I AM HELL TO THEE - 06.02 - 11h00

DOWN HERE ALL SHALL SUFFER WITH ME

MICKEY

Deuxième semaine de jeu, nous y voila. Je crois qu'il y a rien de plus à dire mais je vais le faire quand même. Je m'appelle Ithaque, à force de le dire et de le redire à chaque rencontre que j'ai fait je crois qu'aujourd'hui tout le monde sait comment je m'appelle, mais pas tout le monde sait qui je suis. Mickey fait parti de ces gens intelligent qui sont capable de me percer à jour en un battement de cil, aidé il faut le dire par les quelques éléments que j'ai bien voulu lui fournir lors de notre première rencontre, quand je lui ai déballé une partie de ce que j'ai sur la conscience. En sa présence, je sais que je peux être moi-même. C'est salvateur bien que risqué.

Je suis dans la bibliothèque. J'ai attendu tout ce temps pour y mettre les pieds et parcourir les étagères à la recherche d'un ouvrage qui pourrait m'intéresser. Les dit ouvrages étants triés sur le volet ils m'aura fallut presque vingt minutes de divagation entre les titres tous aussi rébarbatifs les uns que les autre pour arrêter mon choix, enfin, sur quelque chose d'évocateur.

Je suis assit, à lire un chapitre choisi au hasard et sur lequel je suis penché avec tellement de concentration que je ne remarque pas tout de suite les pas qui laissent leur empreintes sonores sur le sol. Quand enfin je suis tiré de ma lecture je lève la tête, puis je me balance en arrière sur ma chaise pour découvrir qu'il s'agit de Mickey. Aussitôt je suis pris d'une grimace. C'est pas que ça ne me fait pas plaisir de le voir, étant donné qu'il est un des rares dont j'apprécie la vue, mais le moment est peu être un peu mal choisi. Je referme brusquement le livre devant moi et je me lève pour le ranger dans la première étagère derrière moi, au milieu d'autres livres où il n'a strictement pas lieu d'être. La section chasse et pêche de la bibliothèque. Je m'empresse de prendre un bouquin sur le repeuplement des truites en suisse et je m'adosse à la bibliothèque en croisant les bras. Le ton sévère que j'emprunte pour le saluer trahi à peu prêt tout de ce que je pense de son irruption dans la bibliothèque.

"Bonjour."

On ne comptait plus ses allées et venues dans cette bibliothèque depuis son entrée dans le nid une semaine plus tôt, mais contrairement à d'autres il ne s'y rendait pas dans l'unique but de se dégourdir les pattes. Non, lorsqu'il en foulait la porte, c'était bien entendu pour entreprendre un peu de lecture. Après tout c'était ce qu'il préférait faire ici, lire. Et c'était ce qu'il allait une nouvelle fois faire ce matin, avant le déjeuner. De toute manière, cette bibliothèque avait tout de même été aménagée pour ça initialement, et les nombreux ouvrages dont elle disposait ne pouvaient que ravir le plus mordu de livres de tout le nid. Il ne savait pas encore sur quel bouquin il allait jeter son dévolu aujourd'hui, sachant que statistiquement il en lisait un par jour. Bon, cela se jouerait le moment venu, une fois devant les étalages de livres. Pénétrant dans la salle, il ne tarda pas à remarquer la présence non loin de là de son camarade Ithaque, assis et visiblement lui aussi en pleine lecture. Il dévia sa marche et s'approcha de lui, mains dans les poches, et le menton toujours relevé. Mais en s'apercevant de la venue du jeune écrivain, Ithaque adopta un comportement des plus... suspects. En effet il referma immédiatement le livre qu'il avait entre les mains, et quitta son siège pour aller le ranger. D'ailleurs, Mickey avait comme l'impression qu'il venait de le remettre n'importe où, ce qui ne lui plaisait guère. « Bonjour. » fit-il, après s'être saisi d'un autre livre, le genre d'ouvrages que l'anglais n'avait pas tellement l'habitude de lire, de son côté, m'enfin chacun ses goûts ne dit-on pas ? « Hm, ce que tu viens de faire, je n'aime pas. » lui annonça-t-il, sur un ton quelque peu austère. Il n'avait vraiment rien contre son camarade, bien au contraire il était l'un des seuls ici avec qui le courant passait bien, mais pour autant il avait véritablement l'impression qu'il avait rangé son livre là où n'était pas sa place et pour un grand maniaque comme lui, c'était inconcevable de laisser les choses comme telles. « Je m’efforce tous les jours de remettre chaque ouvrage à sa place car des individus dans ton genre trouvent le moyen de les ranger n'importe où. Et toi, que fais-tu ? Tu piétines mon travail, ni plus ni moins. » Oh, ce n'était jamais que quelques réprimandes bien gentillettes, mais il était surtout question de lui faire savoir qu'on ne lui compliquait pas la tâche, non, ça ne marchait pas comme ça. « S'il-te-plait, remets ce livre où il doit être. » poursuivit-il tout en désignant le dit ouvrage du doigt. Il ne fallait pas sortir de Harvard pour saisir que ce bouquin n'avait rien à faire là. Il dénotait parfaitement au beau milieu de la section chasse et pêche et par ailleurs, Mickey était quelque peu intrigué par le fait qu'il s'en soit aussi rapidement débarrassé. Avait-il honte de ses lectures, maintenant ? Des choses à cacher, peut-être ?...

