Des efforts. Raphaël devait perpétuellement faire des efforts. Pour tout, partout, tout le temps. Il lui fallait en faire, car c'était à cette condition, et uniquement à cette condition, que sa vie valait encore un minimum la peine d'être vécue. Sans les efforts qu'il devait fournir au quotidien, à plus ou moins grande dose, il ne serait honnêtement plus rien. Lui qui n'était déjà pas grand chose, hm. Il lui fallait faire des efforts de sociabilité, plus encore depuis qu'il était au sein de ce jeu. Tout comme il lui fallait faire des efforts pour ne pas se laisser aller à des pensées trop sombres, pour ne pas tout laisser tomber. Et à cet instant très précis, il lui fallait simplement faire des efforts pour ne pas avoir peur. Parce qu'il se trouvait une seconde fois au beau milieu d'une pièce sombre, effrayante, après avoir bêtement décidé de pénétrer dans ce manoir en ruine. Il n'aurait pas du, vu la frayeur qu'on l'y lui avait faite la semaine passée, mais il n'avait pu faire autrement. Ainsi donc, il était passé par la petite ouverture sur le coté, et se retrouvait présentement à l'intérieur, sans savoir quoi faire. Pour tout vous dire, il était quelques peu tétanisé. Parce que l'endroit en lui même était déjà effrayant, mais vu qu'il était tard et qu'il s'y trouvait seul, ça n'arrangeait rien. Il faut dire que Raphaël avait toujours été un peureux. Vraiment, dans le sens le plus extrême du terme. Il avait peur de tout, mais aussi de tout le monde. C'était même pour cela que sa vie était devenue un enfer et qu'il s'efforçait de faire des efforts. Par exemple, au moment où il entendit un bruit provenir du premier étage, il ressentit d'intense frissons parcourir tout son être. Allait-on lui faire une belle peur, comme la dernière fois ? Pitié, non. Plus de ça. Cette fois-ci, il ne voulait pas sursauter comme un fou. Alors il prit les devants et commença à se diriger vers l'escalier. Mais en haut de celui-ci se tenait une silhouette. Fine. Sombre. Terrifiante. Il en fut bouleversé. Son dos heurta le mur dans un lourd fracas, et il se laissa glisser le long de celui-ci, se retrouvant bien vite assis à même le sol. La silhouette descendit les marches et s'approcha. Il plaça sa tête entre ses bras. Il se tût. Il respira aussi profondément que possible. Il ne pleurait pas, pour une fois. Il était juste effrayé. Pire que ça, il était horrifié.

Pourquoi fallait-il que Raphaël ait ainsi peur de tout, et de tout le monde ? Pourquoi fallait-il qu'il panique pour un rien, comme à cet instant précis ? Voyez comment le jeune homme s'était lassé glisser le long du mur, après l'avoir heurté dans un bruit raisonnant et tout en ressentant une immense frayeur. Il avait peur. Extrêmement peur. Pourtant, il était fort probable qu'il ne soit présentement pas le moins du monde en danger. Peut être bien que c'était simplement un vilain tour de son esprit paranoïaque, de son imagination persécutrice. Oui, peut être bien. Pour autant, Raphaël semblait véritablement persuadé qu'il encourait présentement un redoutable danger. Il avait aperçu une sombre silhouette en haut de l'escalier, et cela avait suffi pour le mettre dans un état épouvantable. A cet instant précis, il était simplement terrifié à l'idée que ladite silhouette s'approche de lui. Qui cela pouvait-il bien être ? L'un de ses camarades ? Assurément. Mais à ses yeux, c'était bien moins probable que le fait qu'il s'agisse simplement de la représentation d'une âme démoniaque venue en ces lieux pour le persécuter. Oui, il était dérangé. Probablement fou, en fait. C'était d'ailleurs pour cela qu'il tâchait de faire des efforts. Mais présentement, il était bien incapable de faire autre chose que de mettre sa tête entre ses bras, comme si ce simple geste allait le protéger de toute chose qui serait susceptible de lui arriver à un tel endroit. Il aurait pu partir, s'enfuir en courant, laissant tout cela derrière lui, mais il n'avait pas pu. Ses jambes l'avaient simplement lâché et il n'avait pu faire autrement que de se rester assis au sol, contre le mur, dans un état pitoyable. Il n'eut même pas suffisamment de force pour s'enfuir, c'était tout de même bien la preuve que quelque chose clochait sérieusement chez lui, hm. En tout cas, Raphaël redoutait l'instant où la silhouette se tiendrait tout près de lui. Il ne voulait plus la voir, pas après avoir manqué de décéder sous le coup de la terreur. Pourtant, il se rendit bien vite compte que ce qui l'avait effrayé précédemment se tenait accroupi devant lui, avec une source de lumière qu'il ne fut pas capable de distinguer immédiatement. Que lui voulait-on ? Qu'avait-il encore fait de mal pour qu'on s'en prenne à nouveau à lui ? Ne pouvait-on pas simplement lui ficher la paix ? Ainsi donc, il ne craignait rien. C'est en tout cas ce qu'il venait d'entendre, d'une voix douce, et féminine. Instinctivement, il releva doucement la tête, s’apercevant bien vite que l'une de ses camarades se tenait accroupie face à lui. Il semblerait d'ailleurs qu'elle fasse partie de son équipe. Une jolie rousse, au visage angélique. Était-ce donc d'elle qui l'avait mis dans un tel état ? Visiblement. « J'ai eu tellement peur » articula-t-il fébrilement, encore chamboulé par ce qu'il venait de vivre, et visiblement honteux d'avoir été ridicule une fois de plus. « J'ai t'ai pris pour ... » Il ne termina pas sa phrase. Raphaël se contenta de l'observer, avant de fermer les yeux et de soupirer doucement. « Tu ne me veux aucun mal, alors ? » Sans doute tentait-il de se rassurer. Ou de s'achever. Cela dépendrait du point de vue, et de la réponse qu'il obtiendrait.

