WILLIAM.

Mon repère, mon refuge. Je passe beaucoup trop de temps en ces lieux, mais je m’en fiche, puisque c’est la place que je préfère dans tout ce petit village de Provence. Tout ça à cause de ce que je tiens entre les mains, cet instrument si merveilleux qu’est le violon. Ma muse, mon inspiration, ma source de vie. Sans ses mélodies, sans ses douces notes pour m’apaiser, qui sait ce qu’il serait advenu de moi. C’est mon échappatoire, ma façon à moi d’être libre, enfin. Ça ne semble pas être grand-chose, mais pour moi, ce l’est. Je peux me laisser aller, au travers de la musique. Mes fantaisies, mes envies. Je suis d’ailleurs en pleine reprise d’un classique de Gnarls Barkley, Crazy, quand mes yeux s’accrochent sur la silhouette qui pénètre dans l’auberge. Une silhouette qui, sait m’être inconnu, ne m’est pas pour autant familière. Si je la connais, ce n’est pas d’ici, mais d’ailleurs. Nul doute, il s’agit bien de ce nouveau venu, ce William dont l’arrivée à susciter l’émoi des candidats. Mais chez moi, que de la curiosité mal placé. Ayant presque terminée mon morceau, je continue mon élan musical, jusqu’à entamer les quelques accords finaux. Et là, je laisse le violon glisser le long de mon corps, alors que je salue d’un signe de tête le nouveau venu. « William, si je ne me trompe pas. » l’abordais-je, simplement. Je suis prête à parier qu’il en a vue de bien pire que moi, question d’approche. Je pourrais même en dire de même… mais je vais m’abstenir. Il doit détenir le record, de toute façon. Je dépose le violon et son archet dans leur étui, puis m’approche du candidat. « Je suis Tris… je ne crois pas qu’on ait eu l’occasion de se parler au prime. » ajoutais-je, en lui tendant ma main.

Ça m’a automatiquement accroché l’oreille. Quelqu’un joue du violon. Je l’entends de l’extérieur même. J’adore le violon, on peut même souvent le retrouver dans plusieurs de mes chansons. Cet instrument à un côté dramatique, énigmatique, qui te laisse traverser une gamme d’émotion incontrôlable. Ce n’est donc sans surprise que je me laisse entraîner par le son de la musique, ouvrant la porte de l’auberge discrètement pour y faire mon entrer. À mon grand étonnement, j’y retrouve la jolie brune qui a attiré mon attention dimanche dernier durant le prime. Je l’observe, essayant de me faire le plus petit possible, je ne tiens pas à ce qu’elle me remarque. Bien que pour le coup, c’est plutôt raté, étant donné que je suis en plein milieu du salon. On repassera pour la subtilité. Je pourrais aller me cacher derrière le divan, mais je ne pense pas que cela passerait bien. Je me croise donc les bras, l’écoutant toujours alors que je vois bien qu’elle a remarqué ma présence. Elle finit, c’est dommage. J’en demanderais encore et encore. « William, si je ne me trompe pas. » J’hoche la tête qu’une seule fois, pour l’informer qu’en effet, elle ne se trompe pas. Pas besoin d’ajouter quoi que se soit d’autre, en fait. Je décide de m’approcher un peu plus d’elle, alors que mon regard ne peut se décrocher de son visage. « Je suis Tris… je ne crois pas qu’on ait eu l’occasion de se parler au prime. » Je prends la main qu’elle me tend, trouvant la présentation un peu trop formelle. Mais ça va, je ne vais pas faire mon chieur pour absolument rien. « Je sais déjà ton prénom, Tris. Je me suis informé. » dis-je, un sourire en coin s’affichant sur mes lèvres. Ça fait un peu étrange dit comme ça. Un peu trop psychopathe en fait. « Enfin, je veux dire… Je… On se connait, non ? » demandais-je en lâchant sa main pour passer la mienne derrière ma nuque, plus vraiment certain de ce que j’avance. Non, parce que je suis certain de ne pas connaitre de Tris. Mais son visage me dit définitivement quelque chose. « Est-ce qu’on a déjà couché ensemble ? » William, connard à ses heures. « Je plaisante hein… C’est une blague. Je m’en souviendrais sinon ! » Oui, voilà, j’essaie un peu de rattraper mon humour de merde. Ça fonctionne pas ? Non, bon. Je baisse finalement les yeux, pour ensuite faire un tour d’ensemble sur la pièce. Je regarde chaque instrument, me disant que j’allais vraiment apprécier cet endroit. « Tu joues vraiment bien du violon. C'est pas donné à tout le monde ! » lui lançais-je, me souvenant que j’en avais oublié de la complimenté sur son morceau joué il y a quelques minutes.

