Il a arpenté les lieux mille fois en recherche d'un endroit idéal pour poser son télescope. Un télescope portable qu'il s'est offert il y a trois ans pour son anniversaire. Toutes ses économies y sont passées. Pour une fois, il s'est fait plaisir. Chose qui arrive rarement. Les sous mis de côté, c'est pour les cas d'urgence ou pour les dons reversés aux associations de son choix. Il n'est pas du genre avare. Il ne comprend pas ces gens vénales et ambitieux dont l'argent est le seul moteur de leur intérêt. Ces gens-là le mettent hors de lui. Cela fait une bonne demie-heure qu'il marche avec son sac à la main qui contient son télescope pliable qu'il ne sort que lors de grandes occasions ou lorsqu'il s'ennuie. C'est bien l'ennui qui le conduit à sortir toute cette attirail digne d'un astronome amateur. L'astronomie, une passion qu'il a depuis l'enfance. Il aurait voulu en faire son métier. Mais faute de moyens, il n'a jamais pu poursuivre son rêve. Il a changé de voie, préférant des activités plus manuelles comme la menuiserie. Mais de temps en temps, il regarde les étoiles avec une certaine nostalgie. Petit, il dévorait déjà les livres sur l'espace. A l'école, il a construit son propre système solaire à partir de papier mâché. Dieu l'a doté de mains d'or. Il s'en sert pour créer des meubles sur mesure ou pour en réparer. A force de déambuler ça et là, il parvient à trouver le lieu adéquat. Il lève ses yeux bleutés sur une bâtisse élevée. Un tour, situé en plein centre des locaux. Le tour de verre, dit-on. Il sourit avant d'en débuter l'ascension. Des escaliers qui semblent interminables. L'effort se lit à peine sur ses traits marmoréens. Il arrive enfin au bout. Il dépose doucement son sac sur le sol. Il observe la voûte céleste qui s'étend sous ses prunelles ébahies. On a une jolie vue d'ici. Satisfait, il déplie le télescope et le met sur son trépieds. Juste à temps pour observer la course des étoiles. La Lune est en rapprochement avec Saturne et Spica. Parfait. La lentille de Barlow est bien mise en place. Manque plus qu'à contempler. Il est sur le point de se positionner pour l'observation que quelqu'un fait son entrée. Une silhouette se dessine doucement dans le noir. Il accueille le candidat avec un sourire poli : - Bonsoir.

De tous les lieux qu'il avait eu l'occasion de trouver intrigants depuis qu'il avait intégré cette aventure, cette haute tour de verre arrivait probablement dans les premières positions du classement qu'il se faisait mentalement. Il faut dire que c'était tout de même quelque chose d'assez impressionnant, et que bien que Sully ait déjà vu plus d'une tour dans sa vie, celle-ci avait quand même un aspect bien particulier, et une fonction qu'il devinait ainsi sans mal. Sans doute invitait-on les candidats à y monter dans l'optique d'y apercevoir l'horizon, chose permise dans la mesure où cette tour semblait tout à fait transparente. Et lui, justement, n'aurait rien contre l'idée de s'y rendre et d'en profiter pour détailler un tantinet les environs. A échelle humaine, il fallait du temps pour faire le tour des studios, pour tout voir et tout examiner, tandis que de là-haut, l'on pourrait avoir une vue des plus intéressantes, car globale et panoramique. Alors oui, décidément, il avait bien envie de profiter d'une vision inédite et spectaculaire. C'est donc assez impatient qu'il se mit en marche et finit par monter les escaliers qui le conduiraient au plus haut dans la tour. Les marches se faisaient nombreuses mais l'enjeu en valait la peine, d'après lui. Sauf que tandis qu'il arriva à bon port, somme toute un peu fébrile d'avoir monté ces marches à une vitesse pas nécessairement recommandée, il ne tarda pas à se rendre compte qu'il y avait déjà quelqu'un, un homme munit de ce qui semblait être un télescope. Autant dire que Sully, qui lui était simplement venu observer la vue que l'on pouvait avoir d'un point aussi haut, se sentait un tout petit peu bête, tout d'un coup. « Bonsoir » répliqua-t-il alors, ayant subitement la gênante impression d'arriver à un moment peu opportun. Clairement, il ne savait pas comment fonctionnaient ce genre d'observations, mais il se doutait d'arriver comme un cheveu sur la soupe, hm. « Je ne débarque probablement pas au meilleur moment, sauf si tu as besoin d'être distrait par un type qui cherchera à converser sans avoir rien de très précis à dire, et qui te donnera probablement plus de raisons de le trouver chiant que tu penses pouvoir en trouver. Dans ces cas-là, je tombe peut être bien. » Oui, c'était une façon comme une autre de lui signifier qu'il ferait mieux de le prier de revenir plus tard. Il disait ça pour lui, hein. Si Sully était intéressant, ça se saurait après tout.

