Comme souvent, Ismay traversait la place du village pour se rendre d'un endroit quelconque à un autre endroit quelconque, ces deux variables changeant selon le moment de la journée, son humeur, ses envies, les autres, et tout ce qui constituait son existence et son quotidien au sein du nid. Parfois captivant, parfois moins. Parfois joyeux, parfois moins. Là, tout de suite, elle avait les bras repliés sur sa poitrine le fil de son casque tapotant sur son avant-bras suivant le rythme de ses pas tantôt lents, tantôt précipités. Lorsqu'elle marchait, elle pensait toujours à quelque chose, la désintéressant complètement de l'allure qu'elle pouvait bien avoir, dévisageant plutôt la paire de pompes parfaitement cirée du mec d'à côté ou écoutant la façon dont une mère réprimandait son enfant qui voulait absolument une glace, quitte à passer sous une voiture tant que c'était pour la bonne cause. Se serait-elle mise à slalomer entre les fissures dans le sol de pierre comme une ivrogne qu'elle ne s'en serait même pas aperçue. C'est donc avec les dernières notes qu'elle redressa la tête et ralentit, son regard tombant sur l'imposant centre de la fontaine qui se tenait au centre de la place. Ouvrant de grands yeux, puis plissant les paupières, elle constata avec effroi qu'elle ne parvenait à distinguer les motifs - si motifs il y avait - ornant la pierre. Ça n'allait pas du tout. Pas du tout. Inconsciemment, elle dévia dans cette direction sans apercevoir la touffe orange qui passait par-là. Puis forcément, ce n'est que lorsque l'obstacle se retrouva à moins de dix centimètres qu'elle ne daigna lui prêter attention, juste à temps pour sauter sur le côté en envoyant valdinguer son iPod qui retomba exactement sur la chaussure droite de... Gaspard. « Pardon ! Pardon ! Désolée, pardon ! » Vu la vitesse à laquelle elle récupéra son bien, on aurait presque pu croire qu'elle s'adressait à lui et non pas au jeune homme. Fourrant rapidement l'objet dans la poche de son sweat, elle jeta un coup d'oeil inquiet au pied de son homologue candidat. Non parce que se prendre un iPod sur le pied, elle avait déjà fait l'expérience et c'était franchement pas aussi "rien" qu'on le pensait. Hasardant un sourire plein d'étoiles en même temps qu'un commentaire ridicule tel que « j'adore tes cheveux » elle se mit à détailler son visage de son grand regard curieux, levant les doigts jusqu'à l'une ses boucles qu'elle enroula autour de son doigt. Il était loin de ces beautés traditionnelles, avec son nez bizarre et sa banane sur la tête et pourtant, son visage avait quelque chose de sympathique. « Ne laisse jamais un tube de coloration ou une paire de ciseau mal-intentionnée s'en approcher. Jamais ! conseil d'amie... » ça lui apparaissait comme une évidence, au fur et à mesure qu'elle dévisageait ses traits, et sans doute allait-il la trouver un peu grossière de le fixer ainsi, mais il était important qu'il sache qu'il ne devait surtout pas, surtout pas prendre d'initiatives irréfléchies à propos de ses cheveux.

Vous savez pourquoi j'aime cette place? Parce qu'elle est au centre de tout, et qu'il ne s'y passe rien. Elle se veut le cœur palpitant de l'action et se voit délaissée pour les plaisirs de la périphérie. Les places du villages, en règle générale, sont censées abriter tous les commerces, les marchés, les mendiants, les gamins qui s'ennuient le dimanche et la statue immense et protectrice d'un saint, d'un poète ou d'un dictateur local bien aimé. Ici, le désert. Comme dans les westerns spaghettis, le vent qui souffle et fait rouler les petits cailloux de la place parvient au x oreilles de celui qui s'y trouve seule, vulnérable, à la vue de tous ceux qui restent dans l'ombre. Une proie facile pour les pigeons qui survolent l'endroit... Un « poc » résonnant contre ma chaussure me fait baisser les yeux: pitié, non, pas ça, pas ça, pas la crotte blanche et coulante du pigeon qui tombe habituellement dans les cheveux gominés d'un type en pleine mission drague, me faisant habituellement rire stupidement, non, pas moi. Pas aujourd'hui, en effet, puisqu'il s'agit d'un iPod, immédiatement ramassé par une main empressée, comme si elle m'avait fait tomber la statue de Staline sur le crâne. Ismay se répand en excuses, tant que je ne sais même pas comment l'arrêter pour la calmer et lui dire que ça n'a aucune importance, je