M’éterniser pour mon propre plaisir personnel, ou reprendre sur une autre interprétation de mon cru aurait pu figurer au panel de mes intentions, mais j’ai préféré me montrer polie et poser mon instrument. Parce que j’ai été bien élevée, tout simplement, et que je n’ai pas l’intention de laisser ce prénommé William en plan. Sa présence dans cette aventure m’intrigue autant que sa propre personne, il m’est impossible de laisser ça de côté. Je m’avance donc vers lui après m’être débarrassé de mon instrument, y allant d’une présentation relativement formelle… mais qui reste, somme toute, des plus efficaces. Ne jamais faire en grand ce qui peut être fait simplement, c’est un peu ma devise. « Je sais déjà ton prénom, Tris. Je me suis informé. » J’arque un sourcil, un peu surprise par la remarque. « Enfin, je veux dire… Je… On se connait, non ? » Sa main se détache de la mienne, et je la récupère, replaçant distraitement une mèche de mes cheveux derrière mon oreille. « J’en doute… mais sait-on jamais... peut-être que c'est le cas. » Que je le connaisse, moi, m’apparaît plutôt logique. Mais que l’inverse soit possible… Je ne sais pas, je n’ai pas souvenir d’une rencontre, entre lui et moi. « Est-ce qu’on a déjà couché ensemble ? » Il me faut faire tous les efforts possibles pour éviter de m’étouffer avec l’air qui pénètre dans mes poumons tant cette remarque me parait choquante. Il doit le voir, à mon air, que ce n’est clairement pas le cas. « Je plaisante hein… C’est une blague. Je m’en souviendrais sinon ! » Et moi donc, j’ai envie de dire, mais je préfère me taire. Je laisse seulement échapper un petit rire nerveux, passant une main nerveusement dans mes cheveux. « En fait, Tris… ce n’est pas mon vrai nom, qu'un diminutif. Peut-être que le prénom Beatrice éclairera une lanterne chez toi. » Sait-on jamais. Au pire, cela réduira carrément à néant ses vagues souvenirs de cette rencontre dont je n’ai point mémoire. Sinon, il faudra qu’il m’explique. Vraiment. Je n’ai pas son statut de vedette, mon nom ne figure pas dans tous les journaux à potins du pays, et je ne m’affiche jamais sur les tapis rouges de cérémonie ou de soirs de premières. Qu’est-ce que j’irais bien y faire, de toute façon. Alors d'où peut-il bien me connaître? « Tu joues vraiment bien du violon. C'est pas donné à tout le monde ! » Son regard s’est attardé un moment sur la pièce avant de revenir vers moi. Je me doute de ce qui a retenu son attention : les instruments derrière moi. Pas étonnant qu’il ait ramené ce sujet sur le tapis. « Merci… des années de pratique et beaucoup de patience, c’est ce qu’il m’a fallu pour en arriver là. Mais… j’imagine que tu dois comprendre ce que s’est, non? » Attendez, je suis face à l’un des plus grands artistes de sa génération, bien sûr qu’il sait de quoi je parle. Je n’imagine même pas les efforts qu’il a dû faire pour en arriver jusque-là. Jusqu’à cette carrière et cette reconnaissance dans le milieu musical. Du travail, et surtout, beaucoup d’acharnement et de persévérance, j'imagine.