Cette terreur qu'il avait ressenti l'avait mis dans un état second. Elle lui avait donné mal au crâne, lui avait coupé la respiration, l'avait partiellement aveuglé, étant même allée jusqu'à l'inciter à se laisser tomber le long du mur, tant la force de ses jambes avait subitement disparu. Il faisait très probablement pitié, à cet instant précis. Avec son air paniqué, ses tremblements, ses quasi-gémissements ... oui, probablement. Il en avait grandement assez de n'être pas capable de surpasser sa peur, d'agir comme un homme, et non comme un enfant. Mais il avait eu tellement peur qu'il n'avait pu faire autrement que de s'abandonner à la brutale émotion qui l'avait envahi. Il s'était senti tomber au ralenti, avait même cru perdre connaissance l'espace d'un court instant. Tout cela à cause d'une silhouette. Tout cela à cause de ce qu'il avait simplement vue en haut d'un escalier. Tout cela parce que son imagination avait méchamment tendance à le persécuter, en nourrissant son esprit de pensées paranoïaques et en convainquant celui-ci qu'il encourait sans cesse un très grave danger. Justement, il s'était senti menacé. Il avait imaginé cette silhouette descendre les marches une à une pour se placer face à lui et lui faire du mal. Il s'était vu souffrir, il avait même senti la souffrance qui aurait pu être la sienne. Il avait même pensé mourir sous peu. C'était ainsi chaque fois qu'il se persuadait d'être en danger. Chaque fois, il se mettait à croire qu'il n'en réchapperait pas. Chaque fois, il s'imaginait vivre ses derniers instants. Alors que chaque fois, il ne se passait pas grand chose, ou rien du tout, comme à cet instant précis. Car cette silhouette si "menaçante" qui avait eu le don de le tétaniser s'était finalement révélée être une jolie rousse, l'une de ses camarades, et non un démon apparu dans l'unique but de l'anéantir. Il avait alors à faire à quelqu'un de visiblement avenant, de presque sympathique même. Est-ce que cela suffisait à le rassurer ? Peut être pas. Mais cela contribuait tout de même à le calmer partiellement. Sa respiration était redevenue plus lente, sa panique s'était fortement atténuée et il avait renoncé à l'idée de se laisser bêtement mourir de frayeur. Sa camarade s'excusa, prétextant qu'elle n'avait jamais eu l'intention de l'effrayer. Pour le coup, il avait envie de la croire. Peut être mentait-elle, car peut être avait-elle véritablement souhaité le mettre dans un tel état. Mais il n'avait pas besoin de se faire plus de mal encore, alors le mieux était probablement de se convaincre du contraire. Il se tétanisa quelques peu lorsqu'il sentit sa main se poser sur son bras. Les contacts physiques, il n'aimait pas ça. Cela le mettait généralement mal à l'aise. Mais le contact de cette main froide sur sa peau encore brûlante de la vive émotion qu'il avait ressenti avait un coté apaisant. Alors il ne chercha pas à dégager sa main. Sa camarade sembla vouloir qu'il poursuive la phrase qu'il avait précédemment commencé. Pour qui, pour quoi l'avait-il prise ? « Pour le diable » articula-t-il doucement, fortement gêné d'avoir à dire cela tout haut, alors qu'il s'était senti déjà trop bête d'avoir osé le penser. Pourtant, c'était véridique. Il s'était imaginé face au diable. Le diable, contrairement à la mort, n'avait rien de rassurant. Si vous lui présentiez, la mort, il la saluerait volontiers. Mais le diable, lui, était toujours le protagoniste maitre de ses pires cauchemars ... Il l'écouta poursuivre, tentant de voir un maximum les traits de son visage, comme si celui-ci allait subitement tomber comme un masque et se révéler être une simple mascarade. Comme si le visage du diable allait en fait lui apparaitre. Il continuait d'avoir peur, mais tâchait de maitriser ses émotions. Des efforts, il devait toujours faire des efforts ... « Parce que c'est ce qu'on me veut généralement. Du mal. » Il ferma les yeux un instant puis les rouvrit. Bonne nouvelle, sa camarade était toujours là, et personne ne l'avait remplacée. Ouf, hm. C'est alors que Raphaël déposa sa main sur celle de la jeune femme, pour presser celle-ci d'un doux geste. Il évitait généralement de faire ce genre de choses, mais là c'était nécessaire. Un cas d'extrême urgence, vous voyez le genre. « Prouve-moi que tu n'es pas lui. Parle-moi de toi. » Ce n'était pas une exigence, plutôt une requête. Une supplication, même.

