ARES

Je marche, la tête en l'air, dans tous les sens du terme. Mes yeux scrutent avidement la rue composée des habitations abandonnées, s'attardant sur les éléments de la décoration qui parviennent à capter mon attention. Attention par ailleurs mise à mal par mon esprit vagabondant d'idées en idées. La concentration n'a jamais été mon fort et c’est bien dommage parce que dans certaines conditions, ça ne m’aurait sans doute pas desservi. Je suis à la recherche de ce petit détail qui fera la différence, comme si l’une des maisons allait soudainement voir poussé sur le pas de sa porte un panneau clignotant de milles feus en indiquant que le fameux trésor dont on nous a parlé des semaines plus tôt se trouvera à l’intérieur. Je crois que ça pourrait nous faire gagner pas mal de temps, vu le nombre de travaux à entreprendre pour balayer les pièces de chacune. Je me demande bien ce qui peut s’y trouver. Un vrai coffre, un avantage… Je bifurque sur la droite et me prends en pleine face quelque chose de non identifié, grand et solide. Et pour être grand, il l’est. Parce qu’on ne peut pas dire qu’on me qualifie très souvent de petit. Je vacille sur le côté sous l’impact du choc, mais je tiens assez sur mes pieds pour ne pas finir à terre, puis je relève la tête pour me retrouver nez à nez avec l’archétype du mannequin sur lequel toutes les téléspectatrices doivent se pâmer. Beau et pas très bavard. Du moins pas avec moi. « Arès, c’est ça ? » je lui demande, front plissé alors que j’essaye de m’assurer que ma mémoire ne me fait pas défaut. Au bout de deux semaines pleines, le nom de certains de mes colocataires m’échappent encore, mais je commence sérieusement à essayer de faire des efforts. « Excuse-moi, je ne faisais pas attention. » je reprends, avant de poursuivre en désignant d’un bref signe de tête la maison abandonnée qui se dresse quelques mètres derrière nous. « Je peux te réclamer une paire de bras supplémentaire pour déblayer l’intérieur ? Ca me fera un peu de compagnie. »

Je n'avais jusqu'ici pas mis un pas dans ces foutues maisons abandonnées. Et voilà que cette semaine, comme une envie de pisser, j'ai envie d'y passer ma vie. D'y découvrir ce foutu secret qui nous met tous en halène. J'aime les défis. C'est certainement l'une des raison qui m'a poussé à m'inscrire à Fake Lover hormis le fait que, ça aussi, ça m'a prit comme une envie de pisser. Je suis trop impulsif. Mes nike me portent donc sans que mon cerveau n'ait besoin de leur indiquer le chemin, jusqu'à ces demi-ruines dans lesquelles nous attendent un ménage fou. Je laisse mon esprit divaguer. Mes yeux son à moitié clos, le soleil est encore haut dans le ciel et me brûle les rétines. Inconsciemment, je lève le visage. Comme s'il allait bronze en quelques secondes. Comme si j'aspirais ma dose quotidienne de vitamine. Mes pensées virevoltent, les rayons me chatouillent. Je ne regarde pas où je vais, j'ai la sensation d'être seul au monde. Dans une bulle indestructible. Mais pas tant que ça, apparemment. Mon corps percute violemment celui d'un autre candidat. Nous vacillons, je me raccroche au premier mûr venu. Le choque m'a ramener sur terre avec violence, je suis un peu sonné. Cela dit, je souris. Comme à l'accoutumée et parce que je ne sais faire que ça. Le candidat qui me fait face ne m'est pas inconnu. Mais il ne m'est pas familier non plus. « Arès, c’est ça ? » J'incline la tête, il a juste. Quant à moi, mon esprit bouillonne afin de retrouver son identité. « Corto.. ? » je dis sans grande conviction. J'ai peur d'avoir faux et qu'il se vexe. J'ai simplement aucune mémoire visuelle et au niveau des prénoms. Et je ne me souviens pas lui avoir adresser la parole.. C'est l'occasion rêvée. « Excuse-moi, je ne faisais pas attention. » « J'étais ailleurs aussi, désolé. » je m'excuse d'une voix grave. J'aime pas ce genre de cérémonies entre deux personnes qui ne se connaissent pas. C'est ennuyant et embarrassant. « Je peux te réclamer une paire de bras supplémentaire pour déblayer l’intérieur ? Ca me fera un peu de compagnie. » Ça nous permettra de parler un peu, je suis conquis. J'incline la tête sans dégoiser un mot et je le suis à l'intérieur d'une des maisons. J'attrape quelques morceaux de bois qui gisent près d'une fenêtre sans vitre et puis, je brise le silence. « T'es en couple avec Mads, c'est ça ? » Je me souviens maintenant.. à peu près. J'hésite quelque peu et je me lance finalement. « J'ai eu l'occasion de la rencontrer elle est un peu.. Enfin elle a l'air absente. » ce n'est pas le terme que j'ai envie d'employer. J'veux pas qu'il l'entende comme si je la considère comme une malade, ce n'est pas le cas.