Bon alors à voir sa tête et à entendre sa réponse, je fabule totalement. Je n’ai jamais rencontré cette fille de ma vie. Ce qui, dans le fond, est vraiment possible. En même temps, elle est vraiment belle, elle ressemble à une de ces actrices au sourire parfait. Je me suis laissé avoir. Je me laisse souvent avoir par les jolies filles, c’est une faiblesse, si on peu qualifier ça ainsi. Puis je fais le con, demande si on a déjà couché ensemble, ce qui est parfaitement débile et qui la met mal à l’aise. Je crois qu’à un certain point, j’aime bien usé de mon statut pour mettre les gens dans une zone de confort qui est moindre. Ça m’amuse, je suis un peu sadique, je l’avoue. Heureusement je me reprends toute suite en lui avouant que c’était une blague. On sait jamais, elle va peut-être me prendre pour un gros lourd à l’égo surdimensionné. « En fait, Tris… ce n’est pas mon vrai nom, qu'un diminutif. Peut-être que le prénom Beatrice éclairera une lanterne chez toi. » Ouais non, ça ne me dit rien du tout. Bon, faut que j’arrête, sinon je vais chercher pour le restant de l’aventure sans trouver, parce que cette fille, je ne la connais pas. « Non, désolé… J’ai simplement cru qu’on s’était peut-être déjà rencontré, puisque ton visage me dit quelque chose. Mais sérieusement, on oublie, c’est pas bien grave ! » dis-je en lui souriant doucement, comme pour appuyer mes dires et conclure la discussion sur le sujet. De toute façon, y’a rien d’autre à dire. Et on change finalement de sujet, pour mon bonheur, parce que ça commençait tout de même à être un peu embarrassant, pour en venir à parler de musique. Évidemment. C’est moi qui aie abordé le sujet quand même. J’ai juste vraiment apprécié son morceau de violon. Elle parle de beaucoup de pratique et de patience, ce dont je ne doute pas une seconde. J’hoche la tête lentement avant de finalement me laisser tomber sur un des canapés, la regardant toujours. « Oui… Oui, je comprends parfaitement. » J’ai bien compris à quoi elle fait référence, c’est pas vraiment difficile. Puis tout le monde est au courant ici. Mais à entendre son accent, elle est américaine. Alors elle connait un peu plus que certain ici ce dont je suis l’auteur. Ou pas, en fait. Elle n’aime peut-être pas le country. J’étire le bras pour venir prendre la guitare la plus proche. Je la regarde attentivement, mais je ne touche pas à aucune corde. J’observe, toujours. Puis je relève les yeux vers elle. « Par contre, je crois que j’ai perdu un peu de patience, avec les années… » dis-je en complément à ce qu’elle venant d’affirmer. « Ça doit être la vieillesse qui ne me fait pas. » Je suis super sérieux. Jusqu’à ce qu’un sourire brise le tout. Ça n’a pas vraiment de sens ce que je dis, enfin, peut-être pas pour elle. Pour moi, si. « Sinon, Beatrice… Qu’est-ce qu’une fille comme toi fais dans une émission de télé-réalité ? À la recherche d’une certaine popularité ? » Je demande, mais je suis certain que non. La guitare toujours sur mes genoux, je passe mes doigts sur les contours de celle-ci, essayant de connaître toutes facettes de l’instrument.

« Non, désolé… J’ai simplement cru qu’on s’était peut-être déjà rencontré, puisque ton visage me dit quelque chose. Mais sérieusement, on oublie, c’est pas bien grave ! » Je pousse un discret soupire, cette histoire me tournant en tête depuis qu’il avait émis cette hypothèse improbable d’une précédente rencontre entre nous deux. À un peu tel que j’en étais devenue nerveuse. Heureusement pour moi, il désire passer à autre chose, et je suis, à vrai dire, assez soulagée de la tournure de la discussion. Dieu merci. Aborder un sujet comme la musique avec quelqu’un qui s’y connait aussi bien, et qui plus est, faire carrière dans ce métier, à quelque chose de fort stimulant, et de captivant. Il se laisse tomber sur l’un des canapés, là derrière, avant de me répondre. « Oui… Oui, je comprends parfaitement. » De toute évidence, j’ai visé juste. Mais dans son cas, difficile de se tromper. Nombre de magazines et de sites web ont retracé sa carrière tout entière, et si moindrement vous êtes curieux comme je le suis, impossible de passer à côté. C’est tout de même étrange de se retrouver devant une personne, et de connaître une grande majorité de sa vie sans même réellement la connaître. Je dirais même que s’en ait troublant. « Par contre, je crois que j’ai perdu un peu de patience, avec les années… » fit-il alors que nos regards se croisent. J’esquisse un léger sourire devant la remarque. « Ça doit être la vieillesse qui ne me fait pas. » Un certain air désemparé s’affiche alors sur mon visage. Que je sache, il n’est pas bien plus âgé que ma propre personne. Mais il prend un ton si sérieux que j’en viens même à croire à ses propos. Jusqu’à ce petit sourire apparaisse sur ses lèvres. « Je n’ai pas bien hâte d’être rendu à ton âge, alors. » laissais-je alors entendre, en chassant mon trouble d’un rire coquet. De ses mains, il s’est emparé de l’une des guitares dont est munie l’auberge, et il l’a détaillé du bout des doigts, que je fixe avec peut-être un peu trop d’insistance. D’un léger geste de la tête, je m’extirpe de cette torpeur, et décide d’aller prendre place à ses côtés, sur le sofa. « Sinon, Beatrice… Qu’est-ce qu’une fille comme toi fait dans une émission de télé-réalité ? À la recherche d’une certaine popularité ? » Je me retiens d’éclater de rire devant son questionnement. « Tu te trompes de fille, je ne suis pas de celle qui sont là pour la renommée. » mis-je au clair dès les premiers instants. « J’ai quelque chose à venir prouver en participant à cette émission, c’est tout. Certaines personnes ont des attentes à mon sujet, et voudraient leur démontrer que… que je suis capable de les satisfaire. » Mon regard se fait soudainement vague, distant alors que je fixe l’un des coins de la salle. Ça ne dure que quelques secondes. « Est-ce indiscret de te demander la pareille? » fit-je, en tournant la tête vers lui. Sa réponse m'intrigue, mais je comprendrais s'il refuse d'y répondre.

