ft. svenouille.

En somme, une fin d’après-midi comme les autres ; j’avais passé la journée à dormir, à bouffer, à me déplacer du canapé au lit, du lit au canapé. Si je m’ennuie ? A peine… Ma partenaire, dans son infinie bonté, a tout de même eu la gentillesse de m’apporter, en plus de sa présence fort plaisante, quelques bouquins épais comme la Bible destinés à me faire passer le temps : même si je ne suis pas un lecteur assidu, je lui en suis cela dit grandement reconnaissant. Alors, après avoir nettoyé les toiles d’araignées décorant le plafond de ‘ma’ chambre, fait longuement trempette dans ma superbe baignoire empire fendue de par et d’autre et passé un bas de jogging et ma paire de lunettes, je me laisse choir sur mon canapé en velours rouge, la nuque sur un accoudoir, la cheville sur l’autre, attrapant le premier livre me tombant sous la main : les Misérables. Je ne peux m’empêcher de sourire : Fantine, ne me dis pas que tu ne l’as pas fait exprès. Ajustant mes double-foyers sur mon nez, je me plonge alors dans la lecture de ce classique, dévorant chaque ligne des aventures de Jean Valjean, Fantine et les Thénardier. Il n'avait pas de gîte, pas de pain, pas de feu, pas d'amour ; mais il était joyeux parce qu'il était libre : moi, pour faire court. Je ne sais combien de temps je passe à me délecter de ce vieux français, si ce n’est que le soleil semble définitivement couché. Encore une énième soirée passée seul, pour faire simple. Je détourne vivement la tête, surpris par le grincement soudain de l’immense porte d’entrée : un Sven tout guilleré se ramène bien vite, avant même que je ne l’invite à entrer. « Oh oui, bien entendu, entre donc. », lui dis-je d’un ton sarcastique. Un peu de tenue tout de même, on ne s’invite pas ‘chez moi’ sans prévenir. Les yeux ne quittant pas le papier, je fais mine de rester indifférent à sa présence. « Que me vaut l’honneur de ta visite ? » J’aurais préféré qu’il se passe me voir plus tôt, le bougre. Alors oui, il mérite bien une gueule en biais, le temps que je le pardonne.

A vrai dire, j’attendais sa visite depuis mon arrivée ici, pensant très sincèrement que Sven serait l’un des premiers à venir gentiment se foutre de ma nouvelle demeure et de mon statut d’exilé. Mais non, il n’en était rien, aucune trace de mon camarade. Alors oui, effectivement, je compte bien lui en tenir compte, surtout s’il se pointe comme une fleur en tentant de me faire les yeux doux. Ce genre de procédé ne prend pas sur moi, tu devrais t’en douter… Je tente quelques remarques un brin acerbes, remarques qu’il ne relève même pas. Etonné de ce manque de réaction, je détourne finalement les yeux de mon bouquin, les relève vers mon camarade. Se taire de la sorte ne lui ressemble tellement pas. Réellement interloqué, je pose mon livre et, réajustant mes lunettes sur mon nez, me lève puis m’avance vers Sven, fronçant les sourcils devant cette expression bien étrange que je n’avais jamais, ô grand jamais, eu l’occasion de voir sur son visage. Merde, on dirait qu’on vient de lui annoncer la mort de ses tortues. Enfin, seulement il a des tortues. « Hé, t’es sûr que ça va ? J’pensais que tu s’rais plus content qu’ça de me voir. » A peine ai-je fini ma phrase qu’il marmonne un ‘S.O.S calin’ avant de se jeter sur moi, ses bras autour de ma taille et son visage entre mes clavicules: c’est officiel, quelque chose cloche. Très sévèrement. Je ne le brusque pas, lui frotte doucement le dos du bout des doigts en posant mon menton sur le haut de son crâne. Une minute, deux minutes, j’entreprends de nous séparer tandis qu’il me remercie ; posant mes mains sur ses épaules, je baisse la tête et tente de sonder son regard. « Bon, dis-moi tout jeune homme. Sïana t’a encore volé ton second croissant c’matin ? » lui dis-je en esquissant un sourire, espérant lui rendre le sien. Très honnêtement ? Ca me retournerait presque le cœur de le voir comme ça. Une grimace de plus, et c’est moi qui verse une larme.