Un billard. Oh, voilà qui tombait fort bien, dans la mesure où Raphaël était bien le dernier être au monde à savoir y jouer. Non vraiment, autant il avait longtemps détenu le record familial de Scrabble et avait bien souvent brillé aux échecs, autant il n'était jamais tellement parvenu à saisir le principe de cette activité-ci. Il se souvenait que son père était pour le moins féru de billard, alors peut être cela l'avait-il partiellement dégouté et dissuadé de s'y mettre. Pourtant, en ce jour, il semblait véritablement désireux de s'y essayer. Oui, vraiment. Bon, préparez-vous naturellement à un grand moment de ridicule, parce qu'il va de soi qu'il saisirait cette occasion pour s'humilier encore un peu plus aux yeux du public qui ne devait pas manquer de se foutre gentiment de sa gueule chaque fois qu'il faisait un truc de travers - lui, paranoïaque ? point du tout, voyons. Il s'approcha alors de la table de billard qu'il avait maintes fois observée, sans jamais avoir jusqu'ici osé s'en approcher de trop près. A croire qu'il était véritablement déterminé à faire des efforts. Alors il saisit une queue de billard - parce qu'il avait bêtement entendu dire que ça pourrait être utile, quand même - et se bloqua littéralement. Il avait la queue en main, le regard posé sur cette table de billard qui n'attendait que lui, mais ne savait plus du tout quoi faire. Hm, n'était-il pas supposé taper dans des boules ? Si, sans doute. Mais que les choses soient aussi simples, ça lui paraissait louche. Et c'est justement sur cette pensée qu'il remonta son regard jusqu'à Joshua, qui venait d'entrer. Okay, il allait falloir gérer son embarras. Parce que naturellement, il partait du principe que si son camarade était là depuis plus de quatre secondes et demi, il l'avait vu bugué comme un mongole devant la table de billard, sans savoir quoi faire. Alors que bon, il était quand même à peu prêt certain d'être le seul mec au monde à n'être pas fichu de savir quoi foutre d'une queue de billard, hein. « Non, tu ne te fais pas des idées, je ne sais véritablement pas comment jouer au billard » avoua-t-il alors, dans un sourire gêné et en se mettant à sourire partiellement. Il avait beau regarder la queue qu'il tenait sous tous les angles, faire de même avec les boules qu’il apercevait et examiner également la table de billard, rien à faire, l'inspiration ne venait pas. Et probablement que Joshua allait en rire. Il aurait bien raison, en tout cas.

Bon, il faut croire que Raphaël était plus ridicule encore qu'il ne l'avait pensé, avec cette queue de billard dans les mains et cette mine qui exprimait très clairement son incompréhension face aux règles qui devaient être liées à cette activité qu'il ne connaissait pas le moins du monde. Et bien oui, dans la mesure où Joshua venait de ricaner, l'on pouvait effectivement penser que Raphaël avait franchement l'air con, là tout de suite. Mais rassurez-vous, s'il est vrai qu'il était à la fois paranoïaque et susceptible, il tâchait de ne pas y voir une quelconque forme de moquerie. Non, cela devait être simplement ... okay, il ne savait pas du tout comment interpréter cela. Alors il préférait ne pas y prêter plus attention que cela, et simplement partir du principe que puisqu'il s'agissait de Joshua, ça n'était probablement rien de péjoratif. Joshua était quelqu'un de bien, et il le savait incapable de se moquer de la sorte, même du gros imbécile qu'il était. Finalement, Joshua lui fit savoir que lui non plus n'était pas un adepte du billard, puisqu'il alla jusqu'à annoncer qu'il ne savait pas comment tenir l'objet que Raphaël devait lui même tenir très maladroitement entre ses mains. A de telles paroles, Raphaël ne put que rire à son tour. Et visiblement, ni l'un ni l'autre ne comprenait comment l'on pouvait se passionner pour ce genre d'activité, ou ne serait-ce qu'en comprendre les règles. « Je dois avouer être rassuré par tes confessions » articula-t-il alors, dans un sourire prononcé. Parce qu'il se sentait moins seul, mais surtout moins bête, en apprenant que son camarade ne