Il prononce mon nom du bout des lèvres sans conviction et j’approuve d’un vif signe de la tête pour le rassurer sur mon identité. C’est stupide comme façon de se rencontrer quand on y réfléchit. C’est digne des romans à l’eau de rose dans lesquels l’héroïne se prend en pleine face l’homme de sa vie, qui va pénétrer dans cette dernière avec la même brutalité qu’il l’a renversé. Sauf que cette fois-ci l’héroïne en question c’est moi et je suis prêt à parier qu’Arès n’est pas l’homme de ma vie pour plusieurs raisons manifestes. Il accepte de m’aider à entamer les travaux réclamés par Cupidon. J’entre dans la maison la plus proche avec à ma suite le jeune homme et me retrouve face à un vrai dépotoir. Poussière, meubles renversés, plancher éventré, on n’est loin de la demi-mesure du genre. Je me saisis les restes d’une chaise en bois et les observent sans réellement savoir quoi en faire. J’imagine que lorsque le chérubin disait vouloir qu’on nettoie les bâtisses abandonnés, jeter leurs contenus au milieu de la rue qui les traversent ne faisait pas partit de son plan d’action. Alors que je cherche du regard un coin où on pourrait peut-être stocker les débris, la voix du candidat vient rompre le silence de la pièce.« T'es en couple avec Mads, c'est ça ? » je lève des yeux mi-ahuris, mi-suspicieux dans sa direction, cherchant sincèrement à savoir ce qu’il me veut. Je l’observe quelques instants, avant de comprendre son propre sens du mot couple, que j’ai saisi avec ambiguïté. « Partenaires, oui. » je rectifie. Et rien d’autre. Tristesse. Il semble vouloir ajouter quelque chose et je continue à l’observer avec curiosité, les restes de bout de bois toujours emprisonnés entre mes mains. « J'ai eu l'occasion de la rencontrer elle est un peu.. Enfin elle a l'air absente. » Mes prunelles le fixent d’un air interdit. J’ai envie de beugler qu’elle n’est pas absente, mais parfaite. Ceci-dit, je risquerais de passer une nouvelle fois pour un idiot. Le mot me gêne. Manifestement, j’ai un grave problème avec l’emploie de mots simples en général. Absent, ça sonne péjoratif, mais je ne crois pas que ce soit le message qu’il souhaite me faire passer. Je me contente d’hausser les épaules. « Etre perdu dans ses pensées n’est pas une fatalité. C’est même assez naturel. La preuve, on l’était bien il y a quelques instants. Peut-être à une autre échelle, mais on l’était. ». C’est bien ce que ça veut dire "avoir la tête ailleurs", non ?