Vraiment, c'est pas de chance. A chaque fois que nos chemins doivent se croiser cela débute par lui qui me prend la main dans le sac. A force de récurrence il faudra songer à élever la situation au rang de tradition. Ca pourrait être comique si cette fois il ne m'avait pas prit en train de lire un type de livre dont j'aimerais bien qu'il continue d'ignorer qu'il puisse m'intéresser. Mais il a raison, oui il a raison. Des petites choses de la vie qui m'insupportent il semblerait qu'on partage à échelle différente, une certaine aversion pour les choses qui ne se trouvent pas à leur place. Dans un supermarché par exemple, c'est assez sidérant de trouver un produit laitier frais au milieu d'une rangée de shampoings, abandonné là par quelqu'un qui aura changé d'avis et qui n'aura pas pris la peine de remettre le produit là ou il l'a trouvé, se moquant au passage du respect de base.

"Correct"

Je reprend donc l'ouvrage et je repose l'autre à la place. Heureusement pour moi il s'agit d'un livre dont la jaquette n'existe pas ou plus, et aucun caractère d'imprimerie qui pourrait me trahir ne figure sur la reliure en cuir dans l'éventualité ou Mickey tenterait d'en lire le titre à distance. Je le tiens fermement entre mes mains qu'il ne quittera pas. Le moment me semble alors tout désigné pour lui poser une question. Une vraie, pas juste une pour faire diversion. Je n'irais pas jusqu'à dire que j'ai parcouru l'intégralité de la bibliothèque, loin s'en faut. Seulement.

"Dis moi. Tout à l'heure en parcourant les étagères il m'est venu à l'idée que je pourrais tomber sur l'un de tes livres. Hors, ma recherche s'est avérée...

Je marque un temps de pause autant pour observer ses réactions que pour trouver dans mon vocabulaire l'adjectif qui me permettrait de faire preuve de tact envers celui que je n'ai pas pour but de blesser dans sa fierté. Fierté qui déplait à un bon nombre de candidats mais qui ne me pose pas de problème.

"...infructueuse."

