Très honnêtement, Raphaël n'estimait pas être cinéphile. Il ne l'était pas, c'est évident. Pour le peu de films qu'il avait l'occasion de visionner, non, il ne l'était pas. Pour autant, il avait tendance à estimer qu'il y avait pire culture cinématographique que la sienne. En effet, il lui arrivait tout de même de visionner quelques uns des plus grands classiques du Cinéma, qu'il soit français, américain, italien, espagnol ... Lui qui avait toujours baigné dans une culture multi-linguistique avait très tôt développé un certain intérêt pour les films étrangers, c'est vrai. Il était suisse de naissance et parlait aussi bien le français que l'anglais, tout en maitrisant un peu d'allemand, et très occasionnellement, quelques termes en italien. Et coté films, il n'était pas très difficile. Qu'on le mette devant La vida es bella ou bien devant North by Northwest, il est vrai qu'il avait tendance à s'adapter à tout. Ainsi donc, en ce jour, et lorsque sa camarade Nicole lui avait proposé de se retrouver au vieux Cinéma pour y visionner un film, le jeune homme n'avait pu qu'accepter de sacrifier une après-midi possiblement réservée à un peu de glande, pour le plaisir de passer un agréable moment en la compagnie de la jolie asiatique. Heureusement d'ailleurs qu'elle l'avait chopé - sans mauvais jeu de mots - pour lui rappeler leur petit projet, parce que le suisse aurait eu vite de l'oublier. C'est alors aux alentours de quatorze heures trente qu'ils entrèrent dans le Cinéma. Mais visiblement, la vue d'affiches de films d'époque ne plut pas tellement à cette chère Nicole, dont les propos parvinrent à amuser Raphaël. « Ce serait dommage, ils passent quelques films de Jean-Luc Godard aujourd'hui » articula-t-il alors, dans un sourire, avant de désigner quelques affiches à l'aide de son index. « Si je ne me trompe pas, A bout de souffle et Le Mépris sont des classiques de la Nouvelle Vague. » Et nul doute que cela la passionnerait, hm. Parce que oui, clairement, il avait tendance à penser qu'elle n'en aurait pas grand chose à foutre, comme n'importe qui d'ailleurs. « Tu n'as jamais vu aucun de ces deux films, je me trompe ? » finit-il par demander, plus pour l'inciter à les visionner que pour pointer du doigt le fait que ça n'est pas déjà été le cas. Il se fichait pas mal des tendances cinématographiques de chacun. Simplement, il se disait qu'il serait plaisant de profiter de la diffusion de l'un de ces chef d’œuvres en compagnie de sa camarade, qui pourrait ainsi en oublier son Blu-Ray.

Bon d'accord, ça n'était peut être pas le programme le plus passionnant qui soit, mais tout de même, Nicole ferait bien de revoir ses exigences à la baisse, car beaucoup donneraient cher pour passer une après-midi entière devant des films de Jean-Luc Godard, en compagnie d'un être aussi passionnant que Raphaël. Hm, bon ... peut être pas, effectivement. Et il était même relativement probable que ça n'aurait pas plus enchanté qui que ce soit d'autre dans ce nid - chose bien dommage, d'ailleurs - mais Nicole pourrait tout de même faire un petit effort, et voir combien Raphaël pensait bien faire, combien il avait l'impression de lui sortir un programme des plus attrayants. Visiblement, ça n'était pas du tout le cas. Parce qu'il ne manqua pas de comprendre, à la réaction qu'il nota chez sa camarade, que celle-ci préférerait mille fois assister à une exécution que voir les films dont il lui parla ensuite. Deux films. Deux classiques du cinéma français. Mais deux films peut être un peu trop anciens, peut être ayant un peu trop mal vieillis, pour que cela puisse véritablement intéresser sa camarade. Tant pis, au pire, il se passerait de ces visionnages, et il n'en mourrait pas. Le but était après tout de passer un agréable moment avec Nicole, alors il va de soi qu'il ne comptait pas la forcer à regarder quoi que ce soit. A noter tout de même qu'elle essayait de feindre un quelconque intérêt pour ce qu'il lui racontait. Bon, c'était bien inutile, puisque non seulement il se doutait que ses goûts étaient rarement ceux des autres - la preuve ici - mais en plus, il parvenait un peu trop facilement à percevoir le sarcasme chez ses semblables. Disons qu'après avoir vécu avec une mère tyrannique et narcissique pendant de nombreuses années, il était un peu rodé de ce coté là. En tout cas, sa camarade ne manqua pas de réagir lorsqu'elle insinua qu'elle n'avait probablement vu aucun des deux films évoqués. Un sourire amusé naquit alors sur les lèvres du suisse. « Dans A bout de souffle, Belmondo passe son temps à fuir la police, alors on peut dire que tu n'étais effectivement pas très loin du compte. Quant au Mépris, je dirais que c'est un film assez complexe, mais qui porte bien son nom. » Il y était question d'un couple qui se déchire sur fond de malentendus, d'une relation qui dégénère malencontreusement. Oui, le mépris y était clairement de mise. « Bardot y est sublime. » Quoi qu'au même titre qu'une certaine Marilyn Monroe, elle n'avait jamais tellement été son type de femme. Finalement, sa camarade sembla partante pour visionner l'un de ces deux films. Hm, il ne voulait pas qu'elle se force, mais soit, il était toujours aussi partant. Alors il la conduisit à l'intérieur de la salle, où ils prirent place, l'un à coté de l'autre, sur deux sièges du fond. « Le Mépris est diffusé en premier. Si ça ne te plait pas, on n'attendra pas la fin du film pour sortir, je te le promets. Oh et, évidemment, on pourra faire l'impasse sur le second. » Puisqu'elle avait parlé d'un film, et pas de deux. Non mais sérieusement, il ne voudrait pas qu'elle s'oblige, hm. « Nicole, tu sais ... ne te sens pas obligée de ... enfin, si vraiment ça ne te dit rien, on peut abandonner l'idée de visionner un film, hein. » Parce que clairement, il respecterait sa véritable volonté. Le but n'était pas de l'ennuyer, après tout.