savait pas non plus comment jouer à ce genre de choses. Pendant un instant, il avait véritablement cru que Joshua allait crier au scandale et exiger qu'on le lynche sur la place du village. Mais non, pas du tout. Il était même dans le même cas que lui. Rassurant donc, oui. Mais voilà que les rires de Joshua reprirent de plus belle, alors qu'il commença une phrase sans même avoir la force de la finir. Dans une grimace enfantine et non pas contrariée, Raphaël s'approcha de son camarade et laissa son index presser les côtes du jeune homme. « J'avais l'air si bête que ça ? » demanda-t-il alors, dans un sourire gêné. Oh il se doutait bien que le fait de buguer de la sorte n'avait pas du aider à ce qu'on le trouve moins lent d'esprit. « Parce que si les rôles avaient été inversés, et compte tenu de ce que tu viens de me confier ... je pense que tu n'aurais pas fait une meilleure tête » reprit-il, riant cette fois-ci délibérément, avant de jeter un coup d’œil à ce qu'il tenait toujours dans sa main. Il pourrait reposer l'objet, mais il aimait la sensation de le pouvoir sans nécessairement devoir le faire. Il avait le choix, pour une fois.

Bon et bien, visiblement, Joshua s'y connaissait autant en matière de billard que Raphaël, qui lui même s'y connaissait autant qu'en ping-pong, autant dire pas le moins du monde. Ah non vraiment, c'était bien l'une des activités auxquelles il n'avait jamais rien compris, et qu'il n'avait en fait jamais tellement cherché à comprendre. Alors oui, bien évidemment, il se doutait qu'il y avait comme un lien entre cette queue et les boules qu'il pouvait d'ici apercevoir, mais n'étant pas du tout certain de savoir précisément lequel - il pouvait y en avoir plusieurs, après tout - il préférait assurément ne pas tenter le coup, ne serait-ce qu'histoire de ne pas avoir l'air plus ridicule qu'il ne l'était déjà. Pour preuve, son camarade riait depuis maintenant quelques minutes. De lui ? Non, sans doute pas, parce que Joshua n'avait pas l'air franchement du genre à se moquer de ses camarades. Probablement était-ce davantage cette situation qui prêtait à rire. Et effectivement, le tout était assez risible. En tout cas, il était certain que le fait d'apprendre que Joshua n'était pas non plus un as du billard était profondément rassurant. Ainsi, Raphaël se trouvait moins ridicule, puisqu'ils étaient au moins deux, désormais, à ne rien y connaitre. Alors certes, ils n'étaient probablement que deux dans ce foutu village à ne pas savoir tenir une queue de billard, mais c'était toujours mieux que d'être seul. A deux, ils pourraient affronter l'adversité. Ou pas, c'est vrai. Mais voilà que Joshua sembla repartir dans un fou rire incontrôlable. Raphaël ne lui en voulait pas, parce qu'il était de toute manière tout à fait disposé à considérer qu'il était plutôt ridicule à cet instant précis. Pour autant, il trouva mérité de disposer son doigt au niveau des côtes de Joshua, ne serait-ce que pour qu'il retrouve un semblant d'attention. Raphaël se trouvait éperdument bête à cet instant précis, mais il tachait de ne pas trop en rougir. Et puis bon, il se risqua à avancer que si la situation et donc les rôles avaient été inversés, Joshua n'aurait pas eu l'air beaucoup plus brave que lui, hm. Et bien oui, cela pouvait fonctionner dans les deux sens. Et encore, Raphaël était bien gentil de ne pas exiger qu'on refasse la scène en inversant les rôles, hein. Joshua affirma alors qu'il aurait du le prendre en photo. Ah non non, qu'il ne s'inquiète pas, il était très bien qu'il ne l'ait pas fait. « Je déteste qu'on me prenne en photo » articula-t-il, un peu embarrassé. Vu qu'il ne souriait pas et qu'il tirait toujours une gueule d'enterrement, il préférait n'apparaitre sur aucune photographie. Il ne se trouvait pas photogénique, de toute manière. « Qu'étais-tu initialement venu faire ici, Joshua ? » demanda-t-il finalement, comme pour changer de sujet. Et puis en même temps, ça l'intéressait. Il n'était de toute évidente pas venu là pour une partie de billard. Ça paraissait pour le moins évident.