Il s'attendait déjà à ce qu'on le pointe du doigt en le traitant de rabat-joie, mais n'avait-il pas raison de s'en faire pour le désordre régnant dans le nid, ainsi que les mauvaises habitudes que certains candidats prenaient sans même se soucier de celui qui passerait derrière eux pour réparer leurs bêtises ? Non, il n'avait pas l'impression d'en faire trop, il estimait légitime que dans une bibliothèque de cette envergure, chacun s'emploie à remettre où il l'avait prit un livre après utilisation. Et Ithaque ne bénéficierait d'aucun traitement de faveur à ce propos. Lui aussi était prié de respecter le travail de Mickey. « Correct. » Et à ce mot, il fit un échange entre le bouquin préalablement reposé au mauvais endroit, et celui dont il s'était saisi dans la précipitation. Mickey demeurait toujours aussi intrigué d'ailleurs, mais avant même qu'il ne puisse le questionner sur le sujet Ithaque prit les devants. « Dis moi. Tout à l'heure en parcourant les étagères il m'est venu à l'idée que je pourrais tomber sur l'un de tes livres. Hors, ma recherche s'est avérée... » Hm, il semblait chercher ses mots. Quand il parut avoir enfin trouvé comment terminer sa phrase, il poursuivit. « ...infructueuse. » Tiens donc. Mickey avait beau être prétentieux, hautain et particulièrement fier de ses œuvres, il ne lui avait étrangement jamais traversé l'esprit de rechercher ses propres romans parmi ceux dont disposait cette vaste bibliothèque. Son égo avait-il des limites tout compte fait ? Son camarade, en tout cas, semblait vouloir le ménager quelque peu. Oui, c'était comme cela que Mickey prenait ce temps d'arrêt qu'il venait de marquer. Peut-être faisait-il là une mauvaise interprétation ceci dit. « Oh. » lâcha-t-il, sans pour autant laisser percevoir la moindre surprise. Car surpris, il ne l'était pas. Non, il ne s'attendait honnêtement pas à trouver des bouquins signés de sa plume ici. Certaines personnes s'imaginaient peut-être qu'en tant qu'écrivain imbu de lui-même, c'était la première chose qu'il était venu vérifier mais non, point du tout. Et d'ailleurs... « J'vais te dire, je ne suis guère étonné. Pas plus tard que l'autre jour, je m'étais mis à la recherche de la nouvelle Heart of Darkness du grand Joseph Conrad... et vois-tu je la cherche encore. » Il ne la trouverait sans doute jamais. La production ne pouvait pas non plus disposer de tous les ouvrages de la terre, enfin ça n'avait aucun sens, elle avait forcément commis quelques oublis, parmi lesquels des œuvres légendaires comme les romans emprunts de modernisme de Joseph Conrad. Un grand monsieur. Mickey alla même plus loin. « Il ne faut pas leur en vouloir, ils se sont très probablement dit qu'intégrer mes ouvrages à ceux présents dans cette bibliothèque serait une forme de favoritisme. » En tout cas, lui, décidait de le prendre comme ça. Puis il reprit. « Et puis cette émission n'est-elle pas Irlandaise, d'origine ? Je suis le premier à reconnaitre que ma notoriété n'a pas encore dépassé les frontières de l'Angleterre. Enfin... c'était le cas avant ma venue dans cette émission, bien sûr. » Car depuis on ne parlait que de lui, et il devait avoir une sacrée cote dehors. Il avait par ailleurs hâte de savoir combien la vente de ses livres lui aurait remporté durant sa participation à l'émission Fake Lover. Il avait beau clamer qu'il n'était pas là pour accélérer ses ventes, il n'allait quand même pas cracher sur le petit coup de pouce que pourrait lui apporter cette télé-poubelle. « Ce livre que tu as entre les mains, c'est quoi ? » Oui oui, celui qu'il tentait de cacher vraisemblablement. Incroyable, à le voir, on jurerait qu'il ne souhaitait pas que Mickey sache ce qu'il était en train de lire, à l'entrée de l'écrivain dans l'enceinte de la bibliothèque. Quand même, il n'avait rien à lui cacher, si ?

"Hmmm."

Dommage, j'aurais bien aimé poser mes mains sur un de ses romans dans une situation qui ne voudrait pas dire que je suis sorti du jeu. Mais je décide qu'il est peu être un peu tôt pour ce type d'anticipation, et sa question m'indique clairement que je n'arriverais pas à me soustraire bien longtemps à ses interrogations. Est-ce que j'en ai vraiment envie pour commencer ? Je n'ai pas encore d'amis dans ce jeu. Si je dois en avoir au moins un je dois me rendre à l'évidence, j'aimerais que ce soit lui alors il n'est peut être pas très judicieux de lui cacher des choses, ça reviendrait à le rendre méfiant à mon égard et de me montrer indigne de sa confiance. ce que je ne souhaite pas. Je soupire. Je me redresse. Je lui jette un regard dur avant d'ouvrir mon bouquin au hasard et de prendre la parole.

"Classification cognitive des constituants physiques de la musique."

Je pourrais m'arrêter là, mais non. Il m'a demandé ce que je lisais j'ai pris le parti de lui répondre sans détour plutôt que de lui cacher quoi que ce soit, allons y gaiement, si vous le voulez bien ? Je replonge dans ma lecture.

"Commençons par le temps qui passe, puis nous verrons la hauteur fréquentielle des sons qui s'y déroulent. Le temps qui passe. Le temps qui s'écoule amène à distinguer la durée élémentaire de chaque sonorité , puis, dans l'ensemble que forment ces untiés, le rythme, le tempo, la métrique. La durée, secondes ou fractions de seconde, est la même notion que celle de la valeur d'une blanche ou d'une double-croche. cet aspet temporel, bien connu de la musique, ainsi que le rythme, le tempo, la métrique ont été décrits au chapitre premier."

J'éclate d'un minuscule éclat de rire hautain et sarcastique. Pas à l'encontre de Mickey non, plutôt d'ordre général, destiné à tout les pecnots dont je lui ai déjà parlé et qui m'ont rendus fou.

