Certaines dates étaient plus difficiles que d’autres à oublier. Cette suite de chiffres et de lettres alignés l’un à la suite des autres, nous ramenait des mois ou des années en arrière, ne signifiait pourtant rien à quelques particuliers. Mais à d’autres, ça représentait le monde entier. Qu’il se souvienne ainsi de mon anniversaire ne me surprenait donc pas autant que j’aurais bien voulu lui laisser croire. Mais qu’il daigne ainsi l’aborder de la sorte et le souligner relevait presque du miracle, vu la situation précaire dans laquelle nous nous trouvions. Pour l’avoir quelques fois célébré en sa compagnie, il devait pourtant savoir que j’avais longtemps préféré éviter de la mentionner. J’avais mes raisons, mon secret bien gardé. Mais il avait tout de même tenu à m’apporter cette part de gâteau couronné d’une chandelle en solitaire, pareil à son cœur. Mon attitude à son égard restait inchangée malgré le temps qui s’écoulait, et je l’accueillais d’un air froid comme à mon habitude. Je poussais même l’audace jusqu’à le confronter sur ce cadeau délibéré. Manque de politesse oblige, il me répondit sur le même ton, admettant que ses intentions n’étaient peut-être pas aussi bonnes que je le prétendais. Je soupirais.  « Je comptais te remercier, mais je crois bien que je vais me raviser. » lui répondis-je pour le faire taire. Serait-ce suffisant pour lui faire comprendre que malgré toute l’animosité que je ressentais à son attention, j’appréciais tout de même le fait qu’il se soit dérangé pour si peu. Il accusait la nostalgie d’être ainsi responsable de cet élan de bonté et j’eus un élan d’hilarité que je préférais taire, mieux valait que j’évite de trop l’offenser. Je me relevais en prenant l’assiette entre mes mains, puis vint m’accouder contre la rambarde à ses côtés. Mon estomac ne me permettait pas d’ingurgiter ce morceau de gâteau, et je trouvais tout de même dommage qu’on l’abandonne à son sort. « Si tu te sens l’âme de te sacrifier, régale-toi. » fis-je en le lui tendant devant les yeux. « J’ai passé l’heure de manger. » Que de  faussetés que je pouvais bien prononcer pour qualifier ce manque d’appétit qui m’habitait. Puis je remarquais la cigarette qui régnait entre ses mains. « Puis-je te l’emprunter? » À une autre époque, je me serais seulement contentée de la lui voler des mains, mais lorsque notre couple avait éclaté, j’avais évidemment perdu ce privilège, et bien d’autres encore. Je préférais encore le lui demander plutôt que de l’offusquer. 

Bien des choses continuaient de hanter mon passé, mais il ne servait strictement à rien de s’y attarder. Seulement, quand celui-ci nous poursuivait, impossible de réellement l’éviter. À défaut de pouvoir complètement l’éviter, on apprenait à cohabiter avec lui, sans toutefois apprécier sa présence à nos côtés. Comme un poids qu’on porte constamment à son pied, tel un prisonnier. Mon anniversaire recelait de vieilles histoires passées, et chaque année, cette date fatidique me remémorait des souvenirs que j’aurais préféré laisser de côté. Mais il fallait continuer à avancer, et même si jamais je ne pourrai complètement les effacer, le temps se chargeait de minimiser la chose, petit à petit, au fil des journées. Je me plaçais à ces côtés afin de lui offrir cette part de gâteau dont je ne comptais pas déguster. Mon appétit m’avait délaissée. Un mensonge déguisé en une espèce de vérité que je n’allais pas lui avouer. Il me questionna sur celui-ci, et j’osais les épaules d’un air détaché. « Délicieux. » Pour le peu que j’en avais gouté. Je reluquais avec intérêt la cigarette qu’il tenait entre ses lèvres, chose qui me faisait envie, bien que j’aie depuis longtemps cessé de fumer au quotidien. Je ne refusais jamais une ou deux bouffés de ce qui avait jadis été une de mes drogues préférées. Il répondit à mon caprice de la lui voler, et déposa la tueuse entre mes lèvres qui n’attendait qu’elle, se servant à nouveau dans sa réserve. Je tirai longuement sur l’objet de ma convoitise avant de laisser s’envoler un long filet de fumée. « Merci. » Il devrait s’en régaler, moi qui n’étais pas un modèle de politesse. Je tentais seulement de me rattraper. Bien qu’il ne l’ait pas tant mérité. Mais soit. Un silence s’installa entre nos deux êtres, mais il n’avait jamais été nécessaire de parler entre nous deux. Aucun inconfort dans cette situation, nous y trouvions, au contraire, un certain apaisement, je crois. Sa voix le brisa. Il me questionna sur mon passé. Je mis un certain temps avant de lui répondre. « La mort de mon frère. » Il s’agissait là de la seule chose digne d’être changée, car cet évènement n’avait pas qu’affecté ma vie présente, mais tout ce qui en était découlé dans le futur qui était aujourd’hui mon présent. Je n’avais rien besoin d’ajouter, ce n’était ni l’endroit, ni le moment d’en parler. Pour le peu que j’osais en dévoiler sur lui. La musique du chérubin résonna, et à nouveau, je soupirai. Cupidon se moquait bien de nous. Ces baisers forcés, ce jumelage obligé. Que nous réservait-il encore? Je l’ignorais, mais pour l’instant, il me fallait obéir à cet ordre divin. Je retirais la cigarette que j’avais toujours aux lèvres avant de les approcher de celle d’Orson, lui donnant un baiser loin d’être léger, mais sans pour autant se la jouer oser. Nos bouches avaient été habituées à danser l’une contre l’autre dans un ballet des plus gracieux, et je ne pouvais m’empêcher de savourer ce court instant, qui me plongeait dans ces rares moments de grâce que nous avions, jadis, partagés.