Lire n'était pas qu'une activité comme une autre aux yeux de Raphaël. Cela n'était pas non plus un vulgaire passe-temps. Tout comme cela n'avait rien à voir avec le simple désir de se cultiver. Lui, il lisait par plaisir, et parce qu'il aimait lire, tout simplement. Si cela le distrayait, tant mieux. Mais c'était véritablement par amour pour la Littérature qu'il passait autant de temps le nez dans des bouquins. Il avait commencé à se prendre d'adoration pour de grands ouvrages dès son adolescence, lorsqu'il avait eu besoin de trouver un moyen d'échapper à son quotidien terne et malheureux, lorsqu'il avait eu besoin de trouver une façon de libérer son esprit de sa prison de pensées psychotique. Alors il avait commencé par lire quelques classiques, qu'ils soient anglais, français ou bien allemands - puis s'était dirigé vers une littérature de plus en plus fleur-bleue, sentimentale. Son romantisme avait accru en même temps que son plaisir de lire, alors il ne s'était pas privé de passer de longues heures devant des romans de Jane Austen, à se prendre pour les héros de ses œuvres, à s'imaginer vivre des aventures romantiques des plus belles, des plus passionnantes, alors que l'être solitaire qu'il était et qu'il avait d'ailleurs toujours été n'avait jamais connu personne. Ses lectures lui avaient alors permis de vivre par procuration, et à travers les aventures de tous ces héros romantiques, ce que la vie n'était visiblement pas décidée à lui offrir. Mais aujourd'hui, il n'était pas d'humeur à lire avec une naïveté déconcertante toute histoire romantique tirée par les cheveux qui, assurément, lui aurait plu s'il ne peinait pas à comprendre pourquoi son cœur le faisant tant souffrir ces temps-ci. Mais il resta fidèle à son auteur fétiche, à celui qui lui avait donné goût à la Littérature. Victor Hugo. Il se saisit alors des Contemplations du célèbre écrivain français, après avoir pénétré dans la spacieuse bibliothèque, et avant de s'assoir dans un petit coin de celle-ci. S'y voyant seul, il se permit de lire à haute-voix. Oui, parfaitement. « Je lisais. Que lisais-je ? Oh ! le vieux livre austère, le poème éternel ! — La Bible ? — Non, la terre. Platon, tous les matins, quand revit le ciel bleu, lisait les vers d’Homère, et moi les fleurs de Dieu. J'épelle les buissons, les brins d’herbe, les sources ; et je n’ai pas besoin d’emporter dans mes courses. Mon livre sous mon bras, car je l’ai sous mes pieds. Je m’en vais devant moi dans les lieux non frayés ... » Un bruit se fit entendre. Il releva automatiquement la tête. Personne. Bon. Fausse alerte, donc. Il reprit alors sa lecture. Oui, toujours à haute voix. « ... Et j’étudie à fond le texte, et je me penche, cherchant à déchiffrer la corolle et la branche. Donc, courbé, — c’est ainsi qu’en marchant je traduis, la lumière en idée, en syllabes les bruits, — J’étais en train de lire un champ, page fleurie. Je fus interrompu dans cette rêverie ... » Et interrompu, effectivement, il le fut. Car voilà que Jared débarqua de nul part. Il ne l'avait ni vu, ni entendu arriver. Et honnêtement, il lui avait fait peur. « Hm, depuis combien de temps es-tu là, Jared ? » le questionna-t-il alors, dans une moue gênée. Parce qu'évidemment, il aurait préféré pouvoir lire tout haut sans que personne n'ait rien entendu. Trop rêveur, ce Raphaël.