"Ben du coup je vais au chapitre premier hein. Celui qui détermine généralement l'abandon précoce de ceux qui sentent déjà le poid de la difficulté alors qu'il ne contient que les bases très très très élémentaires...Chapitre premier: le message sonore. Une vibration de l'espace, pour qu'elle constitue un son, doit se poursuivre, oscillant de manière plus ou moins fréquente et plus ou moins prolongée de part et d'autre de la ligne d'équilibre de notre graphique...ah le graphique."

Je m'interromp pour retourner le livre et pointer du doigt la figure 1 sur la page, puis je poursuit.

"Si cette oscillation est régulière elle donnera naissance à un son périodique et provoquera une sensation musicale. Bon, écoute je m'arrête là... le reste du paragraphe se résumant clairement et simplement à: "à partir de 16000 vibrations par secondes, nous ne perçevont plus aucun son."

Je referme brusquement le livre dans mes mains faisant virevolter au passage quelques particules de poussière. Je recroise les bras, je retrouve ma position initiale, le poids du corps appuyé sur la bibliothèque, les jambes croisées. Je reste songeur un instant, j'inspire pour dire quelque chose puis non, je me tait. Puis finalement, si.

"Pour toi quelle est la plus grosse bouse littéraire que tu ai jamais lu de toute ta vie ? Je te demande ça pour que tu te fasse une idée du sentiment de désolation qui m'empare là" je mime l'étouffement de ma main crispée que je porte à ma gorge "à chaque fois que me parvient le son du piano du salon, joué par tout ceux qui prétendent savoir le faire à savoir la totalité des candidats dans ce châlet. Et je rève du jour ou l'un d'entre eux vas s'attaquer à un 15/16 là...là je pense que ma béatitude sera parfaite n'est-ce pas ce que je suis venu chercher dans ce jeu de demeurés ou tout ce que la production à trouvé de plus musical à nous faire faire, consiste à tourner en rond comme une bande de connards dératés autour de 8 minables chaises."

Oui, parce-qu'il faut aussi que je tape des phases en sa présence, ca fait parti de la tradition évoquée plus tôt.

Mickey n'était pas tellement étonné de savoir cette bibliothèque dépourvue de tout roman signé de sa plume. Et ça ne le froissait même pas. Maintenant, on pourrait dire bon nombre de choses à son sujet, par exemple que sa fierté venait d'en prendre un sacré coup, mais ce n'était pas le cas. Il y aurait de toute façon toujours quelqu'un pour lui jeter la pierre, ou pour rire de lui. Ithaque, en revanche, semblait presque déçu du fait que les ouvrages du jeune anglais ne soient trouvables ici. Oh il ne fallait pas l'être, tôt ou tard l'occasion lui serait donnée de s'en faire une idée et qui sait, si Mickey avait permis à la jeune Neila de fouiller dans sa valise à sa guise, Ithaque obtiendrait peut-être une faveur similaire sous peu. Le courant semblait passer entre eux, et contrairement à d'autres le grand gaillard ne cherchait pas le conflit, non, il n'était pas dans cette optique de lui tenir tête à-tout-va. Ce comportement, propre à bien des candidats ici, résultait assurément d'un complexe d'infériorité. C'était leur façon à eux de ne pas se sentir trop ridicules au côté de l'écrivain, sans doute. Cela pouvait se comprendre, mais de là à user de l'arrogance, du dédain ou encore de la fatuité pour tenter de se maintenir à son niveau, quand même... Ithaque n'avait pas ce problème, puisque lui était bien le seul ici chez qui Mickey avait décelé un certain potentiel intellectuel. Ses lectures, même si elles ne plaisaient pas toujours à l'anglais, n'étaient pas pour autant blâmables tandis qu'elles étaient souvent inexistantes chez d'autres candidats. Et puis bien sûr, il y avait cette discussion qu'ils avaient eu la semaine passée, au sujet de la mélancolie d'Ithaque. Tout ceci faisait qu'à l'heure actuelle, Mickey préférait s'attarder sur son cas à lui, plutôt que sur les cas désespérés de ses autres camarades. Pourquoi perdre son temps ?...