Enoch, c'est un travailleur acharné. Passionné par son métier, il n'a jamais connu le repos. La seule fois où il s'octroyait des pauses ou de véritables vacances, c'était pour la pêche à la ligne en été avec des camarades de longues dates (des vieux amis de son père et ses fils) sur l'île d'à côté. Il a très peu de loisirs. A part la randonnée ou l'escalade. Sa vie monotone lui convenait jusque là. Mais il s'est vite rendu compte qu'il n'avait pas envie de finir le reste de sa vie seul. Avec son chien. Il n'y a pas plus pitoyable que ça. Donc, il a décidé de participer dans ce genre d'émission dans l'espérance de pouvoir sortir de sa coquille. Pour le moment, il a complètement perdu ses repères. Tout est différent ici. Le paysage, les gens, les journées. Il s'y habitue plutôt difficilement. La semaine vient juste à peine de commencer. Parfois, il a le mal du pays quand il médite dans son coin. Souvent, il se demande ce qu'il fichait ici. Au moins, il a trouvé l'endroit idéal pour se recueillir quand ça n'irait pas. C'est décidé, c'était son nouveau refuge. Il a apporté avec lui son télescope pour s'adonner à sa petite passion, l'astronomie. Un passe-temps qui semble un brin désuet, mais qui est vraiment passionnant quand on prend le temps de contempler les étoiles. Avant qu'il ne commence ses observations, il est interrompu par la venue d'un candidat. - Bonsoir. Sa présence n'a pas l'air de gêner nullement l'écossais. Un peu de compagnie ne lui fera pas de mal. C'est un homologue masculin, donc il se sent un peu plus à l'aise. - Je ne débarque probablement pas au meilleur moment, sauf si tu as besoin d'être distrait par un type qui cherchera à converser sans avoir rien de très précis à dire, et qui te donnera probablement plus de raisons de le trouver chiant que tu penses pouvoir en trouver. Dans ces cas-là, je tombe peut être bien. Il parle beaucoup, mais il a une façon bien à lui de parler qui le déconcerte. Il déblatère des phrases à la minute avec une certaine aisance. Tout son contraire. Il lui sourit et s'avance vers lui pour lui serrer la main. Une poignée de main bien virile. - Non, tu ne me déranges pas. Je m'appelle Enoch. Il peut lui tenir compagnie, si il le souhaite. Il y a bien assez d'étoiles pour eux deux. Ce soir, il est d'humeur plus plaisante.

