sympa dans l'immédiat, elle s'en donnait tous les droits.

L'avantage de cette situation résidait sans doute dans le fait qu'elle avait ainsi quelqu'un avec qui se crêper le chignon. Ce n'était pas dans ses habitudes de voir le positif, c'est exact, toutefois, là, elle devrait pouvoir faire un effort. Et quelque part, elle préférait se disputer gentiment avec son partenaire que devenir tout bisous bisous avec lui. Puisqu'elle n'était pas une bisounours. Et quelque chose lui disait, étrangement hein, que Lulu n'était pas trop branché grandes démonstrations d'affection non plus. Elle allait même finir par leur trouver des points communs. Elle devait arrêter ça, ça devenait effrayant. « Tu te fous de moi ? J'attends que ça depuis l'autre soir ! » Outragée, scandalisée, voilà ce qu'elle était. Comment osait-il envisager qu'ils n'allaient pas se faire la bise ? Pas de câlins non plus ? Quelle honte ! Ah, non, attendez... Ouais, non, en fait, elle se foutait de sa gueule. Oh et ouais, elle aimait bien couper la parole aux gens. Probablement sa plus grande passion. Ce n'était aucunement contre lui, cela dit. Tout comme le fait qu'elle plaqua son dos contre les casiers lorsqu'il lui demanda de l'espace n'était pas à prendre personnellement. Elle n'aimait pas les ordres, qu'on essaye de la commander ou simplement qu'on lui demande quelque chose. Elle trouvait cela plutôt normal, de ne pas se laisser balader par la première personne qui passe. Trop bon, trop con, n'est-ce pas ? Zofia mettait un point d'honneur à être tout l'inverse. « Ah, c'est dommage, j'ai bien envie de rester, là, moi. » Tellement prévisible de sa part. Évidemment. Il tendait le bâton pour se faire taper dessus, là, de toute façon, c'était l'évidence même, c'était aussi voyant que le nez au milieu de la figure. Et bien entendu, pour accompagner son attitude de casse-couilles, elle afficha un magnifique sourire rayonnant. Ouais.