Il n'avait pas échappé à l'écrivain que son camarade tentait de dissimuler le livre qu'il était entrain de lire quand Mickey l'avait rejoint dans la bibliothèque. Livre dont il avait d'ailleurs essayé de se débarrasser en le remplaçant par un autre, sous les yeux d'un Mickey toujours très à cheval sur l'ordre et l'organisation en ce lieu. Il ne pouvait plus tellement se défiler là. Maintenant, ou bien il confiait à Mickey le nom de ce fameux ouvrage, ou bien il faisait diversion mais connaissant l'écrivain, tôt ou tard il finirait par revenir là-dessus. Le mieux était donc de passer aux aveux, tout de suite. Ce qu'il fit instantanément après que Mickey lui ait demandé quel livre il tenait entre ses mains. Ithaque ouvrit l'ouvrage en question et s'arrêta sur une certaine page, vraisemblablement au hasard, puis se mit à faire la lecture de celle-ci. « Classification cognitive des constituants physiques de la musique. » Mickey pensait très honnêtement qu'il s'arrêterait là et n'irait pas plus loin, et qu'éventuellement une discussion découlerait par la suite, mais c'était apparemment mal connaitre le Grec qui l'instant d'après, poursuivit. « Commençons par le temps qui passe, puis nous verrons la hauteur fréquentielle des sons qui s'y déroulent. Le temps qui passe. Le temps qui s'écoule amène à distinguer la durée élémentaire de chaque sonorité , puis, dans l'ensemble que forment ces untiés, le rythme, le tempo, la métrique. La durée, secondes ou fractions de seconde, est la même notion que celle de la valeur d'une blanche ou d'une double-croche. cet aspet temporel, bien connu de la musique, ainsi que le rythme, le tempo, la métrique ont été décrits au chapitre premier. » Le rire qu'il laissa ensuite échapper surpris quelque peu Mickey. Par ailleurs il demeurait silencieux, très à l'écoute, comme chaque fois qu'Ithaque était amené à prendre la parole en somme. C'était bien le seul ici qu'il était incapable d'interrompre, sans doute parce qu'il était également le seul qui ne risquait pas de l’assommer en faisant un monologue. « Ben du coup je vais au chapitre premier hein. Celui qui détermine généralement l'abandon précoce de ceux qui sentent déjà le poid de la difficulté alors qu'il ne contient que les bases très très très élémentaires...Chapitre premier: le message sonore. Une vibration de l'espace, pour qu'elle constitue un son, doit se poursuivre, oscillant de manière plus ou moins fréquente et plus ou moins prolongée de part et d'autre de la ligne d'équilibre de notre graphique...ah le graphique. » Il pointa une figure sur la même page, que Mickey eut le temps d'admirer quelques secondes, puis il reprit sa lecture, de plus belle. « Si cette oscillation est régulière elle donnera naissance à un son périodique et provoquera une sensation musicale. Bon, écoute je m'arrête là... le reste du paragraphe se résumant clairement et simplement à: "à partir de 16000 vibrations par secondes, nous ne perçevont plus aucun son. » Et effectivement, il s'arrêta là, et referma abruptement le livre. Mickey pouvait sentir une certaine amertume chez lui, ne serait-ce que dans sa façon de se tenir. Il sembla vouloir s'exprimer à nouveau mais se ravisa... pour finalement reprendre, ensuite. « Pour toi quelle est la plus grosse bouse littéraire que tu ai jamais lu de toute ta vie ? Je te demande ça pour que tu te fasse une idée du sentiment de désolation qui m'empare là à chaque fois que me parvient le son du piano du salon, joué par tout ceux qui prétendent savoir le faire à savoir la totalité des candidats dans ce châlet. Et je rève du jour ou l'un d'entre eux vas s'attaquer à un 15/16 là...là je pense que ma béatitude sera parfaite n'est-ce pas ce que je suis venu chercher dans ce jeu de demeurés ou tout ce que la production à trouvé de plus musical à nous faire faire, consiste à tourner en rond comme une bande de connards dératés autour de 8 minables chaises. » Quelle pipelette ce Ithaque. Et là, techniquement, il avait véritablement terminé. Bien, que dire, que penser de tout ceci... Tout d'abord il y avait eu cette main portée à sa gorge comme pour mimer la suffocation, et donc le fait qu'il était, certainement, au bord du pétage de plombs. Il y avait aussi eu cette question posée à Mickey, et à laquelle il hésitait à répondre, tout simplement parce qu'il avait lu bon nombre de livres merdiques et qu'opter pour un seul n'était pas chose facile. « Pour répondre à ta question tout d'abord, je dirais que dans l'ensemble les romans d'un français du nom de Marc Levy sont particulièrement indigestes. Cet homme se fait passer pour ce qu'il n'est pas, un grand écrivain. » Non, cela n'avait rien à voir avec le fait que Mickey avait un réel problème avec les français. Là, il avait véritablement quelque chose à redire quant au style d'écriture de ce monsieur. Certaines de ses œuvres semblant même avoir été bâclées. « Ensuite je pense honnêtement que tu prends tout ceci trop à cœur. Par exemple, ne sommes-nous pas entourés d'êtres tout à fait insignifiants ? Pourquoi te préoccuper de morceaux qu'ils massacrent au piano, ça t'est peut-être difficilement supportable à l'écoute mais dis-toi que de toute façon, ils ne sont pas capables d'entreprendre quoi que ce soit de bien, ici. Je suis bien placé pour en témoigner, refermer une bouteille de shampooing semble être pour eux un effort surhumain. » Mickey commençait à avoir l'habitude de vivre avec de véritables bras cassés, assistés et derrière qui il fallait constamment passer. Ithaque avait de quoi être sur les nerfs, lui qui avait certainement l'oreille plus musicale que n'importe qui ici, mais il se tracassait pour rien aux yeux de l'écrivain. « Et puis la production, parlons-en... elle n'a fait que s'adapter au niveau de la majorité du groupe. Certains ici ont la maturité d'un enfant de dix ans, alors les chaises musicales sont sans doute ce qu'ils ont trouvé de mieux à leur faire faire pendant les primes. À nos dépens hélas. » Tout ceci pour lui faire comprendre que lui aussi, était abasourdi parce qu'il était amené à voir chaque jour dans ce nid, mais se plaignait-il pour autant de la sorte ? Non, même si c'est vrai, il lui arrivait de souligner le caractère tout à fait bêtifié d'une telle aventure.

