Sven

JEUDI 18 OCTOBRE ; 15H12
LAC

Je longeais le lac, totalement perdu dans mes pensées, les mains dans les poches pour tenter de les réchauffer - il faisait plutôt frais cet après-midi, et, tête en l'air, j'étais également sorti sans me couvrir la gorge. Déjà que je couvais quelque chose, je n'allais certainement rien arranger. D'ailleurs, le vent dans la figure, très désagréable sensation que celle-ci, me donnait presque envie de faire demi-tour et d'aller me mettre au chaud. Seulement je ne tardais pas à arriver près des embarcations, et une barque attira bientôt mon attention, tandis qu'il me semblait entendre quelqu'un arriver sur le côté. Je tournai la tête et vis Sven, à qui j'offris un grand sourire qui n'avait vraiment rien d'hypocrite. Bon, maintenant que Ronald McDonald était là, j'avais une raison de rester dehors quelques instants. Plus même, pourquoi pas, s'il s’avérait d'une compagnie convaincante. « Tu penses que cette barque supportera nos deux poids ? » fis-je à son attention, ne quittant pas des yeux la barque en question. Pas que nous étions embonpoints lui et moi, seulement imaginez un peu que celle-ci n'eut été conçue que pour supporter le poids d'un homme et d'un écureuil... Je ne tenais pas tellement à grimper dans cette barque et à voir celle-ci se retourner aussitôt. Et au vu du temps et des températures actuelles, une petite baignade dans ce lac était, disons, déconseillée. D'ailleurs, une autre interrogation me vint à l'esprit, alors que je fixai ce lac qui semblait quand même assez profond. Du moins en apparence... je n'en distinguais pas le fond de là où j'étais. « Tu sais nager ? » repris-je donc, tout en reportant le regard sur Sven. Pour ma part je savais nager et depuis belle lurette, mais si ça n'était pas son cas, il pouvait bien me l'avouer hein, ça resterait bien entendu entre lui, moi, et cette barque. Barque qui me faisait les yeux doux, et dans laquelle j'avais quand même bien envie de grimper, c'est vrai. Mais mes doutes concernant sa solidité et sa résistance persistaient.

Je me balade non loin du lac, pensif. Je suis souvent pensif ces temps-ci, il faut dire que j'ai beaucoup de choses auxquelles penser, réellement. Les mains dans les poches, je sors rapidement une clope du paquet où elles restent droites avec ses congénères, l'allume serrée entre mes lèvres et camouflée du vent à l'aide de mes mains formant une barrière courbée. La première taffe me fait énormément de bien. Ca me relaxe. Je passe ma main droite dans ma mèche de cheveux qui retombe comme toujours en pensant à la petite solution que Mads m'avait proposée la dernière fois. J'tâcherai d'utiliser sa barrette plus souvent. Au loin, sur la rive du lac, j'aperçois la silhouette du grand marrant – enfin petit marrant plutôt – Malik. Je m'entends désormais mieux avec lui, bien qu'au début j'ai pu lui paraître quelque peu vulgaire – ce que je suis et assume totalement. Il a juste mis quelques temps à s'y accommoder. Je me rapproche de lui, lui donne une tape amicale sur l'épaule suivie d'un sourire. Il me désigne la barque du regard. Je la jauge, à mon tour, de mes yeux brillants. « Evidemment, poids plumes que nous sommes, cette barque fera l'affaire j'imagine » je dis en regardant nos deux silhouettes, maigres comme des pinceaux. « Je me débrouille, méthode du chien paniqué mais j'me débrouille » je lâche, en me marrant par la suite, étant resté sérieux le temps de la phrase. « Je sais que t'en meurs d'envie » je fais, avec un regard coquin et une voix suave. De la barque bien entendu. J'ai juste envie qu'il s'imagine des choses, voyez. Ce qu'il fit instantanément, vu l'expression de son visage. Je me fous à rire, ça y est il m'a mis de bonne humeur.

