La tête enfoncée sous sa capuche, le maigrelet pantin observait paisiblement, presque maligne, les jointures rougies de sa main libre. Ce faisant, la fragile poupée inspirait, inlassable, quelques souffles d'une mort lente à la rigueur de cette cigarette qui, de temps à autre, s'arrachait à ses lèvres pour saisir l'air susceptible de la consumer. Infante d'une sereine solitude, elle accueillait le froid quasi hivernal du jardin avec une tranquille satisfaction. Elle l'épousait. Dans ces moments-là, rien ni personne ne venait altérer les codes de son monde, hermétique et sublime. Rien ne l'atteignait, ni la rumeur des conversations ni l'agitation des mœurs. Rien. Il y avait elle, puis le silence et l'immobilité. Et c'était bien tout ce qui rythmait son dimanche, depuis l'aube et probablement jusqu'au soir. Elle n'avait fui aucun de ses comparses, mais ceux-ci ne l'avaient pas quêté non plus. Non, ils devaient certainement se respecter suffisamment pour la laisser, soupirante et offerte, à ces extases sensibles presque inaccessibles. Elle, amas de chiffons, de haillons, n'était qu'une petite créature faiblarde et pathétique que tout à chacun se gardait bien de mêler au commun des mortels. Il y avait eux, et puis il y avait elle. Quelques fois, les deux mondes se frôlaient, mais ils peinaient à se côtoyer. C'était une évidence que décrivait longuement les volutes de fumée, peinturlurant sa peau diaphane d'arabesque sombres et hostiles. Et comme, jusque-là assise à même l'une des tables trônant au beau milieu du jardin, elle s'allongea lentement, c'est qu'il y eut bien un imprudent pour s'aventurer ici-bas. Bel enfer, le pantin se fit partageur. « Parce que la liberté sublime, imagine une femme, belle entre toutes, qu'on eut enfermé sous une sobre cloche de verre dans l'unique plaisir, bien pervers, de voir sa beauté s'affadir jour après jour jusqu'à réduire ses charmes à l'état de souvenir... » Renversant doucement la tête, Deirdre, la nébuleuse irlandaise, dévisagea naturellement Sydney, la belle Sydney, belle entre toutes.

J'avais décidé par ce bel après midi d'hiver de satisfaire mon organisme en lui offrant sa dose quotidienne de nicotine. Il faisait frais mais la neige avait cessé de tomber et le soleil s'était péniblement frayé un chemin à travers l'épaisse couche de nuage. Soigneusement couverte j'avançais dans le jardin lorsque je pus apercevoir la belle Deirdre allongée sur l'une des tables. Elle semblait ailleurs, quelque part je l'enviais, tout semblait couler sur elle, rien ne la touchait, elle vivait sereine. M'avançant à sa hauteur je lui adressais un sourire puis allumait ma cigarette tandis que je l'écoutais avec attention discourir. « A quoi bon enfermer une belle femme si c'est pour la regarder dépérir de la sorte ? J'ai tendance à croire que le but de la beauté c'est de donner un peu de bonheur aux gens. » Lançais-je perplexe alors que j'essayais de saisir la morale de son discours bien trop pessimiste à mon goût. Je la regardais fixement pensant indubitablement de façon utopique que j'allais parvenir à la comprendre en agissant ainsi.

Sydney était une belle femme. Elle n'avait pas d'éclat particulier au sombre et douloureux regard de Deirdre, mais elle n'en demeurait pas moins une très belle femme. De celles que, justement, certains auraient très certainement voulu voir sous verre, à perdre lentement de leur éclat. « L'amour, rétorqua la jeune femme en fixant savamment le ciel. L'amour fait dépérir les belles femmes. » Instamment, son regard vint chercher celui de Sydney, consciente de la provocation contenue dans ses mots. Ce n'était pas qu'elle s'était voulue provocante (elle n'en concevait pas l'attitude), seulement qu'elle était déjà familière des quelques grotesques réactions de beaucoup. On la croyait rarement lorsqu'elle osait affirmer les chaînes que l'amour affublait à telle ou telle femme, pourtant si sublime d'origine. « Une belle femme est faite pour être convoitée, désirée. » En se redressant, Deirdre ne pouvait qu'affirmer la certitude ses dires. Du moins, de ce qu'elle en pensait, à force d'avoir côtoyé tellement de femmes. Trop de femmes. « Quelques rares femmes sont faites pour être aimées. » Et, quelque peu malgré elle, Deirdre sous-tendait toute l'idée que cela revenait à un privilège tenu de Nature. Mais puisqu'elle croyait si fermement qu'il s'agissait souvent d'accepter les choses comme elles étaient, cela n'avait rien d'étonnant, ou même d'offensant. « Aimer une belle femme, c'est comme la condamner... car, chemin faisant, beauté passant, elle n'aura plus rien dans quelques temps. »