Cela aurait pu se faire. Ici. L'autre soir. A même le sol. Cela aurait vraiment pu se faire. C'est bel et bien dans de telles conditions qu'il aurait pu vivre sa première fois, d'un point de vue sexuel s'entend. Il avait été à deux doigts de s'abandonner aux bras si rassurants de Lulu. Il avait failli lui offrir son corps, dans son intégralité, et cela en pleine nature, alors que n'importe qui aurait pu les surprendre. Il avait eu tellement envie de connaitre le plaisir, après avoir connu le désir. Il s'était imaginé lui supplier de lui faire l'amour, d'oublier un instant qu'il était Raphaël, cet être si pudique, si réservé, si peureux. Il avait eu terriblement envie de prendre les devants, de prendre de délicieuses initiatives, de lui montrer à quel point il pouvait lui faire de l'effet. Cette main qu'il avait dirigé contre son entre-jambe ne l'avait pas été par hasard. Il avait maladroitement cherché à cacher quelque chose, à savoir la preuve du désir qu'il avait ressenti pour Lulu. L'état dans lequel il s'était trouvé lui avait fait extrêmement peur. Il s'était senti prêt à affronter n'importe quel danger, à oublier ses interdits, ses limites, ses craintes, simplement pour s'offrir corps et âme à celui qui lui faisait déjà tant de bien, simplement pour goûter à un délicieux plaisir, pour être autre chose qu'un enfant enfermé dans un corps d'adulte. Et c'est alors qu'il repensait à cette scène si particulière qu'il atterrit face à ce ruisseau sur lequel il avait déjà laissé voguer son regard l'autre soir. Mais ce que ses yeux trouvèrent, c'est une Elliot à moitié nue. Il avait bien cru apercevoir quelqu'un, en s'orientant vers ce ruisseau, quelqu'un qui nageait, quelqu'un qui s'amusait dans l'eau ... Mais là, il se rendait compte de deux choses : premièrement, ce quelqu'un était Elliot, chose embarrassante quand on sait qu'elle lui avait précédemment évité de mourir, peut être pas dans le présent ruisseau, mais dans une étendue d'eau plutôt semblable à celle-ci, et deuxièmement que sa camarade avait les seins nus et les cuisses apparentes, une tenue - si on peut encore appeler ça de la sorte - qui ne manqua naturellement pas d'embarrasser le suisse. Ses joues s'empourprèrent considérablement, ses membres se figèrent. Il n'avait jamais vu une femme aussi peu vêtue. Pas même sa mère, pas même ses sœurs. Et puisqu'il n'avait jamais fait l'amour à une femme, il va de soi qu'il était véritablement surpris par ce que ses yeux venaient de trouver. Des yeux qui s'attardèrent maladroitement sur ce corps étranger, dont la vue lui était toute particulière. Il revint bientôt à la réalité et constata que sa manière de regarder Elliot était tout à fait inappropriée. Alors, quand elle lui demanda de se tourner, il s’exécuta immédiatement, clairement gêné par une telle situation. Bientôt, il sentit la main d'Elliot se poser sur son épaule. Il sursauta, fébrile, affreusement embarrassé par tout cela. Elle était rhabillée, donc. Bien. Il ne s'en retourna toutefois pas pour autant. Il resta là, figé, à lui tourner le dos, ne parvenant pas à oublier ce qu'il venait de voir. Des seins. C'était probablement peu de choses pour n'importe quel homme. Mais pour lui, c'était différent. Sensiblement différent. « Quel besoin avais-tu de te baigner les seins nus ? » lui demanda-t-il brusquement, la voix tremblante, comme un reproche. Elle aurait pu, non, elle aurait du enfiler quelque chose de plus couvrant, pour cacher sa poitrine, pour lui éviter une pareille gêne. Mais quel égoïste il faisait, bon sang. A tout ramener à lui. A attendre des autres qu'ils agissent toujours pour son bien. « Je suis désolé » soupira-t-il ensuite, toujours dos à elle, toujours mort d'embarras. Il était désolé de l'avoir observé comme il l'avait fait, de lui avoir adressé ce reproche ... Désolé d'être à ce point irrécupérable..

