W/ BRANCA

J'ai toujours été du genre économe. Pas économe juste comme il faut, mais économe compulsive, obsessionnelle, limite névrosée ; tous les moyens étaient toujours bon pour ne pas trop dépenser, et épargner tout ce que je pouvais posséder, c'est en quelque sorte devenu ma ligne directrice pour énormément de choses, et ça vaut même ici, au sein du nid. Bon, ça valait pas pour tout, clairement. En matière de bouffe, j'étais plutôt du genre à m'empiffrer tant que je le pouvais – surtout les premières semaines, après j'en étais venue à me caler et me dégoûter des trucs trop caloriques. Mais pour les jetons de la machine à laver, c'était tout autre chose. J'avais toujours rechigné à les utiliser, préférant utiliser le lavoir autant que possible. Alors j'en étais à ma dixième semaine de jeu, et j'avais toujours pas testé les machines à laver. À ce stade-là, c'était plus de l'économie, mais tout simplement de la stupidité pure. Je mets pas longtemps à comprendre le fonctionnement – c'est surtout le coup des jetons qui me perturbe, en fait, sinon je maîtrise. J'ai amené un bouquin avec moi, mais j'ai la flemme de lire pour le moment. Alors je m'adosse à un des murs de la salle, contre lequel je tapote doucement du bout des doigts, machinalement, en attendant que ma lessive se fasse ; en même temps, j'observe la machine à laver vrombissante du coin de l'œil, et il n'en faut pas plus pour que je me pose soudainement mille questions existentielles à son sujet.

Je suis ici, encore pour une semaine vu qu'il s'agit de la décision que j'ai prise le soir du prime alors je me dis qu'à être là, autant en profiter à fond. Dans le genre, fumer à l’œil, manger à l’œil, faire sa lessive à l’œil aussi. Tout faire gratos en somme. Pas que je manque d'argent à ce point, non, j'ai même un bon petit pactole, caché quelque part, un truc que les flics ne savent pas d'ailleurs mais j'ai toujours été habituée par ma mère à faire attention à toutes mes dépenses et jamais ne j'ai pu me défaire de cette habitude. Alors quitte à passer le temps et à l'utiliser à bon escient, j'ai décidé de faire toute ma lessive, histoire d'avoir des trucs propres en rentrant et de n'avoir rien à faire à part dormir dans mon lit, seule, pendant des jours. Ça va faire bizarre, c'est le moins qu'on puisse dire. Du coup, je commence par vider mon dressing, trier ce que je garde, ce que je laisse parce que mine de rien, j'en ai accumulé de la daube offerte par la production. Je range les vêtements propres dans ma valise qui sera donc fin prête pour dans quelques jours, quand je quitterais les liens et met le reste dans la corbeille qui m'était destinée, direction la laverie. L'avantage, c'est que j'ai encore plein de crédit et je suis fière de moi, je n'aurais même pas eu à m'esquinter les mains dans le lavoir. J'arrive alors que Dagga a déjà lancé sa lessive, je lui souris quand j'entre, jette sans délicatesse le contenu du panier dans l'autre machine en le retournant, met la lessive, lance la machine. Affaire conclue. Je me retourne ensuite, m'asseyant sur la machine en mouvement et souris à Dagga. « Alors, prête pour la finale ? » J'espère vraiment qu'elle y sera, au moins elle n'aura pas vendu son âme au diable pour ça.

Je suis toujours perdue dans la contemplation de la machine à laver. Le spectacle de mes vêtements qui battent la mesure à l'intérieur du tambour a quelque chose d'assez captivant, envoûtant. J'essaye de deviner, à la couleur des tissus, de quel vêtement il s'agit, et je me fais des paris avec moi-même genre "je devrais revoir mon boxer rouge d'ici cinq secondes… 5… 4…" enfin je m'éclate comme une folle, quoi. Et puis Branca débarque et, du coup, je me désintéresse un peu de la machine à laver ; elle me sourit, je lui souris, et puis je lance un petit « Hey. » juste histoire d'ouvrir la bouche et d'exercer un peu les muscles de ma langue qui commençaient à s'engourdir. Je la regarde faire tandis qu'elle enfourne son linge dans la machine, avant de grimper dessus lestement. « Alors, prête pour la finale ? » Hum, c'est pas les demi-finales qui s'approchent la plutôt ? J'allais la corriger et puis je comprends ce qu'elle veut dire. « Oh j'ai jamais été prête pour quoi que ce soit dans la vie, et depuis quelques temps ça me réussit pas mal. Donc j'ai envie de dire "non donc oui" ! » je réponds, prenant conscience au fur et à mesure que les mots sortent de ma bouche que c'est une vraie réponse de littéraire ça. Et puis, en bon petit mouton que je suis, je me déplace finalement pour l'imiter et viens m'assoir sur ma propre machine. Y'a une question qui me brûle les lèvres. J'aurais peut-être dû la poser à Candace, mais finalement Branca doit pouvoir y répondre aussi. « Dans les séries et les films, y'a plein de nanas qui parlent de, hum, "se faire plaisir" sur des machines à laver ; c'est vraiment un truc qui se fait tu crois ? » je demande, et c'est dit avec toute l'innocence du monde parce que je trouve ça vraiment étrange. Branca doit mieux connaître les choses de la vie que moi – n'importe qui connaît mieux les choses de la vie que moi, de toute façon – alors j'imagine qu'elle en sait plus long à ce sujet que ma propre personne. Je baisse les yeux vers la machine à laver sur lequel j'étais assise, sceptique au possible.