Non vraiment, Raphaël n'était pas de ceux qui aimaient être pris en photo. Il détestait ça. Ou sans aller jusqu'à ce terme fort, disons qu'il dépréciait réellement qu'on pointe un objectif sur lui pour immortaliser son expression, sa posture ... Il n'était pas comme sa sœur Salomé, qui faisait le pitre devant le moindre appareil photo pour qu'on capture son image, ni comme sa sœur Alicia, qui prenait toujours de grands airs lorsque quelqu'un était susceptible de la faire apparaitre sur la moindre photographie. Lui, il était plutôt comme Mélina, une autre de ses sœurs, qui passait son temps à fuir ce genre d'engins, à baisser la tête si on pointait son visage avec un objectif, à cacher ce dernier avec sa main ou son bras si quelqu'un persistait. Vraiment, il n'était jamais désireux d'être photographié, et ce, par qui que ce soit. Ici, quelques candidats étaient parvenus à le prendre en photo, soit parce qu'il n'avait pas eu le temps de s'enfuir ou de se cacher pour éviter ce supplice, soit parce qu'il s'était résolu à leur accorder une seule et unique photographie, ne serait-ce que pour obtenir rapidement la paix. Le suisse ne pouvait donc qu'être pour le moins satisfait que son camarade n'ait pas pensé à se munir de son appareil, parce qu'il aurait eu l'occasion de photographier les expressions maladroites et gênées du grand brun, ce que ce dernier aurait eu bien du mal à vivre autrement que comme un drame planétaire, à peu de choses près. Il aurait ensuite suffi qu'il poste tout cela sur son blog pour que l'humiliation s'étende au moins jusqu'au niveau du village. Vraiment, il se passait fort bien de tout ça. Les paroles de Joshua firent alors doucement grimacer le thanatopracteur, qui baissa doucement la tête. « Cela ne s'applique pas à moi. Et aussi talentueux sois-tu pour photographier autrui, je doute que cette photo m'aurait plu. Je me trouve toujours hideux sur les photographies. Hideux et transparent. » Il lui adressa un sourire embarrassé, décrétant rapidement qu'il était préférable de changer de sujet. Celui-ci l'embarrassait un peu trop, disons. Alors il questionna son camarade sur la raison de sa venue ici. Raphaël était venu par curiosité, pour passer pour un imbécile devant cette table de billard. Et Joshua, pourquoi était-il venu ici ? Visiblement, pour la musique. Un sourire plus prononcé gagna les lèvres du suisse, qui posa son regard sur les instruments qu'il pouvait voir de là où il était. Lui, il n'y connaissait pas grand chose en musique. Mais depuis qu'il avait entendu Elliot lui jouer du ukulélé, il s'estimait davantage capable d'apprécier les jolies mélodies que ses oreilles pouvaient percevoir. Reportant son regard sur Joshua, il reprit timidement la parole. « Tu jouerais quelque chose pour moi, Joshua ? » demanda-t-il doucement, sans le forcer. C'était à lui de voir s'il était inspiré pour lui jouer quelque chose, n'importe quoi. Honnêtement, Raphaël ne prétendait pas inspirer une quelconque mélodie à qui que ce soit, hm.