Une petite escapade en barque me tentait bien, et puisque Sven me faisait l'honneur d'être là lui aussi, je me dis qu'après tout je ne risquais rien à grimper là-dedans à ses côtés. Enfin, encore fallait-il que cette barque supporte nos deux poids, ce qui me laissait quand même assez dubitatif et inquiet je dois dire. « Evidemment, poids plumes que nous sommes, cette barque fera l'affaire j'imagine. » Poids plume, poids plume... Lui d'accord, mais je n'en étais pas certain me concernant. Bon, c'était flatteur malgré tout. Du coup je complexais un peu moins avec ça. Et sinon, en cas de pépin, Sven savait-il nager ? « Je me débrouille, méthode du chien paniqué mais j'me débrouille » rétorqua-t-il, tandis que je laissai s'échapper un rictus. Néanmoins il ne me fallu pas beaucoup de tenter pour changer brutalement d'expression. Sven le vicieux était de retour. « Je sais que t'en meurs d'envie » fit-il tout en me lançant un regard totalement déstabilisant, un regard de pervers quoi. Il se mit à rire, moi pas du tout, même, j'étais prêt à quitter sur le champ cette barque s'il recommençait avec ses allusions indigestes, déplacées et lourdes de sens. « Sven... on est à peine assis que déjà tu commences... » Une façon tout à fait subtile de lui dire "pépère, aurais-tu l'amabilité de calmer tes ardeurs et, pourquoi pas, d'éviter de me mettre mal à l'aise à nouveau comme tu en as le secret". Sven savait comment m'atteindre, m'intimider, et il savait aussi que certains propos n'étaient pas à débiter sous peine de me gêner fortement. « La dernière fois je t'ai entrainé dans l'eau avec moi. Rien ne m'empêche de te faire passer par dessus bord si tu n'es pas sage. » lui signifiais-je, tout à fait sérieusement. Le but n'était pas de lui faire peur, juste de lui faire comprendre que son arme à lui résidait dans ses paroles, et la mienne dans ma réactivité. Quand même, j'aurais aimé le faire passer par dessus bord rien que pour voir le chien paniqué en pleine action.

C'est que le petit piège fonctionna à merveille, en plus, je ne me savais pas bien comédien. Ou alors est-ce l'égyptien qui est un grand naïf de nature, je ne sais pas trop dire quelle proposition reflète le mieux la réalité. Les deux certainement. Alors évidemment, il se choque, s'offusque, en grand moine chaste qu'il est hein, c'était à prévoir. Le petit homme plein de bon sens à qui il ne fallait pas parler de cul ouvertement. Encore moins d'homme à homme sur du cul entre hommes, hein, là il prendrait bien ses jambes à son cou j'en suis totalement convaincu. Et moi dans tout ça? J'affiche un grand sourire car évidemment je ne parlais pas de le tringler dans la barque en plein lac non. Bien que ce puisse être tentant dans mon petit cerveau d'obsédé mais passons. Je le laisse alors essayer de m'intimider. Je le regarde continuer, avec un petit sourire en biais. Je le laisse s'enfoncer, c'est tellement jouissif. Je croise même les bras histoire de lui montrer que j'attends que sa tirade soit finie. « Je ne parlais que de monter dans la barque » je fais, haussant les épaules avec un petit sourire moqueur, mais gentillet. « Tu t'es fait des idées tout seul, mon grand » j'ajoute toujours avec mon sourire, le regardant drôlement. Alors mon coco, calme-toi, je ne tiens pas à te déclasser les fesses, rassure-toi.

Il était bien gentil, le clown, seulement je le voyais venir, avec ses drôles d'insinuations tout à fait douteuses qui ne trompaient personne. Je tentai de m'imposer, un peu lamentablement puisqu'il s'agissait là de menaces que je ne mettrais jamais à exécution, et bientôt il tenta de faire passer tout ceci pour un malencontreux quiproquo. « Je ne parlais que de monter dans la barque » me fit-il savoir, tandis que j'esquissais un sourire du genre "ouais ouais, bien sûr, je vais te croire aussi". Et même si cela avait été vrai, il n'en restait pas moins déterminé à me mettre mal à l'aise, et ceci l'amusait beaucoup puisqu'il s'était fendu la poire par deux fois en l'espace de quelques instants. « Tu t'es fait des idées tout seul, mon grand » qu'il répliqua ensuite. Oui, assurément. Je me faisais des films, Sven n'avait aucune idée déplacée en tête et nous nous trouvions en Papouasie. J'étais persuadé qu'en plus de cela, il n'aurait pas dit non. Je décidai de l'ignorer quelques instants. Je n'avais, de toute façon, plus grand chose à lui dire. Puis je soupirai. Pourquoi ? J'en sais rien, je crois que je ne voulais pas nous laisser plonger dans un profond et pesant silence. « Bref. » Une voix intérieure me criait qu'il était grand temps de prendre place dans cette barque, depuis le temps que nous étions plantés devant à parler. « Après toi. » J'exerçai un ample geste de la main, le conviant à y grimper le premier. Une fois qu'il eut poser un pied à l'intérieur, puis l'autre, je fis de même et nous nous retrouvâmes bientôt, assis l'un en face de l'autre, à nous regarder dans le blanc des yeux sans rien nous dire. Cela dura plusieurs instants, qui me semblèrent durer une éternité. En plus, un courant d'air se glissa sous mon pull, me faisant ainsi frissonner. C'était bien le moment. Et sinon, on pouvait éventuellement envisager de renouer le contact, non ? Je me lançai. « Tu sais que ta partenaire t'apprécie beaucoup... » Je le savais des propres aveux de Sïana, qui n'avait pas hésité à prendre sa défense lors de notre première rencontre. Une jeune femme adorable, et visiblement bien tolérante. Elle ne voyait probablement que le bon côté de Sven. Hélas il demeurait cet autre côté qui ne semblait véritablement déranger que moi.