Allait-il parvenir à s'en remettre un jour ? Pourrait-il oublier la vision de la poitrine nue de sa camarade ? Parviendrait-il à ne pas en rester profondément traumatisé ? Parce que tout de même, Raphaël avait beaucoup de mal avec la nudité, qu'elle soit partielle ou complète, qu'elle soit sienne ou à autrui. Là par exemple, il avait eu à faire à deux seins nus - en même temps, il ne s'était pas attendu à en voir trois, ou même un seul - et le caractère particulièrement embarrassant de la chose dépendait surtout du fait que lesdits seins étaient ceux d'Elliot. Elliot, oui. Il n'estimait pas avoir le droit de poser son regard sur cette partie de son corps. Ni même sur ses cuisses, d'ailleurs. Tout cela devait rester la propriété d'Arès, et il le savait. Le suisse ne voulait aucun ennui avec le jeune homme. Il y avaient eu quelques malentendus par le passé, et il ne tenait assurément pas à ce que cela se reproduise. Pourtant, il avait maladroitement laissé ses yeux détailler - ne serait-ce qu'une seconde ou deux - la poitrine de sa camarade. Ce qu'il en avait pensé ? Oh et bien, pas grand chose. Il avait beau n'avoir jamais vu de seins - ou pas de cette manière en tout cas - il n'en ferait pas pour autant un poème, aussi belle et harmonieuse soit la poitrine de sa camarade. Il était de toute manière bien inapproprié de la fixer de la sorte. Alors c'est tout naturellement qu'il se tourna lorsqu'elle le pria de le faire. Il était affreusement gêné. Autant par la tenue de sa camarade que parce qu'il s'était involontairement permis de détailler ce qu'il avait eu sous les yeux. Bon sang, il se trouvait dégueulasse. Et voyeur. Et pervers. Eurk, il se dégoutait de tout son être. Et là, il donnerait cher pour qu'Elliot lui foute une bonne grosse trempe, histoire de lui remettre les idées en place. Parce qu'évidemment, il restait troublé par cette vision. Par cette poitrine. Par ce corps presque entièrement dénudé. Il n'aurait pas du avoir à faire à tout cela, parce qu'il n'en avait pas le droit, parce que ça n'était naturel que pour un seul et unique homme, et que ça n'était pas lui. Il priait mentalement le Seigneur de lui pardonner cet écart, et les quelques pensées qui avaient pu traverser son esprit. Il avait beau agir bien peu souvent comme tel, Raphaël restait un homme. Un homme faible face à la beauté d'un corps féminin, quels que soient les penchants qu'on pouvait récemment lui prêter. Elliot était une magnifique jeune femme, et il aurait fallu qu'il soit aveugle pour ne pas avoir été troublé par ce qu'il venait de voir, hm. Quoi qu'il en soit, maintenant qu'il était dos à elle, il ne comptait pas se retourner de si tôt. Quelques mots un peu maladroits crurent bons de quitter sa bouche pour se faire entendre, et il les regretta aussitôt. Il était quelques peu amer à l'égard d'Elliot, parce que sa "tenue" lui avait valu de connaitre un terrible embarras. Mais il n'avait pas pour autant le droit de le lui reprocher. Il n'avait qu'à être moins coincé, sans doute. Bientôt, il sentit les bras d'Elliot encercler son dos. Il se laissa faire, pourtant clairement gêné. Il l'imaginait toujours aussi peu vêtue, et c'était difficilement supportable. Il écouta ses paroles et les acquiesça. Il ne lui demandait de toute manière aucune excuse. A son baiser dans son cou, il esquissa un sourire. Elle le força à se retourner, et il rougit davantage. Il ne répondit pas et se contenta de sourire très légèrement. Ne pas avoir honte de son corps ... plus facile à dire qu'à faire. Et elle disait maintenant le trouver beau. Il en rougit encore davantage. Il la croyait et la savait sincère, et c'était justement ce qui l'embarrassait. « Tu sais, je ne pensais pas pouvoir plaire à qui que ce soit avant de venir ici. On m'avait répété certaines choses qui m'avaient laissé penser que je n'avais rien d'attirant. Mais je ... je me sens un peu plus désirable désormais. » En pensant précisément à Lulu, il lâcha un rictus nerveux. Il repensait à tout ce qu'il lui avait apporté, à toute l'affection qu'il lui avait offert. « Elliot, est-ce que ... est-ce que tu trouves ça dérangeant, que je puisse ... enfin ... "apprécier" un homme ? » Il baissa la tête, mais la releva aussitôt, ne pouvant pas donner l'impression qu'il la reluquait. Alors il se contenta de soupirer. Il avait en tête les paroles de Dagga, et par extension celles de sa mère. Tant d'étroitesse d'esprit, tant d'incompréhension. Il avait mal d'avoir perpétuellement l'impression d'être anormal.