-FLASHBACK-
Herr, herr, herr unser Herrscher, dessen Ruhm in allen Landen herrlich ist !
"Hé vous, oui vous là...Quand vous aurez fini de vous curer le nez auriez vous l'obligeance d'être EN PHASE avec la partition je vous prie ? Quoi ? Non ! Vous faites n'importe quoi ! Qu'est-ce que vous foutez au milieu des ténors pour commencer vous avez mué depuis hier ? Non. Bon alors retournez avec les autres, crétin ! J'aurais du écouter le recteur et vous foutre mon pied au cul, Herr♩...Herr♩..Herr♩ Lààà, voilà c'est pourtant pas bien compliqué et pourtant vous êtes systématiquement en retard. Soit vous n'avez aucune prédisposition pour la musique ce dont je suis intimement convaincu, soit vous êtes devenu sourd. La prochaine fois soyez gentil, épargnez nous vos ralentis de merde et restez enfermé dans votre piaule jusqu'à nouvel ordre c'est clair ?"

J'avais 14 ans, j'ai obéi et je ne suis plus jamais sorti de chez moi sombrant peu à peu dans une dépression sévère. Et je reste muet devant Mickey. Il à sans doute raison, peut être que je prend tout ceci trop à coeur mais la musique me rend fou, ne serais-ce que quand elle est jouée par des musiciens digne de ce nom, alors jouée par des nazes qui n'ont certainement jamais foutu un pied à l'église Saint Thomas, je vous dit pas. Je me calme pourtant, me redressant pour me redonner la contenance qui me revient petit à petit.

La passion et la vocation s'affrontent en duel. J'ai sacrifié la première pour trouver la deuxième et je ne me sent pas mieux pour autant. Mélancolie, regrets éternel, Requiem. C'est ce qui fait de moi ce que je suis devenu aujourd'hui, un dingue vous diront ceux qui me connaissent. Aucune pitié. Il semblerait que je n'ai jamais été animé par le désir de gagner mais par l'envie de faire perdre aux autres l'équivalent de ce que moi j'y ai perdu. Je suis doué pour ça, la vocation l'emporte.

"Qu'aurais tu fais si tu n'avais pas été écrivain ?"

