La tempête s'annonce: les températures ont largement chuté, un lourd mistral provincial s'est levé et les nuages demeurent menaçant. Aux aguets, je n'attends plus qu'un bel orage pour déclarer officiellement l'apocalypse tant le ciel est sombre. Enfoncé dans le velours carmin de mon fauteuil renaissance, les bras croisés sur mon torse, j'attends. Dix-neuf heures, synonyme d'heure creuse au sein du Nid, heure à laquelle vont se doucher la plupart des demoiselles, heure à laquelle, généralement, l'un de mâles propose au reste de sa meute une partie de billard: ne tenant pas à exposer mon niveau de maîtrise proche de celui d'un nouveau-né, je décline l'offre la plupart du temps. Presque pétrifié tant je suis assis depuis longtemps, j'esquisse un mouvement, puis un autre, sans me presser, pour finalement réussir à me lever, presque fier de mon exploit. A la hate, je m'engoufre dans l'école de garçons, grimpe les marches des escaliers interminables quatre à quatre, pour finalement trouver refuge dans ma minuscule partie du dressing. J'attrape la première laine qui me tombe sous la main, mon Petit Bateau fétiche que je m'empresse d'enfiler par-dessus mon humble et fidèle marinière. Chaleur ô chaleur, qu'il est bon de te retrouver. Je me frotte les mains, tire ma manche droite et, à mon grand damne, remarque quelque chose d'effroyable: j'ai perdu le bracelet auquel je tiens plus qu'à la prunelle de mes yeux. Presque paniqué, je réfléchis une seconde où diable il aurait pu se faire la malle, entame le trajet inverse jusqu'au bistrot en sondant le sol, sans pourtant mettre la main sur cette petite chainette en argent. Me pincant l'arête du nez, je me souviens l'avoir tripoté ce matin au lever, mais pas ce midi comme j'en ai l'habitude: oh Jésus Christ, je l'ai surement perdu dans mon très cher camarade le cimetière. J'imite un signe de croix, mon estomac se serre, j'enclenche finalement le pas, marchant plus vite que de raison. La grille rouillée servant d'entrée à ce coin macabre me file presque la nausée, je la pousse à pleine main puis me stoppe net quelques mètres plus loin, interpellé par une voix féminine gueulant mon nom. Mads? Essouflé, je ne lui réponds pas, la laisse s'approcher, la suivant du regard. "Qu'est-ce que tu fous là? Tu d'vrais rentrer, la pluie va pas tarder à s'pointer!" Elle me fixe longuement, ne semble même pas imprimer le fait que je vienne de lui parler: j'hausse les sourcils à m'en arracher le cuir chevelu lorqu'elle me demande si je suis équilibré. "Euh... Oui?" Je me toise de la tête aux pieds, vérifiant si je n'ai pas oublié mes chaussures ou autres: rien à signaler d'anormal. Puis je comprends. "Ahhhh, tu parles du cimetière?", lui dis-je en me retournant vers la source de nos problèmes, le pointant du pouce par dessus mon épaule. "J'y ai perdu un bracelet c'matin, donc j'venais voir si... Non, honnêtement, tu m'fais assez peur là. Immensément peur même. Tu m'as suivi, j'me trompe?" Car oui,la situation devient réellemet étrange.

La tension est palpable, presque saisissable: Mads semble inquiète, et je ne sais s'il s'agit là de ma présence et de ma réaction, ou tout simplement de la tempête s'anonçant. J'ai beau être un tant soit peu imposant, je n'ai pourtant pas l'impression d'être terrifiant, bien loin de là; au contraire, ce serait plutôt à moi d'être sur mes gardes, dans ma mesure où la demoiselle m'a tout de même suivi jusqu'ici... Une goutte s'écrase sur mes cils, puis une seconde, je relève finalement la tête: une belle averse en perspective. Si fort qu'il vous en ferait palpiter le coeur plus que de raison, le tonnerre gronde à la manière d'un thriller de série B. Une jolie fille sans défense, un mec, un cimetière: le scénario parfait, à tel point que j'en guetterais presque le tueur sanguinaire brandissant fièrement son couteau de cuisine. Stop distraction, là n'est pas le soucis. Mads bégaye, hésite, tente de se justifier par tous les moyens: sans la lâcher du regard, je retire ma laine et, jugeant sa tirade terminée, la lui passe sur les épaules, remontant la capuche sur ses cheveux. Mère-poule est de retour, manifestement partie en croisade contre la pneumonie. "T'inquiètes pas, j'crois qu'j'ai saisi," lui dis-je en me permettant un clin d'oeil, réellement persuadé d'avoir compris le pourquoi de sa venue. Enfin, j'espère avoir compris. Je commence à fureter le sol du coin de l'oeil, hausse à nouveau les sourcils devant l'avalanche de questions qu'elle me pose alors, ne pouvant m'empêcher un éclat de rire. "C'est une chaîne en argent à laquelle sont accrochés trois p'tits pendentifs. J'y tiens... comme à la prunelle de mes yeux. P't'être même un petit peu plus." Je souris, me reporte sur le sol. "Qu'est-ce qui me vaut ton grand intérêt? J'dis pas ça méchament, juste par curiosité. Honnêtement, qu'est-ce qui me vaut une telle attention?