Spoiler:

Peut-être que je dérange Dagga vu cette espèce de communion mentale qu'elle essaie de créer avec la machine à laver qui tourne. Je n'oserais pas dire qu'elle me fait penser aux chats qui matent le tournis du linge mais c'est un peu ce à quoi ça me fait penser. Alors je rentre, sans rien dire, de toute manière, j'aime pas les bonjour, salut, comment tu vas donc un sourire fera l'affaire et ensuite j'irais directement au but, quand je l'aurais trouvé, mon but. Je lance ma machine rapidement puis questionne Dagga. Bien évidemment qu'elle doit être prête pour la finale étant donné que si moi je ne mérite pas cette place, je considère que donc Dagga la mérite. Elle aurait été loyale même quand elle n'avait pas les yeux en face des trous, droite et intègre alors oui, elle mérite cette place. A moins que je me sois trompée et qu'en fait le gagnant soit le plus fourbe. On verra bien. Même si j'en doute. Elle me sort alors une phrase incroyablement longue que j'écoute, un sourcil froncé même s'il est vrai qu'elle n'a pas tord sur certains points. « On ne peut jamais être prêt pour tout dans la vie, sinon elle serait bien trop douce. La vie je veux dire. » Et peut-être que moi aussi, là, je m'enfonce dans des pensées bien trop philosophiques. C'est la faute à Jared ça, il est trop philosophique depuis qu'il est revenu. « Toujours est-il que pour moi tu as ta place en finale. Si tant est que mon avis ait encore de l'importance ici. » Après tout, je suis une éliminée. Elle vient alors s'asseoir à côté de moi, sur sa machine, on doit certainement avoir l'air un peu conne surtout qu'il y a un banc, devant nous, mais ça n'a pas grande importance. Et puis, sans que je m'y attende, Dagga me pose une question et le moins qu'on puisse, c'est que je n'étais pas prête pour ça ! « J'ai déjà eu une orgasme là, pas toi ? » dis-je très sérieusement. Oui bon, ok. Je souris puis rit légèrement, c'est vrai qu'on voit ça parfois, à la télé. « Honnêtement, j'en sais rien, j'ai jamais été désespérée au point d'utiliser une machine à laver. D'autant plus que j'en ai pas. Mais on peut toujours rester là et voir si ça marche vraiment... » Ou pas hein... Parce que c'est légèrement glauque je trouve. « Néanmoins, la méthode classique pour 'se faire plaisir' fonctionne bien mieux. » je réponds en levant les mains et mimant les guillemets au moment opportun. « Seul ou à deux d'ailleurs. » J'abuse peut-être, oui certainement, je crois que je vais me taire. « Bref. » Candace sort de ce corps !

