soul kitchen

starring hyram and ezra

Je vis dans un monde dominé par les marques. C'est un peu mon métier, vous me direz. Je travaille malheureusement pour ces même marques qui assujettissent des milliers de consommateurs à travers le monde. Je me prénomme Hyram et m'habille chez YSL. Je suis publicitaire : eh oui, je pollue l'univers. Je suis le type qui vous vend de la merde. Qui vous fait rêver de ces choses que vous n'aurez jamais. La publicité est l’une des plus grandes catastrophes des deux mille dernières années pour ceux qui aiment la littérature. Un rédacteur publicitaire, c'est un auteur d'aphorismes qui se vendent. Pour créer des besoins, il faut attiser la jalousie, la douleur, l’inassouvissement. Pour réduire l’humanité en esclavage, la publicité a choisi le profil bas, la souplesse, la persuasion. Je suis devenu publicitaire par hasard, en fait. A défaut de ne pas pouvoir vivre de ma plume, j'ai choisi de vendre mon âme à la société. J'avais du talent, m'a-t-on dit. Du talent pour altérer le réel, l'embellir, le rendre supportable surtout. Ce métier m'a tout de même appris une chose qu'on ne peut se fier qu'à soi-même et qu'il n'y a plus de poésie dans ce monde affable. Toujours est-il que je ne risque pas de le changer avec mes slogans vantant les mérites d'un camembert Bridelight ou un Justin Bridoux. Mon ventre crie famine. J'arrive dans la cuisine. Je vois Ezra. Il me regarde, je le regarde. On se regarde, on se sourit. Je lui serre la main en guise de salutation. Je me dirige vers le frigo et je lui demande : - Alors gamin, tu veux manger quoi ? Je peux lui concocter un petit plat maison. C'est toujours bien de partager son repas à autrui. Je viens d'une famille où les repas sont interminables, mais hyper-conviviaux. J'ai envie de discuter un peu avec ce p'tit. Je l'aime bien lui.

Si il y avait bien une chose que cette aventure pouvait m'apporter, c'était assurément la confiance en autrui. J'étais quelqu'un de méfiant. Me cachant derrière des apparences du mec trop bien pour tout le monde, j'avais bien remarqué que depuis quelques jours, cette carapace se brisait. Pourtant je n'arrivais simplement pas à savoir si c'était une bonne chose ou si au contraire j'allais devenir plus vulnérable. Il fallait que je me ressaisisse et que j'arrête de laisser n'importe qui entrer dans cet maison d'habitude fermée à triple tours qu'était mon coeur. Je devais être le Ezra que j'étais au yeux des autres, celui que je laissais transparaitre, sans quoi je risquais simplement de retomber dans une période de confusion totale, me perdre un peu plus dans les méandres de mon esprit. Secouant légèrement la tête, comme pour chasser toutes ces pensées qui avaient tendance à l'obscurcir je ne réalisais que quelques secondes plus tard l'arrivais d'Hyram dans la pièce, et ce tout en l'ayant pourtant fixé du regard. Il m'adressa ainsi un sourire que je ne tardais pas à lui rendre. « Alors gamin, tu veux manger quoi ? » et puisque j'avais tendance à être à fleur de peau, malgré les apparences, quelques simples paroles après une longue méditation sur ma personne avaient vite fait tendance à m'agacer, et ce sans que je n'y puisse grand chose. « T'as conscience qu'on ne doit même pas avoir huit ans d'écart n'est ce pas ? » ce qui me semblait à cet instant assez peu pour justifier le surnom qu'il venait de me donner. Mon intonation se voulait d'ailleurs agressive, mon visage fermé. « Et puis si je veux attraper un truc à manger, j'le ferai tout seul. » continuais-je avant de retourner mes précédentes paroles dans ma tête et de réaliser, de m'en vouloir. Après tout, Hyram ne m'avait rien fait. « Pardon... Je suis désolé... je... »

J'ai pour atout de bien cerner les gens en général. C'est un peu mon métier. Je passe mon temps à observer les êtres humains. En un coup d’œil, j'analyse les comportements de chacun. Je crois bien les connaître, mais en réalité il y a toujours un facteur qui change tout. Ezra semble différent ce midi. Plus fermé sur lui-même. J'ai tout de suite compris que quelque clochait. Il n'était pas comme d'habitude. J'essaie de le détendre en lui proposant de déjeuner ensemble. Après ce n'était qu'une proposition, je ne leur forçais pas. Lui qui est plutôt du genre sympathique me rétorque : - T'as conscience qu'on ne doit même pas avoir huit ans d'écart n'est ce pas ? En y réfléchissant, ce n'est pas faux. C'est tout de même huit ans. Il y a une différence de génération flagrante. Et sans me vanter, je suis plus âgé que lui donc un peu plus expérimenté. Je ne dis pas que je suis plus mature que lui. Il y a des trentenaires qui ont une mentalité d'adolescent attardé. Moi-même, je ne suis pas un modèle de vertu. Donc, je n'essaie pas de jouer aux moralisateurs. Il poursuit d'un ton plus dur, me prenant un peu par surprise : - Et puis si je veux attraper un truc à manger, j'le ferai tout seul. Je ne m'attendais pas à ce qu'il réagisse comme ça. J'avoue ne rien comprendre là. Je ne lui ai rien fait à ce que je sache. Je comprends qu'il soit de mauvaise humeur, mais ça ne sert à rien de se défouler. En plus, il n'a pas choisi la bonne personne pour ça. Je fronce légèrement les sourcils. Je suis sur le point de répliquer encore plus sèchement que lui. Mais il reprend très vite la parole. - Pardon... Je suis désolé... je... Mon visage s'adoucit un peu. Il s'excuse et je cesse de lui en vouloir. Je lui fais une tape amicale sur le dos. Je lui lance un regard complice. - Allez va, c'est oublié. Il n'a pas l'air d'être son assiette. Je sens que quelque chose ne va pas. Je sais que je ne dois pas me mêler des affaires des autres. Je n'aurai pas aimé qu'on fourre son nez dans mes affaires. Je ne sais pas, avec lui c'est un peu différent. - Je te préviens. La prochaine fois, je serai moins clément., dis-je d'un ton faussement menaçant avant de lui sourire.