Ce qui est bien avec Sully, c'est qu'il avait indéniablement confiance en lui. Oh oui, c'est certain. Tellement confiance en lui qu'il ne pouvait pas croiser quelqu'un sans se demander s'il ne le dérangerait pas. Car oui, c'était tout à fait son genre, de partir du principe qu'il n'était jamais au bon endroit et au bon moment, autrement dit qu'il ennuyait toute personne qui avait le malheur de croiser sa route. Pourtant, depuis le début de cette aventure, il avait eu l'occasion de croiser des personnes sympathiques et qui s'étaient toutes accommodées de sa compagnie. Alors pourquoi continuait-il, après quelques jours, de penser qu'il était plus emmerdant qu'autre chose et qu'à trainer dans les pattes de ses camarades, il allait finir par leur donner envie de comploter dans son dos ? Lui même ne savait pas avec exactitude ce qui entrainait un tel comportement, mais il était finalement plutôt plaisant d'être rassuré, à chaque fois, et d'avoir à faire à des personnes avenantes et lui faisant toutes comprendre qu'il ne dérangeait pas. L'idéal serait bien sûr qu'il arrête tout bonnement de penser qu'il était de trop, mais ça, c'était peut être trop lui demander dans l'immédiat. Toujours est-il que la réponse de son camarade, ce jeune homme accompagné d'un télescope qui l'impressionnait quelques peu, le conforta dans l'idée qu'il était un peu parano sur les bords. Car non seulement il lui faisait comprendre qu'il n'avait pas à repartir, mais en plus, il lui évitait de passer les dix prochaines minutes à se demander s'il serait bienvenu de reprendre la parole et de chercher à faire les présentations. Là, c'était son camarade qui initiait directement la chose, alors c'était indéniablement plus simple, et préférable à ses yeux. Un sourire gagna alors ses lèvres, après qu'il eut réceptionné la poignée de main du jeune homme. Il avait donc à faire à Enoch. Bien. « Quant à moi, je suis Sully » qu'il annonça alors, pour qu'il ne soit pas le seul à pouvoir mettre un nom sur un visage. Ainsi, les présentations étaient officielles. L'américain reposa bientôt inévitablement ses yeux sur le télescope, car il est vrai que la présence de cette objet l'intriguait assez. « Amateur d'astronomie ? » souffla-t-il alors, assez curieux. Sans doute s'intéressait-il aux étoiles pour vouloir les observer d'ici. Sully, lui, n'y connaissait absolument rien, mais n'était jamais contre l'idée de se coucher moins bête. « Il est à toi ce télescope ? Je crois bien que c'est la première fois que j'en vois un. » Une précision qui, évidemment, intéressait tout le monde, hm.

Il faut admettre que Enoch n'est pas des plus loquaces. Timidité ? Non, pas vraiment. Il est comme ça, Enoch. Il parle que quand c'est nécessaire. Parler pour ne rien dire n'est pas sa tasse de thé. Quand on a connu que le silence autour de toi, on s'enferme dans une forme de mutisme à laquelle on s'est accoutumé pendant des années. Il n'a jamais réellement vécu en communauté. Surtout, une communauté comme celle-là. Il est encore dérouté. Il se sent parfois dépassé par les événements. Comme Samedi dernier, lors du prime. La perte des repères l'a un peu désorienté. Il acquiert de plus en plus d'aisance. Il en oublie presque la présence des caméras. Il n'est pas encore prêt à se mêler à la foule. Il préfère aborder un candidat à la fois. Il peut toujours trouver un refuge au cas où cela devient trop oppressant pour lui. Il a besoin d'espace. Le confinement, très peu pour lui. L'espace, il l'a ici. Au-dessus de la tour de verre. Le ciel est bien éclairci. Il reconnaît deux-trois constellations simplement à l'oeil nu. Il fait l'effort de se présenter. Il lui serre la main en bonne et due forme. Politesse oblige. - Quant à moi, je suis Sully. Un grand gaillard que ce Sully. Il doit être sympa, se dit l'écossais. En tout cas, il compatit. Il aurait réagi de la manière que lui. Lui aussi pense que sa présence peut être dérangeante pour autrui. Cette sempiternelle impression qu'on est de trop. Une sensation qui l'envahit fréquemment quand il marche dans la rue ou quand il va dans un pub pour boire une simple bière. La solitude l'isole complètement du reste. Vivre en société n'est pas chose aisée pour lui. - Amateur d'astronomie ? Il hoche la tête et lui sourit. Il s'approche de son télescope et règle le réducteur focal. L'astronomie avait pris une grande place dans sa vie. Gamin, il rêvait de devenir astronaute. Il s'intéressait vraiment aux sciences. Une passion qu'il partageait avec sa mère. Après sa mort, il a abandonné l'idée d'être astronaute et son choix s'est rabattu sur la menuiserie. Maintenant, c'est devenu un passe-temps plus qu'autre chose. - Il est à toi ce télescope ? Je crois bien que c'est la première fois que j'en vois un. Un rictus en coin, il place le télescope devant lui. - Oui. Tu peux l'essayer, si tu veux. Il aime partager sa passion avec des néophytes. En général, ça impressionne au début. Son télescope est plus perforant que celui de la Tour de verre. Il caresse sa nuque et demande : - Des passions, Sully ? Ce genre de sujet anime une conversation. Les gens deviennent plus bavards.