Je plaisante sur mon âge et ma patience. Je ne dirais pas que cela à un lien sans faille, mais il y a tout de même un rapprochement à faire avec les deux. Je ne suis définitivement plus le même qu’il y a sept ou huit ans. Comme tout le monde, on change en vieillissant, c’est comme ça. Mais je crois que la célébrité m’a beaucoup fait changé. Je ne savais clairement pas dans quoi je m’aventurais lorsque je me suis lancé dans le milieu de la musique. Bref, je souris à Tris lorsqu’elle me dit ne pas avoir hâte d’être rendu à mon âge. Bon, je ne suis pas si vieux que ça non plus, faut pas exagérer. Mais j’ai bien compris qu’elle n’était pas sérieuse non plus. Et j’ai aussi bien compris qu’elle n’est pas du genre à rechercher la notoriété et la célébrité. Elle fait bien. Elle me le confirme en répondant à ma question. Je la suis des yeux alors qu’elle vient s’assoir à mes côtés, ce qui me fait tout de même un peu plaisirs. De façon distraite, toujours, une de mes mains est encore à la découverte de la guitare déposée sur mes genoux, un de mes doigts frôle une première corde, puis l’autre en dessous. Le bruit est très discret, on y porterait pas attention et personne ne l’entendrait même. Mais il est là. Je ne veux m’en empêcher, alors que j’écoute Tris me faire part de ses motivations. Je ne comprends pas ce qu’on vient prouver en faisant une télé-réalité. Je me demande qui la pousse par défaut à participer à Fake Lover. Mais je ne me sens pas encore prêt à lui poser ma question. Je ne veux surtout pas paraître indiscret. Mais je la garde tout de même en réserve. « Est-ce indiscret de te demander la pareille? » Je soupire très légèrement. Ça ne m’embête pas, qu’elle me pose la question, même si je ne sais pas quoi lui répondre exactement. Il n’y a pas une réponse possible à tout cela, malheureusement. « Tu ne seras surement pas la seule à me la demander, celle-là. » dis-je en baissant les yeux vers la guitare, le temps de quelques secondes avant de les remonter vers elle. « Ma carrière ne pourrait aller mieux en ce moment. Les interviews s’enchaînent et j’ai un album en préparation. Qui était en préparation plutôt… » Enfin, c’est un détail. « Mon agent ne sait même pas que je suis là… Salut Joe ! » dis-je en levant les yeux vers la caméra qui ne nous lâche pas une seconde. « Mon dieu, il va vouloir me tuer. » Et tuer est un faible mot, dans ce cas. Bon, je parle, je parle, mais je ne répond pas à sa question là. Et depuis quand je parle autant, moi ? « Bref, je fais Fake Lover pour des raisons plutôt personnel. Mais j’ai vu en l’émission une occasion de faire des changements dans ma vie. Des changements nécessaires… Qui vont me permettre d’avancer, j’en suis certain. » Voilà, je crois que c’est une bonne réponse. Je souris faiblement à Tris avant de gratter un accord au hasard, je voulais simplement voir comment sonnait l’instrument que j’avais entre les mains. Plutôt pas mal.