Soyons bien clairs, Raphaël ne forçait personne à visionner n'importe quel film de Jean-Luc Godard. Non, jamais il n'oserait inciter sa camarade à partager ce moment avec lui si vraiment ça n'était pas une chose qui lui disait. Parce que bon, dans l'immédiat, elle avait quand même l'air bien peu emballée par cette histoire de visionnage, hm. En même temps, il était quelques peu disposé à la comprendre, dans la mesure où ses goûts n'étaient pas nécessairement ceux du tout un chacun. On lui avait même souvent dit - trop souvent, même - que ses goûts étaient vieillots et qu'il aurait peu d'espoir de trouver qui que ce soit de sa génération pour les partager. Triste vérité que celle-ci, hm. Quoi qu'il en soit, sa camarade tomba plutôt juste quand elle tenta de deviner l'histoire des deux films dont il était ici question. A peu de détails près, disons qu'elle s'en était véritablement bien sortie. Bon, l'idéal serait tout de même qu'elle les visionner intégralement, histoire de ne pas avoir à se contenter de deviner de quoi ils pouvaient bien parler simplement en se basant sur leur titre - pour le coup, elle avait eu de la chance, les titres en questions étaient équivoques, mais ce ne serait pas toujours le cas. Un sourire amusé gagna en tout cas les lèvres du jeune homme. Bon, et bien, ils ne tardèrent logiquement pas à gagner la salle de diffusion, là où ne tarderait pas à être projeté Le Mépris, qui ne risquait pas tellement de passionner Nicole, malheureusement. D'ailleurs, c'est à ce moment là que le jeune homme s'inquiéta de la forcer involontairement à faire quelque chose qui ne lui disait trop rien. Le but était de se divertir avec elle, pas de l'ennuyer. C'est alors que sa camarade déposa sa main sur son épaule, visiblement pour le rassurer. Elle trouvait cela "gentil" ? Oh, bien bien. Pas sûr qu'il ait nécessairement cherché à l'être, mais au moins ça passait très bien comme ça. Par la suite, il se mit à rire quelques peu. Excusez-le mais ... les termes "nouvelle vague" et "mer" avaient tendance à l'amuser dans la présente situation. Sa camarade venait en effet de faire un amusant parallèle, hm. « Honnêtement, ils sont susceptibles de plaire à n'importe qui, mais encore faut-il avoir l'esprit assez ouvert pour partir du principe que s'agissant de films d'une autre époque, ils peuvent avoir assez mal vieilli. Mais ils n'en sont pas moins de qualité, et plaisants à visionner. Vraiment, j'ai passé de bons moments devant ce genre de films. Mais bon, peut être aussi suis-je un peu trop spécial, dans mon genre ... » Il lui adressa un sourire embarrassé, dans un haussement d'épaules. Allez savoir, peut être le problème venait-il simplement de lui et de ses goûts parfois discutables. Il était différent, ça c'est sûr. Et malheureusement, c'était une chose qu'il n'assumait pas tout le temps. Mais voilà que tandis que le film tardait à être lancé, sa camarade enchaina en lui parlant du village, et visiblement de la "mort" de celui-ci. Hm, curieux. Mais soit, c'était intéressant, quand on y pense. Par contre, si elle le pensait caler sur le sujet, elle se trompait. Après tout, il n'était pas du coin. Par contre, sa mémoire lui rendait parfois quelques services. « Oh euh, si mes souvenirs sont exacts, il était question d'une évacuation liée à des risques d'inondation dans le village qui, je crois, fut inutile, dans la mesure où rien ne se produisit ... Ce serait pour cette raison que le village a demeuré inhabité pendant plusieurs décennies, apparemment. » Il émettait tout de même quelques doutes à ce sujet, n'étant pas tout à fait certain de la véracité de ses propos. Après tout, le grand russe, il l'avait entendu parler un peu par hasard. Finalement, l'écran laissa bientôt apparaitre quelques images, et du son se fit entendre. Nul doute que le film commençait. En-fin. « Si cette position devient inconfortable, sache que mon épaule est libre » suggéra-t-il, dans un petit sourire. Parce que si ça se trouve, elle dormirait d'ici deux minutes trente. Alors autant qu'elle soit à l'aise.