Croyez bien que Sully aimerait ne plus partir du principe qu'il était indésirable chaque fois qu'il entrait quelque part. Parce que, mine de rien, ça lui pourrissait quelques peu la vie d'avoir si peu confiance en lui. Cela l'empêchait d'aller plus facilement vers les gens, et ça lui minait même quelques peu le moral. Il faisait pourtant des efforts pour davantage se dire qu'il pouvait être le bienvenu dans les endroits où il débarquait, mais ça n'était pas chose évidente pour autant. Toujours est-il qu'il fut ici assez plaisant de constater qu'il n'avait pas à repartir et qu'il pouvait même rester pour tenir compagnie à son camarade. Un camarade qui lui fit donc immédiatement bonne impression, et qui prit même la peine de se présenter à lui d'une manière on ne peut plus efficace, avec poignée de main en prime. Oui, rien que ça. Il se nommait donc Enoch. Bien. Sully se sentit alors inévitablement obligé de décliner son identité à son tour, ce qui ne tarda pas. Ainsi, les présentations étaient faites et cela suffisait à détendre quelques peu le jeune homme. Car déjà, ça l'aidait à relativiser et à se projeter plus facilement dans la conversation. Il se permit alors de demander à son camarade, dont il avait remarqué le télescope dès son arrivée, s'il était amateur d'astronomie. Il en avait tout l'air, mais Sully préférait s'en assurer. Sait-on jamais qu'il prenne l'évidence pour une réalité qui n'en était peut être pas une. Mais son camarade ne tarda pas à hocher la tête, et en cela Sully n'eut plus de doute. Il fut même assez impressionné d'avoir à faire à un passionné des astres. Alors, Sully enchaina et chercha à savoir, cette fois-ci, si ce télescope était bien le sien, vu qu'il est vrai que l'américain n'en avait a priori jamais vu un vrai de sa vie. Il crut alors avoir dit une bêtise, vu qu'il entendit son camarade rire légèrement, mais ce dernier lui confirma bien vite que le télescope lui appartenait. Mieux encore, il lui proposa de l'essayer. C'était gentil de le proposer, mais peut être un peu inconscient. « Hm, oui, d'accord » formula-t-il alors, espérant ne pas faire de grands gestes. Il se baissa donc légèrement et tâcha d'orienter son œil vers l'objectif. « Par contre, je ne sais pas ce que je suis censé voir exactement. » Et c'était peut être idiot de le souligner, mais il n'avait jamais fait ça de sa vie. Il voyait bien certaines choses, mais devait-il trouver un élément particulier ? Si seulement il en savait quelque chose. C'est alors que son camarade l'interrogea sur ses passions. Oh, mauvaise idée. Car il s'en voudrait de se lancer dans un interminable discours sur le Cinéma. Alors il eut une sordide idée. « Oui, le ping-pong. » lança-t-il alors, bêtement. Car immédiatement, il se rendit compte de sa bêtise. Il n'en était d'ailleurs pas fier. « Bon d'accord, c'est complètement faux. Ma vraie passion, c'est le Cinéma. Mais j'ai l'impression d'en parler constamment et d'embêter tout le monde avec ça. Car quand je commence à en parler, j'ai généralement du mal à m'arrêter, parce que j'ai toujours des choses à dire sur le sujet. » Oui, c'était bien une chose sur laquelle il trouverait toujours quelque chose à dire, tant il en était passionné. « Du coup, je t'offre la possibilité de retirer ta question. » Et ainsi de faire comme si Sully ne venait pas de passer pour un crétin. Oui, bonne idée.