L'Amérique, ma patrie. Pays de liberté et du possible. Un pays dont la fierté exacerbée irrite les autres continents. Un pays qui est le berceau de la musique multiculturelle, multi-ethnique. Ce pays me manque énormément. Les grandes espaces, les hauts plateaux, la mer qui se dessine au loin. Rien que de penser à ces paysages lointains me met dans une forme de nostalgie qui plonge dans les souvenirs les plus vivaces. Je frémis en me rappelant ma première virée sur la route 66. Celle reliant la Californie à l'Illinois. La route la plus mythique des riders. Tout en pensant à mon Amérique natale, je me dirige vers la laverie automatique pour faire un peu de linge. J'entre et les souvenirs resurgissent. J'ai la gorge serrée en revoyant le visage de Ismay dans ces lieux. Notre première rencontre. Je m'avance vers l'une des machines, la remplit et sort un paquet de clopes non entamé. J'attrape mon étui à guitare. Je suis dehors en train de m'en griller une peinard. Je fume en regardant mon reflet dans la vitrine de la devanture de la laverie. Les volutes virevoltent dans un ciel bleuté. Mes chaussures heurtent le sol, mon pied vient shooter dans une pierre et ricoche en peu plus loin. Je tiens mon étui à guitare dans ma main tout en fumant ma clope l'air de rien. Je la finis et jette le mégot sur le sol. J'ouvre mon étui et en sors ma guitare. Je l'accorde avec minutie. J'entends quelqu'un s'approcher. Je reconnais la métisse qui n'est autre que Branca. Je lui souris lorsqu'elle fait un pas vers moi. - Salut., lui dis-je avec le sourire. Je reviens à ma première occupation. Celle de l'accordage. J'ai presque fini. - Tu sais jouer d'un instrument ? Avec son allure de rebelle, ses piercings et ses tatouages, je penserais presque qu'elle était musicienne voire même chanteuse au vue de sa dégaine. Je me trompe peut-être. Elle a des airs de Lisa Bonet, dans le Cosby Show, la dégaine d'une baroudeuse. Un look atypique et agréable à regarder.

Tout ça, c'est la faute de Candace, j'en suis sûre. J'ai fait ma lessive avec elle, elle était là, on papotait de tout et rien, enfin, surtout de cul en réalité et j'ai réussi à perdre des fringues en route. Ou alors, c'est à cause de leur machine à deux balles tout droit sorties des années soixante ou cinquante, on est plus à dix ans près. Je suis sûre qu'elles sont tellement pourries qu'une partie de mon linge, enfin plus précisément ce tee-shirt est tombé hors du tambour et gît, seul et esseulé dans le gros dégueulis du fond de cette machine à laver merdique. Et ça me fait chier. Jsuis pas matérialiste en général, je m'attache assez peu aux choses, aux lieux mais les fringues, c'est différent. Tout ce que je possède dans mon dressing a une histoire, tout ça a vécu avec moi et j'ai plus d'une fois passé des heures à détacher des pièces juste parce que je ne voulais pas m'en séparer. J'ai cherché partout. Le dressing, la chambre, sous le lit, dans le lit, sous le matelas, dans la salle de bain, dans les paniers de linge sale des autres candidats, vraiment partout mais non, je n'arrive pas à remettre la main sur ce tee-shirt. Mon dernier espoir ? La laverie automatique et ses recoins où j'ai très certainement laissé tombé mon bien sans m'en rendre compte. Sans attendre plus longtemps donc, je me rends sur les lieux du délit, pleine d'espoir. Je marche, j'arrive sur les lieux et y trouver alors Elliot. Génial, pile ce qu'il me fallait. J'approche de la laverie, elle me salue et je lui jette un regard en coin. Ok, on a jamais parlé mais j'ai assez observé ce qui se passe ici pour savoir que je ne l'apprécierai pas. Mais alors que j'avais cru être assez claire dans mon comportement, il apparaît rapidement que ce n'est pas le cas. Elle lance la conversation, une conversation que je n'ai pas tellement envie d'alimenter. Et d'ailleurs, d'où est ce que j'ai une tête de musicienne ? « Non. » je réponds rapidement, occupée à fouiner ici et là à la recherche de mon tee-shirt.