Je le connais à peine et j'ai l'impression qu'il est sec. Presque hautain. Il reprend mes mots comme pour se donner bonne figure. Comme pour montrer qu'il a plus de vocabulaire que moi. Comme pour me montrer qu'il est au dessus de moi, que je ne suis qu'une merde. « Partenaires, oui. » Je lève les yeux au ciel. J'ai envie de lui rétorquer que, pas la peine de jouer sur les mots, c'est ce que je sous-entendais. Que Cupidon nous a spécifier que nous étions en 'couple' avec notre partenaire et que ça n'a rien de péjoratif. Mais je me tais et je retourne à mon travail. Plus vite cette pièce sera terminée et, plus vite je serai dehors. Si j'avais l'impression que Corto était un homme bien, je retire. Tout à coup, il m'apparaît bien moins intéressant. Juste hautain. Je me hasarde tout de même sur le terrain de sa partenaire Mads que j'ai pu rencontré il y a quelques jours. Nos échanges avaient été brefs et pourtant, j'avais adoré. Mads est une fille simple, perdue en elle-même et ça l'a rend attendrissante. Fragile. On a envie de la protéger, de la prendre sous son aile et de la choyer comme un objet précieux. « Etre perdu dans ses pensées n’est pas une fatalité. C’est même assez naturel. La preuve, on l’était bien il y a quelques instants. Peut-être à une autre échelle, mais on l’était. ». Sa réponse me glace les sangs. Il pense peut-être m'atteindre avec son élocution ? Sa façon de parler plus bourgeoise que la mienne ? Plus littéraire, plus soutenue ? Je le dévisage, sans retenue. « Ce n'est pas ce que j'entendais pas "absente". » je réponds simplement sur un ton monocorde. Je n'ai pas envie de m'épancher, je ne désire pas me justifier. Mais, tandis que j'attrape un énième morceau de bois à jeter, je me tourne en sa direction. Et je le fixe de mes prunelles sombres. « J'ai ressentis Mads comme une pierre précieuse à chérir. » C'est tout. C'est ce que j'ai eu comme impression lors de notre rencontre aussi furtive soit-elle. Passons à autre chose, par pitié cette discussion tend mes nerfs. « Tu viens d'où ? » je demande alors pour faire la conversation. Conversation autre que le sujet Mads qui a l'air sensible.

Entre Fantine qui n’a cessé de me rabattre les oreilles à propos des regards que je jette à Mads et Arès qui me demande si je suis en couple avec elle, mais qui en fait ne me le demande pas, je suis complètement déboussolé. Alors oui je le rectifie, sur la défensive, et je voie bien par le mouvement de ses yeux vers le ciel que ça ne lui plait pas, mais je n’y peux rien. « Ce n'est pas ce que j'entendais pas "absente". » me répond-il d’un air interdit, tout en me dévisageant d’une façon qui met mal à l’aise. Je détourne les yeux et les laisse glisser sur absolument tout ce qui m’entoure, tant qu’il ne s’agit pas du jeune homme. Il y a quelque chose dans l’air qu’il affiche sur son visage qui me gêne, j’ai l’impression qu’il juge mes réactions. Des réactions pas forcément justifiées, mais Fantine doit avoir raison lorsqu’elle m’accuse de jalousie. « J'ai ressentis Mads comme une pierre précieuse à chérir. » me précise-t-il et je ne peux que lui donner raison, mais je me contente de me baisser pour me saisir de deux autres bouts de bois. Inutile d’en rajouter, je crois m’être assez donné en spectacle au sujet de Maddie depuis le début de l’aventure. Mais je suis comme ça, lorsque quelque chose me tient à cœur, je le défends corps et âme au risque de me montrer d’une excessivité affolante. « Tu viens d'où ? » demande-t-il, changeant radicalement de sujet à mon grand bonheur. Je relève ma tête dans sa direction. « Du sud des Etats-Unis. A Savannah. » J’hausse les épaules, il n’y a pas grand-chose d’autre à rajouter. La ville où je vis représente assez bien ce qu’on peut attendre des côtes sudistes : chaleur, quiétude, musique et histoire. « Et toi tu viens d’où ? » je demande avec curiosité, tandis que je me penche une nouvelle fois en avant. J’ai fini par me décider à entreposer tous les débits qui croiseraient mes doigts dans un coin reculé de la pièce, c’est donc en faisant quelques pas vers ce dernier les mains encombrées que je reprends la parole. « Tu étais déjà venu en Provence. Je n’arrive pas à m’acclimater au temps : il fait chaud et froid en même temps, c’est très étrange. » Bienvenue sujet insipide : la météo. Mais j’ai toujours trouvé les silences pesant et celui qui s’est installé entre moi et l’habitant atteint de sommets dans la matière.