J’entends une voix claire et forte s’échapper de je ne sais quelle pièce à l’étage, du coup je monte et la voix s’interrompt. Peut être que j’ai fais du bruit sur les escaliers, il y a deux trois planches qui grincent et peut être que le candidat m’a entendu ? Je monte encore et la voix reprend, maintenant que je suis plus proche de la source sonore je distingue clairement les paroles – en français, que je ne comprends pas – et la voix du candidat : c’est Raphaël. Je m’approche encore et essaie d’ouvrir la porte le plus doucement possible mais il m’a entendu et s’arrête de lire, se tournant vers moi. « Hm, depuis combien de temps es-tu là, Jared ? » Je souris et m’approche. « Cinq minutes, même pas, mais si ça peut te rassurer je n’ai rien compris à ce que tu disais, je ne parle pas français. » Je comprends suffisamment la langue pour pouvoir me débrouiller et la reconnaître quand je l’entends mais là, je n’ai rien compris à ce que Raphaël disait, il lisait surement puisqu’il a un livre entre les mains. Au moins il sait lire les livres de cette bibliothèque puisqu’il parle le français. « Qu’est-ce que tu lisais ? » demandais-je en m’approchant un peu de lui, surement un auteur que je ne connaissais pas, moi en cours j’avais étudier Shakespeare et Oscar Wilde, la littérature anglaise, donc.

L'avantage d'être suisse était incontestablement le fait d'avoir baigné dans une culture linguistique pour le moins diversifiée, ayant alors appris le parler et de la lecture française, mais également - et plus partiellement, disons - anglaise et allemande. Pour en revenir à la langue de Victor Hugo, c'est justement pour un ouvrage poétique bien connu de ce dernier que Raphaël avait craqué en ce début de soirée. Ce recueil de poèmes, il l'avait déjà lu à plusieurs reprises, comme la plupart des œuvres du célèbre auteur des Misérables. Il le trouvait fort bien écrit, des plus plaisants, et ne s'en lassait pas. C'est alors qu'il se mit à lire à haute voix l'un des poèmes du dit recueil. Il admirait cette fluidité dans les vers, ces rimes riches et magnifiques, sans pour autant que ce poème ait l'air trop travaillé. Mais voilà que tandis qu'il continuait de lire tranquillement en laissant sa voix s'étendre à travers la pièce, il nota la présence de son camarade, Jared, qui devait quelques peu trouver curieux qu'il lise tout haut, un peu comme s'il pouvait penser que sa lecture intéresserait le monde entier. Jared disait alors être ici depuis environ cinq minutes, et ne pas parler français, ce qui avait effectivement du l'empêcher de comprendre ce qu'il venait d'énoncer. On dit bien, en plus, que le français est une langue difficile à apprendre, à assimiler. Un sourire bienfaisant gagna alors les lèvres de Raphaël, tandis qu'il laissa sa lecture de coté pour se concentrer exclusivement sur la présence de son camarade. Par politesse, Victor Hugo allait attendre. « Un recueil poétique, Les Contemplations, de Victor Hugo. Je ne sais pas si cet écrivain français te dit quelque chose » fit-il alors, dans un sourire compréhensif. Lui aussi, si on lui parlait d'un auteur irlandais, il aurait du mal à tout assimiler. « Le poème que j'étais précisément entrain de lire n'est pas le plus connu du recueil. "Demain, dès l'aube" est sans conteste celui qui demeure le plus fameux de son œuvre ... » Il posa son regard sur le livre qu'il tenait, le feuilletant distraitement, avant de remonter les yeux vers son camarade. « Hugo en a aussi écrit un pour sa défunte fille, qui se trouve à la toute fin du recueil ... Je me souviens avoir arrêté de compter le nombre de fois où j'ai pu pleurer en le lisant. » Un sourire embarrassé naquit sur ses lèvres. Par là, Jared comprendrait probablement que Raphaël était un grand sensible. Mais peut être ce voyait-ce, hm.