ne suis pas pieds-nus, je n'ai rien senti, et que j'espère même que son iPod n'est pas endommagé. Elle ne m'en laisse pas le temps, se redressant soudainement et fixant mes... cheveux d'une façon si intense que je rejette légèrement la tête en arrive, sourcils à demi froncés. Quoi? On évolue dans la même ville miniature depuis trois semaines, on a déjà passé trois soirées à quelques mètres l'un de l'autre, et elle me regarde comme si c'était la première fois qu'elle me croisait. C'est quoi la prochaine étape, me demander comment je m'appelle alors que j'ai été nominé toute une nuit et qu'elle a pu voir mon prénom écrit sur écran géant pendant six heures consécutives? Ou peut-être a-t-elle pris au premier degré la chronique qui a été faite sur moi au prime et elle s'imagine que j'ai honte d'avoir les cheveux flamboyants, auquel cas elle tente de me rassurer aimablement? Je ne sais même pas quoi lui répondre, alors je me contente d'un embryon de sourire. Je ne lui renverrai pas le compliment, elle est brune, rien d'extraordinaire jusque là. Sa seconde remarque m'arrache un vrai sourire, et je me prends à la regarder plus attentivement que d'habitude. Avec son piercing et son noir sous les yeux, elle faisait pourtant assez rebelle, de loin, mais elle est visiblement adepte de l'immobilité et contre le changement chaotique. Apparences trop trompeuses. Je lui désigne ma coupe de l'index, mon crâne rasé de chaque côté et mes boucles oranges qui parcourent le haut de ma tête sans dessus-dessous. « Regarde-moi mieux, tu devrais vite comprendre que je suis le genre de tête qui adore les nouvelles expériences. » Et comment. Je n'ai jamais, de toute ma vie, foutu un pied chez le coiffeur. Mes coupes viennent tout droit des mains peu expertes de mes ami(e)s, et je change de coiffure aussi souvent que l'envie me prend. Qui sait, demain, j'aurai peut-être une iroquoise sur le crâne.

Prolifération des rouquins à Fake Lover. En seulement une saison, on passait de seulement un à trois représentants. À croire qu'après la vague de blagues vaseuses et peu recherchées qui avaient fusés sur cette couleur, c'était devenu hype d'avoir les cheveux couleur carotte. Ismay, elle, elle adorait ça. En vrai, elle adorait toutes les couleurs de cheveux, sauf le blond, qu'elle aimait moins, mais qui passait quand même. C'était la seule couleur "naturelle" qu'elle n'avait encore jamais testé, en considérant que l'auburn et le bordeaux appartenaient à la famille des roux. Elle l'imaginait sorti d'un moule je m'en foutiste et aventureux, au vue des côtés rasés de son crâne. Le genre de coupe osée qu'on ne tentait pas lorsqu'on était trop sérieux, trop conservateur, leur préférant l'éternel "coupage de pointes". Tandis que la voix de Gaspard résonnait tout autour de la place, l'anglaise recula d'un pas vers la fontaine et se hissa sur la paroi en pierre maintenant l'eau dans le bassin. Levant juste un peu les bras dans un mouvement plus symbolique que vraiment utile, elle avança lentement, en équilibre, jusqu'à avoir tracé l'angle complémentaire à sa position initiale. « Je comprends surtout que ce n'est pas la peine que je te demande ce que tu fais là. » Et un sourire vague souleva les commissures de ses lèvres adressé à ses Doc Martens tandis qu'elle tournait les talons et repartait, lentement. Évident, ainsi. Ou peut-être avait-il d'autres motivations plus secrètes et nébuleuses mais il apparaissait clairement qu'il recherchait la nouveauté. Fake lover devait le combler. Ou pas. Ignorant encore quel genre d'insatisfait il était, elle ne pouvait que se laisser aller aux suppositions, ce à quoi elle s'adonnerait avec joie. Un peu plus tard. D'abord elle parlait, ensuite elle méditait. C'était le deal. Et là, tout de suite, on en était toujours à la phase parler. Redressant le nez, son regard fut à nouveau attiré par sa tignasse. « Donc tu me laisserais te teindre les cheveux en bleu. » Affirmation dissimulant une interrogation sous-jacente. S'il pensait réellement ce qu'il disait, il ne pourrait dire non, sous peine d'être non seulement une couille-molle mais en plus un charlatan. Ce qui serait dommage. Parce qu'il serait plutôt cool avec la touffe bleue, pas vrai ? Dieu bénisse son imagination, elle l'y voyait déjà, se représentant parfaitement le jeune homme au visage orné d'une chevelure made by Gargamel.