Transparent. C'est bien de la sorte qu'il se percevait chaque fois qu'il avait le malheur d'apparaitre sur la moindre photographie. C'est même ainsi qu'il apparaissait sur chaque photo de famille où l'on l'y voyait. Il n'y souriait jamais, avait toujours l'air d'être menacé par un flingue caché sous une table ou derrière un dossier de chaise, tentait parfois lamentablement de disparaitre derrière une épaule, un coude, ou que sait-on d'autre encore, simplement parce qu'il n'aimait définitivement pas se voir en photographie. A l'école, que ce soit lorsqu'il avait du supporter les photos de classe ou les photos individuelles - il les avait l'une comme l'autre véritablement en horreur - Raphaël avait bien souvent été confronté à quelques crises d'angoisse, tant la perspective de ne pas pouvoir se défiler, de ne pas pouvoir fuir un objectif l'avait longtemps apeuré. Et à ce jour, il n'était pas tellement guéri de tout ça. Quand il retombait sur une photo de lui, il ne pouvait s'empêcher de grimacer, d'émettre qu'il se trouvait incroyablement laid, ou encore une fois, incroyablement transparent. Visiblement, son camarade sembla vouloir s'amuser de ses déclarations, puisqu'il lui ébouriffa les cheveux. Un petit rire s'échappa spontanément des lèvres du suisse, qui lui adressa par la suite une petite moue faussement contrariée. Et effectivement, si on venait à le photographier avec une telle coiffure, il va de soi qu'il n'aurait plus rien de transparent. A cette pensée, il se mit à sourire largement. Pas sûr que ça guérisse sa hantise des photographies, mais c'était plutôt plaisant. Par la suite, et dans un élan de curiosité plutôt légitime dirons-nous, Raphaël questionna son camarade au sujet de sa présence et donc de sa venue ici. Pourquoi s'être rendu dans l'auberge, puisque ça n'était apparemment pas pour jouer au billard. Sans tardé, Raphaël apprit de la bouche de son camarade que celui-ci était simplement venu jouer un peu de musique. Voilà qui était satisfaisant comme réponse. D'autant plus que Raphaël avait toujours eu beaucoup d'admiration pour les artistes, qu'ils soient peintres, musiciens, de profession ou de passe-temps. Il n'avait pas tellement de prédisposition personnelle à l'art - même si certaines affirmaient que son métier en était une forme, en quelques sortes - mais il était plutôt sensible à ce que pouvait dégager quelques notes de musique, d'autant plus depuis qu'il était entré ici et qu'il s'était rendu compte que la musique berçait justement la vie de certains de ses camarades. Et visiblement, c'était le cas de Joshua. Ce dernier accepta alors de jouer un morceau à Raphaël, qui venait de le lui demander avec timidité. Le suisse apprécia sa réaction et s'approcha du piano face auquel venait de prendre place son camarade. Ce dernier pianota quelques peu, avant de se mettre à jouer un air que Raphaël n'était pas certain de reconnaitre. En même temps, sa culture musicale n'égalait pas sa culture littéraire, et c'était bien une chose qu'il venait souvent à déplorer. Son camarade s'interrompit alors, adressant un regard et un sourire à Raphaël, qui se demandait subitement si sa présence n'était pas susceptible de déranger Joshua. Mais visiblement non, puisque celui-ci reprit avec un autre morceau, déjà plus reconnaissable à l'oreille du suisse. Probablement un morceau de Mozart, sur lequel il ne pouvait cependant pas mettre le moindre titre. Peu importe. Il se laissa simplement porté par cette jolie mélodie, fermant les yeux pour l'apprécier pleinement, s'imprégnant de tout ce qu'elle lui permettait de ressentir. Son camarade termina alors, ne manquant pas de faire rire Raphaël lorsqu'il se mit à le remercier à la manière d'un illustre musicien après une représentation officielle. Admiratif, il se mit à l'applaudir avec sincérité et émerveillement. Puis, toujours très timidement, il releva les yeux vers son camarade. « Tu vas dire que je suis chiant, et c'est probablement vrai, mais ... est-ce que tu connais un morceau de Frédéric Chopin ? » demanda-t-il alors, dans un petit sourire. Si ça n'était pas le cas, promis, il s'en remettrait. De même, si son camarade refusait tout bonnement de continuer de jouer, il tâcherait de survivre.