J’avais probablement dérangé Raphaël dans sa lecture mais il ne me dit rien… Evidemment, c’est Raphaël, je crois qu’il n’oserait même pas me dire si je le dérange donc je devrais peut être le lui demander ? Non, j’ai pas envie de prendre le risque qu’il me réponde oui et que je doive me casser. Je m’ennuie et j’ai envie de compagnie, même si je me sens toujours plus ou moins mal à l’aise en compagnie de Raphaël il ne semble pas être particulièrement triste aujourd’hui. Ou alors, peut être que si mais je n’ai rien compris de sa lecture je ne sais pas si il y a quelque chose à tirer de ce coté-là. « Un recueil poétique, Les Contemplations, de Victor Hugo. Je ne sais pas si cet écrivain français te dit quelque chose » Hm, vaguement, y’a pas une rue ou un place, ou un truc du style qui porte ce nom à Paris ? si, surement et comme j’y ai été je suis peut être déjà passé par là. Mais bon, ça me dit rien de plus que ça donc bon. « Non, je connais pas. » J’avoue, un peu pantois, je me sens inculte je dois bien l’avouer. « Le poème que j'étais précisément entrain de lire n'est pas le plus connu du recueil. "Demain, dès l'aube" est sans conteste celui qui demeure le plus fameux de son œuvre ... » Je ne connais pas non plus, évidemment. « Hm, je connais toujours pas. Les écrivains français que je connais sont Baudelaire et Verlaine » De réputation. Je sais que l’un à tiré sur l’autre, enfin je crois, je sais plus exactement et honnêtement je m’en fou un peu. « Hugo en a aussi écrit un pour sa défunte fille, qui se trouve à la toute fin du recueil ... Je me souviens avoir arrêté de compter le nombre de fois où j'ai pu pleurer en le lisant. » Je passe une main derrière ma nuque. « Peut être que, justement, tu devrais lire quelque chose de plus joyeux ? » Et peut être que je devrais me taire. On est pas pareil lui et moi, il est profondément pessimiste et moi, l’inverse. Ce qui fait que j’ai du mal à comprendre cet être, pourtant j’aimerais bien saisir les nuances de sa personnalité mais je crois que je n’y arriverai jamais. Probablement qu’il ne me comprendra jamais non plus.

On avait bien souvent répété à Raphaël qu'il lisait trop. Selon ses proches, passer son temps le nez dans les bouquins n'était guère mieux que de le passer devant un poste de télévision. On lui avait reproché de se couper du monde, de passer bien trop de temps à vivre par procuration, à travers des aventures littéraires, et de s'empêcher de vivre comme il le devrait. Et peut être était-ce effectivement le cas. Oui, peut être passait-il un peu trop de temps, en effet, le nez dans les oeuvres de Victor Hugo. Peut être était-ce d'ailleurs le cas depuis de nombreuses années. Et peut être était-ce justement l'une des raisons qui l'avaient rendu si associable, si coupé du monde, d'autrui, de la société. Aujourd'hui, il se comportait comme un être profondément reclus, isolé des autres, et ça lui convenait de moins en moins. Alors bien sûr, c'était assez honorable de passer autant de temps à lire, notamment des classiques de la Littératures Françaises, et des poèmes qui plus est, mais il est vrai qu'il passait peut être un peu trop de temps à vivre d'une manière inappropriée. Quoi qu'il en soit, la présence de Jared ne le dérangeait pas. Son camarade lui avait fait savoir qu'il ne maitrisait pas le français, puis venait d'ajouter qu'il ne connaissait pas tellement Victor Hugo et ses oeuvres. Un sourire compréhensif naquit alors sur les lèvres de Raphaël. Son camarade n'avait pas à se sentir embarrassé, vraiment. Qu'importe qu'il ne connaisse pas cet auteur ou son travail. Il n'était pas francophone, et même si cela avait été le cas, ça n'en aurait pas été plus critiquable. Nul doute qu'il devait avoir une culture et des références différentes, voilà tout. Par la suite, Jared lui fit savoir qu'il connaissait par contre Baudelaire et Verlaine. Ah, tout de même, ça n'était pas rien. « Et tu as déjà eu l'occasion de lire certaines de leurs oeuvres, qu'elles soient traduites ou non ? » demanda-t-il légitimement. Cette confession le rendait naturellement curieux. Il ne tiendrait pas rigueur à Jared de connaitre ces auteurs sans connaitre leurs oeuvres, évidemment. C'était simplement histoire de se renseigner. Mais voilà qu'aux paroles de Raphaël, son camarade suggéra qu'il lui faudrait lire des choses plus joyeuses, moins attristantes. Hm, ça, on le lui avait souvent dit, également. « Les récits plus gais, plus joyeux ne me touchent pas autant ... Le tragique me correspond. Je suis très empathique à ce genre de récits. Et je ne pourrais pas vivre les mêmes émotions en lisant des histoires où tout serait rose ... Autant je lis bien souvent des récits romantiques peu réalistes, autant je ne peux pas me résoudre à lire des faits quasiment utopistes ... » Il afficha un sourire embarrassé. Il savait qu'il passait pour quelqu'un de profondément déprimant. Mais il était comme ça, vous savez.