Comme si ces jeunes gens complètement hébétés méritaient qu'on leur porte tant d'attention. Non non, aux yeux de Mickey son camarade prenait cette histoire trop à cœur et faisait une fixette sur ce qui n'avait vraiment pas de raison d'être autant mis en avant : l'incapacité d'une grande majorité de candidats à faire les choses bien dans ce nid, que ce soit l'entretien de ce dernier, ou jouer du piano. Et puis Ithaque était probablement bien meilleur qu'eux tous, que Mickey même, qui s'essayait lui aussi parfois au fameux instrument mais qui, il l'admettait lui-même, n'excellait pas dans la maitrise de celui-ci. L'écrivain avait quelque peu l'impression d'avoir perdu son camarade entre temps. C'était comme si, subitement, il était absent, ou s'était mis en mode veille. Mickey l'observa quelques secondes, guettant la moindre réaction de sa part, le moindre mot qu'il aurait pu prononcer. Et finalement, Ithaque sembla revenir à lui peu de temps après. « Qu'aurais tu fais si tu n'avais pas été écrivain ? » Hm, voilà une question que Mickey ne s'était sans doute jamais posée. Ou alors, il n'en avait pas le souvenir. Prenant un instant de réflexion, durant lequel il réajusta les plis de sa veste, il reprit bientôt. « J'aurais pu suivre la volonté de mes parents qui souhaitaient que j'embrasse une carrière dans la médecine... » annonça-t-il tout d'abord, sur un ton détaché, avant de poursuivre. « ... mais franchement, leur faire ce plaisir n'était vraiment pas dans mes intentions et j'ai préféré faire ce que j'aimais vraiment, n'en déplaise à ceux qui, de toute façon, n'ont jamais été ravis par le moindre choix que j'ai été amené à faire. » Ah on ne pouvait pas dire que Mickey avait souvent obtenu le soutien ou récolté les encouragements de ses parents. Sa mère l'aimait beaucoup mais n'avait jamais compris pourquoi il s'était lancé dans tout ça, pensant qu'il n'avait jamais considéré leur opinion par pure volonté de les contredire. Ce qui était, on peut le dire, un peu vrai aussi. « Donc si je n'avais pas été écrivain, je pense que je n'aurais tout simplement jamais été personne. Aujourd'hui je n'imagine pas ma vie sans l'écriture, je ne parviens pas à me projeter autre part. » Il vivait de sa passion, que dire de plus ? Sa vie sans l'écriture, la littérature, ses romans... ce n'était tout simplement pas une vie, et il ne regrettait absolument rien à l'heure d'aujourd'hui. « Dis Ithaque, sans trop m'en dire, as-tu vécu dernièrement un traumatisme ou choc émotionnel plutôt sévère ? » Que ce soit bien clair, Mickey revenait uniquement sur leur discussion de la semaine passée et sur la mélancolie dont Ithaque disait souffrir. Pas question de le cuisiner pour lui chiper des informations pouvant s'avérer potentiellement essentielles ou en rapport avec son secret. Mickey désirait juste en savoir un peu plus sur ce qui avait pu le mettre dans un tel état, mais s'il abordait un sujet délicat qu'Ithaque ne souhaitait pas évoquer, il comptait bien entendu sur la franchise de son camarade pour le lui dire, auquel cas il n’insisterait pas d'avantage.

Médecin. Voilà un mot qui parvient à me faire revenir à un comportement raisonnable à défaut de me faire retrouver complètement la raison. Pendant que Mickey me parle et que je l'écoute attentivement, je me met en mouvement, parcourant les étagères de livres la tête penchée, clairement à la recherche d'un titre en particulier. Une fois celui-ci trouvé dans son format de poche, je le prend avec moi pour revenir devant mon camarade.

C'est même un ami, je crois. Il est peut être encore tôt pour l'affirmer avec certitude mais je ne vois pas de quelle autre manière je pourrais qualifier quelqu'un qui m'écoute sans juger et qui semble s'intéresser de très près à mes états d'âmes à défaut de les comprendre. J'ai pas envie de lui mentir, j'ai plus envie de lui cacher quoi que ce soit comme j'ai pu penser à le faire un peu plus tôt, en essayant de dissimuler mes lectures. Tout comme je lui fait confiance et que je ne le soupçonne pas une seconde d'essayer de profiter de ma nature bavarde en sa présence pour percer à jour mon secret. Alors, quand il me demande si j'ai récemment vécu un traumatisme, ou un choc particulièrement sévère, je hoche la tête de gauche à droite.

"Non."

Ma vie n'est pas très riche en rebondissements. A 14 ans je me suis moi-même banni du conservatoire. A 18 ans je me suis fait ouvrir en deux par mon cousin pour une sombre histoire d'héritage qui n'a aucun intérêt dans le contexte, et à 25 ans j'ai quitté mon pays pour fuir la crise et je suis aller m'installer en Corée.

"Si, les oeufs de cent ans quand je suis arrivé en Asie, je l'ai assez mal vécu."