Le diable. Tel était celui qui le poursuivait. Tel était celui qu'il redoutait perpétuellement de voir dans le reflet d'une vitre, au bout d'un couloir ou bien en haut d'un escalier. Le diable était à la fois partout et nul part, si bien que Raphaël ne savait jamais vraiment quoi en penser. Mais il se pouvait très bien que ce soit lui qui se soit accroupi face à lui, lui qui ait déposé sa main sur son bras, lui qui tente présentement de lui faire croire qu'il n'était qu'une jolie rousse à l'apparence innocente. Trop innocente ? Le diable avait-il fait l'erreur évidente de se cacher derrière les traits de quelqu'un de trop inoffensif pour ne pas avoir l'air louche ? Allez savoir. Et tandis qu'il avait tâché d'oublier cette peur de se retrouver face à Satan au fil des minutes, il n'avait pu que repenser à cette peur probablement irrationnelle à l'instant où sa camarade l'invita à poursuivre la phrase qu'il avait alors laissé inachevée. Est-ce que le diable souhaitait le faire parler avant de l'éliminer ? Est-ce que ce dernier se plaisait à torturer son pauvre esprit, par le biais d'une manipulation aussi discrète que perfectionnée ? Allez savoir. Sa camarade demanda alors "pourquoi". Pourquoi le diable et pas un autre personnage ? Pourquoi cette drôle de crainte ? Pourquoi être pris de sortes d'hallucinations à son âge ? Tant de questions auxquelles il ne trouverait probablement aucune réponse dans l'immédiat. Pourtant, il comptait s'essayer à en articuler une. Qu'il s'adresse au diable ou pas, il se devait de rentrer dans son jeu. Peut être ne serait-ce que pour gagner du temps, hm. « Parce qu'il m'espionne, qu'il guette mes faits et gestes dans l'attente de se manifester pour me faire du mal. Parce que le diable veut naturellement mon malheur. » Il se tut enfin, cherchant du mieux qu'il pouvait à discerner la vérité au sujet de l'identité de l'individu qui se trouvait face à lui. S'agissait-il donc de cette jolie rousse à priori bienfaisante, ou du diable en personne ? Pour le savoir, il lui demanda de lui prouver son identité, et le fait qu'elle n'était pas le diable. Elle commença par fournir un argument un peu léger, qui ne parvint qu'à lui faire arquer un sourcil. Hm, pas convainquant, et trop facile. Le diable pourrait tenir ce genre de discours, non ? Elle l'invitait maintenant à vérifier. De même, il n'y porta pas grande attention. Ce qu'il voulait, c'était du concret. Il lui fallait du concret pour ne plus avoir autant peur. Finalement, il obtint un prénom : Mads. Effectivement, il s'en rappelait. Cette jeune femme était dans son équipe, et son nom lui était déjà parvenu aux oreilles. Mais peut être la véritable Mads ne se trouvait-elle pas ici, à cet instant précis ? Hm ... Elle lui proposait de lui poser des questions. Bien, bien. « Parle-moi ... parle-moi de ta vie, de ta famille, de ton début d'aventure, de ton partenaire, de tes goûts ... de tout ce que Mads serait susceptible de savoir. Si tu es elle, prouve-le moi. » Parce que si Satan n'avait fait que revêtir l'apparence de Mads, il ne serait peut être pas suffisamment disposé à converser sur toutes ces choses. Au fond, Raphaël avait un sérieux problème, hm.