Faut croire que Brance est réceptive à mes idées philosophiques parce qu'elle lance le débat, et je suis un peu mitigée face à sa réplique parce que, même si je vois ce qu'elle veut dire, je crois qu'on peut malgré tout s'attendre au pire et être plus ou moins prêt, mentalement, à l'affronter. Mais ça, c'était parce que ma vie avait été placée sous le signe de la paranoïa, et je m'étais toujours mis en tête de me préparer pour le pire. Néanmoins, même si je m'attendais toujours à ce que des trucs craignos arrivent, je n'avais jamais été techniquement prête à les accueillir. Enfin bref. Cette conversation m'embrouille l'esprit. « Dans ce cas-là, c'est tant mieux j'ai envie de dire. Mener une vie douce, ça doit être mortellement ennuyant. » Ceci dit, j'avais peut-être tort de sortir un truc pareil à Branca, qui aurait sans doute aimé que sa vie soit un tantinet plus douce. Mais au moment où j'y pense, j'ai déjà ouvert la bouche et c'est trop tard de toute façon. « Oh je suis pas sûre d'avoir ma place en finale… Honnêtement, j'ai un peu l'impression d'avoir raté cette expérience. Quand je me suis lancée là-dedans, j'étais persuadée que j'allais me la jouer stratège hors-pair et enquêter sur tous les candidats pour deviner leur secret, tout en les laissant sur des fausses pistes concernant le mien. Mais je suis arrivée ici et j'ai perdu tous mes objectifs de vue, trop heureuse d'avoir de la bouffe à volonté et de pouvoir raconter ma vie à de parfaits étrangers. N'importe quoi. » Je secoue tristement la tête, peut-être un peu théâtralement, histoire de mettre l'accent sur le fait que je faisais bien pitié dans mon genre quand même. Mais bon. Ça avait été idiot de ma part de me lancer dans des prévisions et de tirer des plans sur la comète. J'avais pas été en mesure d'anticiper correctement. Personne n'aurait pu prédire mon état d'esprit dans cette aventure, et j'avais été naïve de croire que j'en aurais été capable. Je grimpe ensuite sur la machine aux côtés de Branca, et lâche finalement la question qui me brûlait les lèvres. Je retiens inconsciemment ma respiration jusqu'à ce qu'elle me cause d'orgasme ; ouf ! J'étais rassurée. Un instant j'avais eu peur de la choquer. Bon, je me doutais bien qu'elle avait entendu pire dans sa vie, là est pas la question, c'est juste que j'étais assez consciente de l'image un peu enfantine que je pouvais renvoyer par moment, et je me disais que parfois les gens autour de moi devaient être un peu pris au dépourvu quand je me mettais à parler de trucs plus ou moins tabous assez librement. J'avais jamais compris le principe des tabous. Et puis Branca m'affirme qu'elle a eu un orgasme, et me demande si c'est aussi mon cas. « Non, j'en ai pas eu. Mince, j'espère que ça veut pas dire que je suis frigide ! » Et puis elle se marre et je capte qu'elle déconne, aussi je la joins de bon cœur. « Honnêtement, j'en sais rien, j'ai jamais été désespérée au point d'utiliser une machine à laver. D'autant plus que j'en ai pas. Mais on peut toujours rester là et voir si ça marche vraiment... » C'est une occupation comme une autre, à la limite. « Je compte pas trop là-dessus. Ça doit être une légende urbaine ou un truc dans le genre. » Faudrait que je pense à googler ça en rentrant chez moi. Et puis Branca évoque la "méthode classique" et je hausse les sourcils une fraction de seconde avant de comprendre. Y'a tellement de sous-entendus dans notre conversation, c'est trop mega subtil ! « Seul ou à deux d'ailleurs. » Ou à trois. Ou à – enfin bref, on peut continuer longtemps comme ça. « Oh seule j'ai déjà essayé, j'arrive à rien. Je devrais faire comme les nanas modernes et investir dans un gadget professionnel peut-être ? » Et oui, on en était arrivée à la partie vibromasseurs de cette discussion. Mais sérieusement, toutes ces histoires de sexe et d'orgasme m'intriguaient. Ça avait l'air d'occuper une partie si importante de la vie des gens !

En matière d'imprévus, j'ai été servie dans ma vie et ce même si au fond, j'aurais bien du me douter qu'elle serait de ce genre. Les choix que j'ai fait ou pas fait d'ailleurs ont toujours eu ce genre de conséquences alors pourquoi y aurais-je échappé ? Néanmoins, la réponse de Dagga me fait tiquer et plus particulièrement à cause des mots qu'elle a choisi d'employer. Mortellement ennuyant. Très bon choix. Vraiment. Mais je décide de ne rien répondre parce qu'après tout, ma vie est comme elle est et puis j'ose espérer que le choix de ces termes a été fait maladroitement. Je lui signifie alors ma pensée sur la finale et sa réponse me fait sourire. « A vous entendre parler chacun votre tour, on dirait que personne de vous ne mérite d'aller en finale. Bizarre, pourtant c'est moi qui ait été éliminée pour ça. » Je suis passée à autre chose, qu'on soit bien d'accord mais il n'empêche que d'entendre ça me hérisse les poils. « Vous avez tous autant de chance d'y accéder, ça s'appelle le hasard. Même si parfois le hasard accepte les coups de pouce. » Et j'imagine que l'intégrité de Dagga et son naturel avenant et enthousiaste en est un, de coup de pouce. Assise sur la machine à laver, la rousse me rejoint et me pose une question qui ne manque pas de me surprendre. S'en suit une conversation légèrement... détaillée sur mes connaissances de la chose. Je crois que je me suis légèrement emballée en réalité surtout que de ce que je sais, Dagga est une novice en la matière. Loin de moins l'idée de la prendre pour une prude ou une coincée mais on ne sait jamais, je n'aimerais pas la gêner, par exemple. Sa réponse me rassure donc et me fait même sourire lorsqu'elle s'interroge sur sa frigidité. « Jcrois qu'on est pas très égales pour ça, c'est pas comme avec les mecs alors ça m'étonnerait pas que ça marche pour certaines. » Si tant est qu'on ait déjà essayé. Je me serais alors bien arrêté là, non pas que ça me gène mais j'imagine qu'on pourrait parler d'autre chose à quelques jours de peut-être ne jamais se revoir finalement. Car je ne sais pas où ira Dagga, tout comme je n'ai pas vraiment de contrôle sur mon propre sort. Les choses peuvent changer si rapidement. « Tout dépend de ce que tu recherches. » Parce qu'un vibro, c'est quand même bien moins inspirant qu'un vrai mec et son matériel. Et puis sait-on jamais, si William se bouge le cul, peut-être qu'elle n'aura pas besoin de dépenser de blé.