ft. otello

Le jour brillait là dehors, le soleil étincelant, très haut parmi les nuages. J’aurai dû être là-bas en train de profiter de cette merveilleuse température, mais un étrange concours de circonstances en avait décidé autrement. Moi qui m’était promis de ne jamais – oh grand jamais – mettre les pieds dans les souterrains, me voilà qui les arpente avec, visiblement, un grand intérêt pour la chose. Ce qui n’est, en fait, qu’un camouflage. Car je n’ai point mis les pieds en ces lieux par plaisir. Mais par obligation. Une obligation tout ce qu’il y a de personnel. Une mission faite sur mesure pour l’idiote que j’étais désormais devenu. Enfin, c’est ainsi que je me traitais intérieurement, pour avoir laissé tomber au travers de ce soupirail cette chaîne en or que je portais au cou. Que, dans un moment de lucidité, j’avais décidé de retirer pour ranger dans mes quartiers. Bien sûr, l’idée ne m’était pas venue de faire ça dans un lieu sécuritaire. Mais non, en pleine rue, c’était bien mieux. Résultat, me voilà transformer en Colombo par la force des choses. J’avais su retenir le nom de la rue sur laquelle je me trouvais, mais la retrouver dans ces dédales ténébreux résultait d’une autre partie de plaisir. J’espère que mon partenaire lancerait un avis de recherche quand il verrait que je ne le joignais pas dans le lit conjugal, ce soir. Maintenant que j’étais plongé dans ces tunnels, impossible d’en ressortir. Je ne le pouvais tout simplement pas, et ne le voulait pas non plus. Pas sans ce bijou. Avec chance, au détour de ce couloir, je tomberai sur la bonne adresse et le retrouverait en un tour de main. Sinon… sinon, je préférais ne pas savoir.

TENUE DU MOMENT.

Je sais parfaitement où je suis, je sais parfaitement où je vais. J’ai mémorisé le plan complet de ce quartier et de son méandre de ruelles, le transposer dans ce gruyère insondable n’est guère compliqué. La seule difficulté c’est de connaître les points d’entrée et de sortie qui, constat amer, sont bien moins nombreux que je l’imaginais. Je pensais pouvoir sortir rue Jean Moulin, mais la porte de ladite cave doit être encore obstruée par quelques meubles. Ça n’a aucune espèce d’importance, il me suffit de poursuivre, ce détail n’aura fait que me ralentir au sein d’une journée qui, de toute manière, comporte bien trop d’heures. En gaspiller quelques unes ne me pose aucun problème. En revanche, je dois faire attention à ne pas m’éloigner d’Aubanel, à bien rester dans les limites du quadrillage que j’ai en tête. Malheureusement, rue Claude François, une ampoule clignote, et je préfère tourner à droite plutôt que de suivre le plan établi. Mauvais présage, je préfère ne pas prendre de risque. En toute logique, il me suffira de prendre la prochaine à gauche pour rejoindre mon itinéraire initial. Sauf que j’ai beau avancé, ça ne tourne jamais à droite, et après plusieurs culs de sacs, je constate que j’ai été tant et tant déporté sur la gauche, que j’ignore tout de l’endroit où je me trouve, jusqu’aux noms de rues qui sonnent totalement inédit à mon oreille. Je vais être contraint de demander mon chemin, ce qui se traduit ici par grimper jusqu’à un soupirail et m’entretenir avec des pieds. Sauf que je suis un homme, et que je repousse à plus tard cette éventualité. J’aurais toujours le temps de me ridiculiser plus tard. En attendant, j’entrevois enfin mon salut sous les traits d’un couloir partant sur la droite. Mon pas se fait déterminé, téméraire, et c’est avec ce même entrain que j’entre en collision avec une brune à couper le souffle. Enfin, c’est surtout son coude atterrissant dans mon abdomen qui me coupe le souffle et m’oblige à me courber en deux.

Si je m’attendais à trouver quelqu’un dans ces dédales sombres, je n’aurais pas été surprise de faire une face à face avec un être venu de je ne sais où. Ah oui, de ce couloir dans lequel je souhaitais m’engager, et d’où il est sorti, par je ne sais quel concours de circonstances. Son pas devait être vigoureux et rapide, puisque la collision est foudroyante. Elle me laisse chancelante quelques secondes, avant que je ne constate la position de mon opposant. Je mets un court instant avant de réaliser que mon coude, bien portant, à dû le frapper de plein fouet. « Oh, bon sens, je suis désolé, vraiment désolé… » fis-je en m’approchant de lui, avant d’arrêter nette dans mon élan. L’image floue de mon bras atterrissant dans le creux de son ventre me frappe, et j’ai une petite hésitation, soudain. Ce geste, certes involontaire, fera-t-il naître des sentiments défavorables à mon égard dans le cœur de cet étranger? « Ça... ça va? » je demande de mon point de repère, lui laissant suffisamment d’espace pour tout l’air autour qu’il lui faudra pour se remettre de cette coupure d’oxygène. En fait, je préfère même reculer pour aller me poser tout contre le mur. C’est plus sage de ma part. Je tiens encore debout, mais ma tête tourne semble me jouer quelques tours, et mon équilibre est plus que précaire. C’est le cas de le dire, cette rencontre était percutante.