Brance ne m'apprécie pas. Je l'ai senti à maintes reprises lors de divers prime. J'ignore ce que je lui ai fait, puisque je ne la connais ni d'Adam ni d’Ève. Elle fait partie des observateurs. Ceux qui ne jugent que ce qu'ils veulent voir. Bien sûre, elle a des idées préconçues sur ma personne. Je ne la tiens pas en rigueur. Les avis des autres m'importent peu. Mes actes, je les assume complétement. On ne peut empêcher les préjugés de germer. C'est comme de la mauvaise herbe. Vous avez beau les enlever, mais elle revienne toujours. Et cela en abondance. Je ris de ceux qui pensent me connaître à travers de vulgaires images ou de fausses observations. Ils ne connaissent rien, rien du tout. Surtout qu'ils ne peuvent pas s'empêcher de se mêler aux affaires des autres. Je lui demande si elle sait jouer d'un instrument pour amorcer une conversation - il faut le dire - vouée à l'échec. - Non. Monosyllabe d'une simplicité enfantine, qui a pour effet d'être volontairement cassant. J'en souris tout simplement. Un sourire ironique, bien sûre. Cela ne me désarme pas du tout. Au contraire, ça ne fait que d'attiser mon amusement. J'entonne quelques notes et je la regarde chercher à droite et à gauche. Elle cherche un vêtement sans doute. Je crois avoir vu un t-shirt quelque part. Je pose ma guitare dans un coin. Je l'aide dans sa recherche. Je m'approche d'un des hublots encore ouvert. Je vois le fameux haut qu'elle est sans doute en train de chercher. Je le prends et lui tends. - Tiens, j'crois que c'est à toi. Un joli haut, d'ailleurs. Mon linge est presque terminé d'ailleurs. Je m'empresse d'ouvrir le hublot pour enlever les vêtements mouillés et les transférer dans le sèche-linge. Je fais tout ceci en silence. Je m'approche de Branca et je lui demande d'une voix calme : - Dis, t'as un problème avec moi ? Je ne passe pas par quatre chemins. Je suis comme ça. Je peux me montrer très incisive s'il le faut.

Elle aura beau croire ce qu'elle veut, non je ne la juge pas. Ce n'est pas elle que je juge, elle en tant que personne, ce sont ses actions, ses manières et son jeu. Qu'elle soit sincère ou pas, je m'en fiche, tout ce sur quoi je me base, c'est mon impression. J'ai depuis toujours fonctionné ainsi et ai rarement été déçue par cette dernière, je ne vois donc pas pourquoi il en serait autrement avec elle. Et je ne suis pas non plus hypocrite alors je ne vais pas perdre mon temps à sauver les apparences avec des gens que je n'apprécie pas sous prétexte que je suis dans un jeu. La popularité n'a jamais été mon but et ce n'est pas ici que ça changera. Sans prêter grande attention à sa présence, je cherche avec hâte mon bien perdu histoire de pouvoir décamper au plus vite. Non pas que je sois du genre à fuir les situations de ce genre, je n'ai seulement pas envie de perdre mon temps avec ça, j'ai assez donné dans les conflits sans intérêt par le passé. Je réponds à sa question sans vraiment m'attarder et la voit alors sourire, pas de manière très sympathique preuve qu'elle a du piger, enfin et surtout, qu'elle n'est certainement pas seulement la bonne âme dont elle essaie de donner l'image auprès des habitants et téléspectateurs. Elle me fait rire d'ailleurs, intérieurement et surtout lorsqu'elle se met à chercher avec moi. C'est gentil mais aux dernières nouvelles, je n'ai rien demandé et je ne suis pas encore impotente. Elle le trouve, forcément, me le tend et je le récupère alors qu'elle se met à récupérer son linge à elle. « Merci. » Je suis polie tout de même... Espérant qu'il n'y ait pas eu trop de dégâts, j'inspecte le tee-shirt de haut en bas, sur les coutures, un peu partout et rassurée, je m'apprête à quitter la laverie sans grande cérémonie, sortant déjà mon paquet de clope de ma poche. Ça aurait pu fonctionner, elle aurait pu comprendre mais non, elle le veut son conflit. Un conflit dont je ne vois même pas l'intérêt, j'ai tout de même le droit de ne pas apprécier une personne, non? E'est un peu la base du social : être apprécié et ne pas l'être, on ne peut jamais avoir tout l'un ou tout l'autre... Je soupire, me retourne alors qu'elle s'approche de moi en me questionnant. Elle a vraiment envie d'en arriver là ? Ce ne serait pas plus simple de vivre nos vies chacune de notre côté comme on le faisait avant ? Il faut croire que non. On ne pourra pas dire que c'était de ma faute. « On peut dire ça oui. C'est grave peut-être ? » Si elle s'en fout tellement, je ne vois même pas pourquoi elle me pose la question.