Bref, le livre, celui que j'ai dans les mains et que je suis aller chercher quelques minutes plus tôt. Je l'agite à hauteur de mon visage pour qu'il le voit et je le balance sur une table à proximité, faisant signe à Mickey de venir avec moi s'y assoir. S'il est vraiment intéressé par ma personnalité ce n'est pas tant dans mon passé que dans la façon dont je réfléchi qu'il trouvera des réponses, que je suis en parti d'accord pour lui donner. Dans l'éventualité ou quelqu'un, enfin, puisse mettre un mot sur l'origine du mal qui me ronge. Je me suis assit, j'attend qu'il vienne me faire face pour reprendre entre mes mains le livre de poche pour le planter droit sur la table, couverture face à lui. Albert Camus, La peste. Je lâche le livre qui retombe face contre le bois de la table et je me frotte nerveusement les mains, jouant au passage avec l'anneau que j'ai au doigt.

"J'aimerais te raconter une histoire. Pas celle de ce bouquin tu l'as déjà lu. Un rêve que je fais ponctuellement. Mais je te le raconterais que si tu m'assures que t'as envie de l'entendre, pas juste pour passer le temps ou parce-que je me proposes de te le raconter. Est-ce que ça t'intéresse pour de vrai ?"

Ithaque représentait à lui seul un grand mystère aux yeux de Mickey. L'anglais savait qu'il avait encore beaucoup de choses à apprendre au sujet de ce grand bonhomme... Par ailleurs il avait été mis dans la confidence, une semaine plus tôt, ce qui avait peu à peu laissé place à un lien plutôt spécial entre les deux candidats. Pour comprendre un peu mieux le mal qui l'habitait, Mickey avait besoin d'informations supplémentaires. Et dans un premier temps, il tenta de savoir s'il avait vécu, plus ou moins récemment, un traumatisme ou choc émotionnel sévère. Sa réponse ne se fit pas grandement attendre. « Non. » Voilà qui était on ne peut plus clair. Et il était bien entendu disposé à le croire, pourquoi donc douter de la sincérité d'Ithaque ? Mickey décelait facilement le mensonge lorsqu'il s'y trouvait confronté. Et là, il sentait que ça n'était pas le cas. « Si, les oeufs de cent ans quand je suis arrivé en Asie, je l'ai assez mal vécu. » Enfin, de là à parler de traumatisme, tout de même... Mickey n'avait jamais été en Asie, par contre il avait déjà vaguement entendu parler de ces fameux œufs de cent ans et qu'on se le dise, ça ne le tentait pas des masses. Suite à quoi son camarade jeta sur une table voisine le livre qu'il avait précédemment saisi et convia l'écrivain à prendre place à celle-ci, avec lui. Mickey rejoignit donc son camarade qui, ce dernier, lui montra de quel ouvrage il était présentement question. Hm, du Camus, ça ne rigolait pas. Encore moins à la vue du titre de l’œuvre. Il sentait qu'Ithaque allait reprendre la parole, qu'il avait quelque chose à dire et que ceci ne serait pas sans importance. Alors il le fixa longuement, sans dire un mot, en se contentant de guetter la moindre réaction, ou la moindre parole qu'il pourrait avoir. Et puis, finalement... « J'aimerais te raconter une histoire. Pas celle de ce bouquin tu l'as déjà lu. Un rêve que je fais ponctuellement. Mais je te le raconterais que si tu m'assures que t'as envie de l'entendre, pas juste pour passer le temps ou parce-que je me proposes de te le raconter. Est-ce que ça t'intéresse pour de vrai ? » Il fallait savoir que premièrement, Mickey n'était pas du genre à écouter qui que ce soit juste pour passer le temps, ce n'était vraiment pas dans ses habitudes. Ensuite, Ithaque était l'un des seuls candidats dans le nid avec qui Mickey parvenait à peu près à s'entendre, sans que constamment les insultes, reproches et autres ne fusent dans tous les sens. Il y avait bien d'autres raisons d'ailleurs qui allaient pousser l'écrivain à se montrer à l'écoute de son camarade... en tout cas pour lui, c'était tout vu. « Ithaque, si je me fichais de ton cas, il y a bien longtemps que je t'aurais laissé te dépatouiller de tout ça seul. Et tout ce qui pourra me permettre de comprendre ce qui t'arrive m'est essentiel, alors oui bien sûr, tes rêves m'intéressent. Donc je t'en prie, fais-moi en part. » Et il n'avait bien évidemment aucune raison de lui mentir, quel intérêt à cela ? Si Ithaque souhaitait lui en parler, il n'avait plus qu'à le faire. Tenez, Mickey était tellement consciencieux qu'il prit appui sur la table, y posant un coude et laissant tomber sa tête contre sa main ouverte, tout en ne le quittant pas des yeux, véritablement prêt à tendre une oreille des plus attentives.

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