NOTE/ désolé pour cette médiocrité

Elle se confond en excuses tandis que je demeure courbé, replié sur moi-même à la recherche de mon souffle perdu. J’aimerais la rassurer, lui dire qu’elle n’est pas fautive, qu’il faut être deux pour une collision, mais pour l’instant, j’essaye juste de me contenter d’avaler une bouffée d’oxygène, pour le reste, ça attendra. Je l’entends s’approcher, puis s’éloigner. La respiration encore anarchique, je me redresse, cherchant du regard, la silhouette adossée contre la pierre. Elle me demande comment je vais, mais c’est son état à elle qui m’inquiète. « Je m’en remettrais, oui, mais toi tu n’as pas l’air au mieux de ta forme… » Je m’inquiète, m’approche et l’observe. J’espère qu’elle n’est pas claustrophobe, on se trouve plusieurs mètres sous terre. « Est-ce que je peux faire quelque chose ? » j’interroge pour tromper mon sentiment d’impuissance. J’espère juste qu’elle ne me demandera pas de lui trouver la sortie, je crois bien que j’en suis encore incapable. Oh, je finirais par la trouver, évidemment, mais ça risque de prendre un peu de temps. « Viens. » Je finis par ordonner doucement, en l’attrapant par un bras, et en la soutenant par la taille. « Tu as besoin de t’asseoir un moment. » J’ai repéré un escabeau, plus loin, qui doit probablement conduire à une zone d’espionnage, mais qui là, remplira parfaitement son rôle de siège d’appoint, sur lequel je l’aide à s’installer, avant de m’accroupir face à son visage livide.

Je ne peux me résoudre à me taire, et je me sens presque forcée de m’excuser, encore et encore. C’est, littéralement, plus fort que moi. Instinctif. Ayant la fâcheuse habitude de faire gaffe sur gaffe, ces paroles franchissent ma bouche par automatisme, même si je suis consciente que dans le cas présent, je ne suis pas la seule fautive. Ce n’est certes pas moi qui marchais à grande vitesse au détour de ce couloir, mais bien lui. Et vu sa taille imposante, ma pauvre petite silhouette fragile a grandement été ébranlée par ce colosse. J’en suis encore sous le choc – il faut dire qu’il m’en faut bien peu pour l’être. Je me suis adossée au mur alors qu’il tente de reprendre son souffle, se redressant dans un même geste. « Je m’en remettrais, oui, mais toi tu n’as pas l’air au mieux de ta forme… » Je n’ai pas une vue précise de l’air que j’ai, mais avec les petits oisillons qui continuent de tourner en rond autour de mon crâne, je suppose que ce n’est pas du grand art. « Est-ce que je peux faire quelque chose ? » Il s’est approché, semble s’inquiéter de mon état. Il ne faut pas, vraiment. Ce ne sont que de petits étourdissements, rien de bien malheureux. Ma tête se laisse aller, lentement, de gauche à droite, pour lui signifier que son aide n’est pas nécessaire, mais même ce simple geste délicat découple le malaise qui me ronge. Misère. « Viens. » Son bras fort m’attrape, et je m’y agrippe, n’ayant nul autre choix, puisqu’il s’empare doucement de ma taille, me traînait avec lui sur quelques mètres. « Tu as besoin de t’asseoir un moment. » Installée sur l’une des marches de l’escabeau qui me sert d’appoint, je ferme un instant les yeux, tâchant de reprendre contenance. Ce n’est pas possible d’être aussi faible. Lorsqu’ils s’ouvrent à nouveau, son visage fait face au mien, il me scrute, consciencieux. « Merci. » est le seul mot qui franchit mes lèvres. Le seul vraiment utile vu les circonstances. Avec chance, d’ici quelques minutes, ça ira mieux. Je l’espère, vraiment. « Tu peux continuer ta route… je vais rester ici un moment. Attendre que ça passe. » l’intimais-je, encore désolé d’avoir bousillé sa balade en territoire espion. Je ne souhaitais pas l’incommodé par ma présence.

Sa tête ondule, son regard se fait vague. Même dans la pénombre du tunnel, je suis apte à remarquer son air hagard. C’est notre collision qui a provoqué ça ? Elle me remercie, mais elle ne devrait pas. Je n’ai rien fait d’autre que de provoquer son malaise, et l’aider, par la suite, à s’asseoir un moment. Comme un oisillon, son cou semble trop frêle pour supporter sa tête qui oscille légèrement. Risque-t-elle de perdre connaissance ? Il me faudrait de l’eau et un linge humide. Mais, évidemment, je n’ai rien de tout ça, ici. Tout autour de nous, il n’y a que terre et poussière. Ce qui ne m’empêche pas de sonder l’espace du regard, comme si un nécessaire de premiers soins allait se matérialiser là, brusquement, devant moi, juste par la pensée. « Tu peux continuer ta route… je vais rester ici un moment. Attendre que ça passe. » Je cesse de vadrouiller du regard, et reporte mon attention sur elle, prêt à rire à sa blague. Sauf qu’il n’en s’agit pas d’une. Elle a même l’air sérieuse. Elle est sérieuse ? Mais quelle excellente idée ! « Sinon, je peux aussi t’achever manuellement avant de continuer ma route, afin de m’assurer que tu aies bien zéro chance de survie. » je lui propose dans un sourire, tout en passant un revers de main contre son front. « Moi c’est Otello, et non, je ne compte pas t’abandonner toute seule ici, pas plus que je ne le ferais si nous étions en surface. » je l’informe en me redressant pour aviser les noms de rues du croisement, comme si, subitement, ils allaient sonner familier. Bien évidemment, ce n’est pas le cas, alors je retourne m’accroupir devant elle. « C’est la collision qui provoque cet étourdissement, ou bien c’est autre chose ? » Peut être est-elle souffrante, peut-être est-ce récurant, et qu’elle aura oublié de prendre son traitement ce matin ? Je cherche des excuses expliquant son état, des excuses qui ne seraient pas moi et ma promptitude à rejoindre la surface.